Le Droit de la concurrence, premier tome du Traité de droit économique, expose, en deux livres (Tome 1/2. Droit européen ; Tome 2/2. Droit français) l’ensemble des règles de concurrence : ententes et abus de domination, procédure de concurrence, concentrations, aides d’État, négociation commerciale, et concurrence déloyale.

Droit français de la concurrence

D'origine américaine, la théorie de l'entreprise défaillante a été consacrée en quelques occasions en droit français  comme en droit européen. Bien qu'il ne soit pas toujours dénué d'ambiguïté, le raisonnement qui la fonde ne s'inscrit pas dans le cadre d'un système d'exemption ou de rachat mais trouve sa place au sein d'une analyse purement concurrentielle : du fait des difficultés de l'entrepris …

Théorie de l'entreprise défaillante.

V. VOGEL, Vers l’admission d’une failing company defense, Contrats Conc. Consom., 1996, 15 ; de MONTALEMBERT et NIEDOLISTEK, L’exception d’entreprise défaillante, Approche comparée, JCP E, 2005, 314.

D'origine américaine, la théorie de l'entreprise défaillante a été consacrée en quelques occasions en droit français  comme en droit européen. Bien qu'il ne soit pas toujours dénué d'ambiguïté, le raisonnement qui la fonde ne s'inscrit pas dans le cadre d'un système d'exemption ou de rachat mais trouve sa place au sein d'une analyse purement concurrentielle : du fait des difficultés de l'entreprise-cible, qui aurait de toute façon disparu du marché, le lien de causalité entre la concentration et l'atteinte à la concurrence est rompu. En d'autres termes, l'opération ne serait pas la cause de la restriction et devrait donc être autorisée. L'application de la théorie de l'entreprise défaillante est subordonnée à trois conditions :

- la disparition rapide et inéluctable de l'entreprise acquise  ; selon l'Autorité de la concurrence, le fait que la ou les sociétés cibles étaient en situation de cessation de paiement et avaient fait l’objet d’une procédure collective devant un tribunal de commerce suffit, en général, à démontrer que le critère tenant à la disparition rapide de la société cible en l'absence de l'opération de concentration est satisfait  ; 

- l'absence de solution alternative moins dommageable pour la concurrence  ; pour établir qu’aucune autre offre moins dommageable pour la concurrence n’aurait permis d’assurer la continuité de l’activité de l’entreprise cible, la partie notifiante doit démontrer que le processus de cession garantit une publicité suffisante, afin qu’il puisse être présumé que la totalité des offres alternatives pertinentes ont été effectivement identifiées , étant entendu que les procédures encadrées par le tribunal de commerce permettent en général de présumer un niveau suffisant de publicité  ; dans son appréciation de l’existence d’une offre alternative, l’Autorité doit logiquement prendre en compte les évolutions de la structure de marché  ; lorsqu’elle procède à une analyse autonome, propre à chaque cas d’espèce, du caractère abouti des offres alternatives et de leur impact sur la concurrence, l’Autorité peut prendre en considération non seulement les offres équivalentes, mais également les offres moins-disantes, dès lors que celles-ci portent sur l’ensemble du périmètre repris ou sur une partie substantielle de celui-ci  ; selon l'Autorité, le deuxième critère tenant à l’absence d’offre alternative moins dommageable est rempli dès lors que la procédure de recherche de repreneurs a fait l’objet d’une publicité suffisante, qu’aucune offre de reprise n’a été présentée sur une partie substantielle du périmètre repris dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire mentionnée ci-avant et qu’aucune marque d’intérêt portant sur une partie substantielle du périmètre repris n’a été exprimée postérieurement ;

- la disparition de la société en difficulté ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée ; selon l' Autorité, l'appréciation du troisième critère de la théorie de l’entreprise défaillante doit nécessairement se faire au moment de son examen, et ce, jusqu’à la date de la décision , l’analyse des différents scénarios contrefactuels devant porter sur chacun des marchés pertinents où des problèmes de concurrence ont été identifiés .

La pratique décisionnelle des autorités de concurrence semblait s'orienter vers une interprétation très restrictive de la théorie de l'entreprise défaillante qui prenait en considération la capacité de soutien du cédant à sa filiale en vue d'écarter son application . Cette position s'expliquait notamment par la crainte de voir le contrôle des concentrations se réduire à une peau de chagrin compte tenu de la fréquence des situations de difficultés financières affectant la cible. Pour la première fois, en 2022, s'agissant de la prise de contrôle de Conforama par Mobilux, l'Autorité de la concurrence a accueilli l'exception de l'entreprise défaillante  . Deux ans plus tard, elle a en revanche rejeté son application concernant le rachat de Ludendo par JouéClub .

Lettre min. éco., 14 juin 1996, LawLex200200002053JBJ, BOCC, 22 octobre 1996 ; Contrats Conc. Consom., 1996, nº 136, obs. VOGEL ; Avis Cons. conc. nº 96-A-01 du 31 janvier 1996, LawLex200200002030JBJ, BOCC, 20 août 1996 ; Contrats Conc. Consom., 1996, nº 171, obs. VOGEL ; Lettre min. éco., 31 août 1998, LawLex200200002073JBJ, BOCC, 20 novembre 1998 ; 1er septembre 1999, LawLex200300002119JBJ, BOCC, 30 octobre 1999 ; Avis Cons. conc. nº 02-A-07 du 15 mai 2002, LawLex200200006186JBJ, BOCC, 21 octobre 2002 ; Lettre min. éco., 5 juillet 2002, LawLex200200006185JBJ, BOCC, 21 octobre 2002 ; Lignes directrices révisées relatives au contrôle des concentrations, pts 785 s. ; Avant même cette consécration, les autorités de contrôle tenaient compte, lors de l'appréciation de ces éléments, du contexte économique dans lequel intervenait la concentration et semblaient admettre plus facilement le caractère suffisant de la contribution au progrès économique lorsque l'opération avait pour conséquence de faciliter le redressement d'une entreprise en difficulté, ou devait permettre la reconstitution des marges d'autofinancement d'une industrie déficitaire : Avis Comm. conc. du 26 février 1981, LawLex200200002093JBJ, Rapport pour 1981, 72, D., 1983, I.R., 223, JCP CI, 1982, I, 1251 ; Avis Comm. conc. du 22 mars 1979, LawLex200300002257JBJ, Rapport pour 1979, 78.

Avis Cons. conc. nº 96-A-01 du 31 janvier 1996, LawLex200200002030JBJ ; Lettre min. éco., 5 juillet 2002, LawLex200200006185JBJ ; Cons. d'Ét., 6 février 2004, LawLex200400000223JBJ, annulant la décision ayant autorisé une opération en application de la théorie de l'entreprise défaillante en l'absence de preuve du caractère moins dommageable pour le consommateur. 

Décision Aut. conc. n° 24-DCC-129 du 19 juin 2024, LawLex202400005737JBJ.

Décision Aut. conc. n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022, LawLex202300003378JBJ, précisant que dès lors que la théorie de l’entreprise défaillante est la dernière étape du raisonnement de l’appréciation d’une opération de concentration, qui se réalise au niveau de chacun des marchés pertinents définis, tant en termes de marché de produits que de marché géographique, et que le critère du caractère moins dommageable de l’opération par rapport à un scénario de disparition de l’activité cible consiste à vérifier l’existence d’un lien de causalité entre, d’une part, la concentration et d’autre part la détérioration de la structure concurrentielle du marché, l’analyse des scénarios contrefactuels en vue d’apprécier le pouvoir de marché du repreneur  doit s’effectuer sur les marchés pertinents tels que définis par l’Autorité de la concurrence.

Avis Cons. conc. nº 05-A-18 du 11 octobre 2005, LawLex200500010086JBJ, qui souligne qu'en l'absence d'état de cessation des paiements ou de procédure collective, la condition de défaillance n'est pas remplie ; décision Aut. conc. n° 12-DCC-154 du 7 novembre 2012, LawLex201200002499JBJ, qui considère que l'exception de l'entreprise défaillante n'est pas applicable lorsqu'il existe une autre offre de reprise portant sur une partie substantielle de l'entreprise.

Décision Aut. conc. n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022, LawLex202300003378JBJ, retenant qu'il y a lieu d’autoriser l’opération de concentration sans engagement dès lors que les critères cumulatifs de l’exception de l’entreprise défaillante sont remplis, c’est-à-dire que les difficultés de l’entreprise cible entraîneraient sa disparition rapide en l'absence de reprise, qu’il n'existe pas d'autre offre de reprise moins dommageable pour la concurrence que celle de la partie notifiante, portant sur la totalité ou une partie substantielle de cette entreprise et qu’enfin la disparition de cette dernière ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée.

Décision Aut. conc. n° 24-DCC-129 du 19 juin 2024, LawLex202400005737JBJ : la théorie de l’entreprise défaillante ne peut pas être appliquée à l’opération de concentration en cause dès lors que, pour l’ensemble des zones problématiques identifiées, à l’exception de la zone de “ Rodez ”, un concurrent des parties a manifesté un intérêt à la reprise des actifs cibles présents dans ces zones de sorte qu’une reprise par cet opérateur des magasins concernés conduirait à une situation plus favorable sur le plan concurrentiel que celle résultant de l’opération notifiée dans les zones problématiques identifiées.

Décision Aut. conc. n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022, LawLex202300003378JBJ, précisant que dès lors que, même si la cible n’était pas, au moment de sa reprise par la partie notifiante, en état de cessation de paiement, l’absence d’une telle reprise aurait rendu impossible la poursuite de l’activité de la cible, il y a lieu de considérer que le premier critère d’applicabilité de l’exception de l’entreprise défaillante identifié par la pratique décisionnelle est rempli ; n° 24-DCC-129 du 19 juin 2024, LawLex202400005737JBJ : dès lors que la procédure de liquidation a permis la présentation de l’offre de rachat par la requérante des actifs cibles, et qu’en l’absence de reprise des actifs cibles, ceux-ci auraient fait face à des difficultés risquant d’entraîner leur disparition rapide, la  première condition de la théorie de l’entreprise défaillante est satisfaite.

Avis Cons. conc. nº 96-A-01 du 31 janvier 1996, LawLex200200002030JBJ ; Lettre min. éco., 14 juin 1996, LawLex200200002053JBJ ; 5 juillet 2002, LawLex200200006185JBJ ; Avis Cons. conc. nº 05-A-01 du 7 janvier 2005, LawLex200500009097JBJ. 

Décision Aut. conc. n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022, LawLex202300003378JBJ : lorsqu’elle apprécie l’existence d’offres alternatives, l’Autorité de la concurrence, qui peut s’appuyer sur les recherches de repreneurs réalisées par les parties prenantes au processus de cession (notamment les conciliateurs ou les tribunaux de commerce), n’est toutefois pas tenue par les conclusions de ces procédures puisque l’appréciation qu’elle porte sur le processus de reprise repose sur des critères concurrentiels, qui peuvent être distincts de ceux retenus par les autres parties prenantes à la procédure de cession ; n° 24-DCC-129 du 19 juin 2024, LawLex202400005737JBJ.

Décision Aut. conc. n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022, LawLex202300003378JBJ, ajoutant que si l’ouverture d’une procédure de conciliation ne permet pas à elle seule de présumer d’une publicité suffisante concernant la vente de la cible, les difficultés financières de cette dernière ont fait l’objet d’une grande publicité par voie de presse, qui a permis, à tout le moins, d’informer les potentiels repreneurs afin qu’ils puissent se positionner le cas échéant, étant ainsi établi que le processus de cession a garanti une publicité suffisante, pour présumer que la totalité des offres alternatives pertinentes ont été identifiées.

Décision Aut. conc. n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022, LawLex202300003378JBJ : dans le cadre de la théorie de l’entreprise défaillante, en fonction des évolutions de la structure de marché, par exemple du fait de l’entrée ou de la sortie d’opérateurs concurrents postérieurement aux procédures encadrées par le tribunal de commerce, il pourra être nécessaire que les parties démontrent qu’aucune offre alternative n’ait pu émerger entre le jour où l’opération notifiée a présenté un caractère suffisamment abouti pour pouvoir faire l’objet d’une notification et le jour où l’Autorité de la concurrence adopte sa décision relative à l’opération notifiée.

Décision Aut. conc. n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022, LawLex202300003378JBJ, précisant que pour être considérée comme une offre alternative crédible au sens du deuxième critère d’applicabilité de l’exception de l’entreprise défaillante, une offre ne doit pas nécessairement avoir le même degré d’aboutissement que l’offre présentée par les parties, en particulier, le dépôt d’une offre devant le tribunal de commerce dans le cadre d’une procédure formelle de reprise n’étant considéré ni comme un critère nécessaire, ni comme un critère suffisant.

Lettre min. éco., 5 juillet 2002, LawLex200200006185JBJ : la condition serait aussi satisfaite dans l'hypothèse d'une reprise par l'entreprise acquéreuse de la part de marché de l'entreprise acquise en cas de disparition de cette dernière ; décision Aut. conc. n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022, LawLex202300003378JBJ : dans le cadre de la théorie de l’entreprise défaillante, le critère du caractère moins dommageable de l’opération par rapport à un scénario de disparition de l’activité cible permet de comparer les effets propres de l’opération à la dynamique spontanée du marché, en identifiant des scénarios contrefactuels alternatifs crédibles en cas de non-réalisation de l’opération notifiée dans un cadre plus large que l’analyse du deuxième critère de l’absence d’offres alternatives moins dommageables, de sorte que si des offres ont été écartées au titre de ce deuxième critère en raison de leur manque de crédibilité ou de leur caractère partiel, elles peuvent être prises en compte au stade du troisième ; n° 24-DCC-129 du 19 juin 2024, LawLex202400005737JBJ : le critère n° 3 de la théorie de l’entreprise défaillante poursuit l’analyse du lien de causalité entre l’opération et la dégradation de la situation concurrentielle sur le marché, en comparant les effets sur la concurrence de l’opération notifiée et ceux des différents scénarios envisageables dans le cas où celle-ci n’aurait pas lieu, étant entendu que l’examen se fait marché par marché et qu’une telle démonstration suppose, dans un premier temps, de démontrer que les actifs auraient inéluctablement disparu et, dans un second temps, de comparer les effets pour le consommateur d’une telle disparition avec ceux de l’opération projetée, et ce, sur chaque marché concerné.

Droit français de la concurrence

635. Théorie de l'entreprise défaillante.(1)

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