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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 19 décembre 1994, n° 3460-94

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministère Public, Direction Départementale de la Concurrence et de la Consommation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Conseillers :

Mme Penichon, Guilbaud

Avocat :

Me Benoit.

TGI Bobigny, 15e ch., du 5 avr. 1994

5 avril 1994

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LE JUGEMENT :

Le Tribunal, par jugement en date du 5 avril 1994, a déclaré M. X Christian et Y Bernard coupables :

- d'avoir au Blanc Mesnil courant 1988 et 1989 en tous cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit commis une infraction aux règles de la facturation à l'occasion de ventes ou d'achats de produits ou de prestations de services pour une activité professionnelle en délivrant une facture ne comportant pas toutes les mentions prescrites par l'article 31 alinéa 3 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 ; faits prévus et réprimés par les articles 31 al. 2, 3 et 4 ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, 55 al. 1 ordonnance 1er décembre 1986 ;

- d'avoir au Blanc Mesnil courant 1988, 1989, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, imposé directement ou indirectement un caractère minimal aux prix de revente d'un produit ou d'un bien au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale ; faits prévus et réprimés par les articles 34, 55 al. 1 ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986. A condamné M. X Christian à 30 000 F d'amende et M. Y Bernard à 30 000 F d'amende. A déclaré la société Z solidairement responsable des amendes prononcées et des frais. A dit que la contrainte par corps s'exercera s'il y a lieu dans les conditions prévues par les articles 749 et suivants du Code de Procédure Pénale.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par:

1°) Me Benoit Olivier, Avocat au Barreau des Hauts de Seine, agissant pour le compte de X Christian, sur les dispositions pénales, le 15 avril 1994 ;

2°) Me Benoit Olivier, Avocat au Barreau des Hauts de Seine, agissant pour le compte de Y Bernard, sur les dispositions pénales, le 15 avril 1994 ;

3°) Me Benoit Olivier, Avocat au Barreau des Hauts de Seine, agissant pour le compte de la société Z SA, sur les dispositions civiles, le 15 avril 1994 ;

4°) Le Ministère Public, contre M. X Christian, le 15 avril 1994 ;

5°) Le Ministère Public, contre M. Y Bernard, le 18 avril 1994 ;

DECISION :

Rendue publiquement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par les prévenus, la société solidairement responsable et le Ministère Public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention ;

Par voie de conclusions conjointes, les prévenus et la société Z sollicitent respectivement de la Cour, par infirmation, leur relaxe des fins de la poursuite et la mise hors de cause de la société Z.

Ils font essentiellement valoir que les premiers juges ont fait une appréciation inexacte des faits de la cause tant au regard des règles de la facturation que pour celles interdisant les prix imposés ;

Ils soutiennent en effet que les ristournes différées accordées à ses concessionnaires agréés par la société Z n'avaient pas à apparaître sur ses factures s'agissant d'avantages tarifaires conditionnels seulement acquis en fin d'année ;

Ils exposent que, quand bien même l'infraction aux règles de facturation serait caractérisée, il ne saurait en résulter une infraction aux dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'en effet, la présomption de l'article 32 de l'ordonnance précitée n'étant qu'une présomption simple, le revendeur n'est nullement tenu de respecter le prix facturé par son fournisseur lorsqu'il a de réelles raisons de penser que son prix d'achat effectif se situe à un niveau inférieur et qu'ainsi, les grossistes, s'ils avaient eu la certitude d'obtenir de Z les ristournes fixées par le contrat, auraient pu en tenir compte par anticipation dans l'établissement de leur prix de revente ;

Ils estiment par ailleurs que l'intention de la société Z d'imposer un prix minimum à ses revendeurs n'est pas démontrée en l'espèce.

Ils affirment d'autre part, qu'on ne peut leur reprocher simultanément, sur la base de faits identiques, des infractions aux articles 31 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Ils concluent enfin en demandant subsidiairement à la Cour de minorer les peines prononcées et de les assortir du sursis.

Ils soulignent à cet égard, que la décision critiquée n'a pas pris en considération, pour la fixation du montant de la sanction, l'entrée en vigueur des dispositions plus douces de la Loi du 29 janvier 1993 qui fait dorénavant peser la responsabilité des pratiques reprochées sur la personne morale et non plus sur les personnes physiques à moins qu'il soit démontré à l'encontre de celles-ci une faute personnelle qui leur soit directement imputable.

Monsieur l'Avocat Général requiert pour sa part de la Cour la confirmation du jugement déféré.

Par voie de conclusions, déposées conformément à l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et développées oralement à l'audience par son représentant dûment mandaté, Monsieur le Ministre de l'Economie sollicite de la Cour la confirmation du jugement entrepris.

Considérant qu'il convient de rappeler que les 14 et 24 novembre 1989 ainsi que le 13 février 1990, la DGCCRF procédait à un contrôle à le Blanc Mesnil au siège de la SA Z spécialisée dans la distribution de jouets ;

Qu'il apparaissait que les relations entre cette société et ses "concessionnaires agréés" étaient régies par un contrat de collaboration complété par un document dit "conditions concessionnaires" rappelant et précisant les engagements des parties ;

Qu'aux termes de ces accords, la société Z consentait à ses grossistes une remise différée d'un taux variant de 15 % à 19 % en fonction du niveau des commandes, calculée trimestriellement, et acquittée par compensation avec le prix des commandes postérieures;

Que la société Z facturait cependant ses concessionnaires grossistes au tarif de base sans mentionner la remise précitée dont le principe était pourtant acquis et le montant chiffrable dès la passation de la commande ;

Qu'en outre, l'article 6 du contrat de concessionnaire agréé stipulait "... le concessionnaire s'engage donc à vendre les articles Z sur la base minimum du tarif Hors Taxe, à l'exclusion de toute remise de fin d'année, ristourne pour enlèvement à domicile ou escompte pour paiement comptant" ;

Que suite à ce contrôle, la DGCCRF établissait le 21 juin 1990 un procès-verbal de délit pour infractions aux articles 31 et 34 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 à l'encontre de Christian X et Bernard Y, pris en leurs qualités respectives de Président Directeur Général et Directeur des ventes de la SA Z ;

Considérant que la Cour ne saurait suivre les prévenus en leur argumentation ;

SUR LES FAITS D'INFRACTION A L'ARTICLE 31 DE L'ORDONNANCE N° 86-1243 DU 1ER DECEMBRE 1986

Considérant que la société Z affirme ne pas uniquement subordonner à un engagement de chiffres d'affaires le bénéfice des remises consenties mais qu'il est également soumis au respect, par le grossiste des conditions qualitatives qui sont exigées de lui ;

Qu'elle entend ainsi considérer ces ristournes comme constituant la rémunération de "Services" ;

Considérant cependant que le taux de la remise est fonction du montant de commande sur lequel s'engage le grossiste avant le 15 février;

Que des termes du contrat cette commande est annuelle, ferme et irrévocable et ne nécessite aucune confirmation de l'acheteur;

Qu'au surplus, Bernard Y, lors de l'enquête, a précisé que la non réalisation du chiffre d'affaires est du fait de Z pour rupture de stocks et que quand bien même le chiffre d'affaires réalisé est différent de l'engagement initial, le taux de remise initialement déterminé ne s'en trouve pas pour autant affecté;

Considérant que l'examen des comptes de 5 concessionnaires a mis en évidence que le taux de remise initialement prévu était effectivement maintenu quand bien même les grossistes avaient réalisé moins de 50 % de chiffre d'affaires initialement prévu;

Considérant que la Cour observe que cette seule constatation suffit à rejeter le caractère conditionnel que la société Z veut donner à cette ristourne qui ne se trouve soumise en fait ou en droit à aucun aléa et qui est de principe acquis dès la signature du contrat;

Considérant, au surplus que les trois autres conditions prévues au contrat auxquelles la société Z entend subordonner l'octroi de la remise, à savoir, intervention exclusive du concessionnaire sur la clientèle qui lui est réservée, non commercialisation de contrefaçons et règlement des sommes dues à l'échéance, ne peuvent être considérées comme des services spécifiques rendus par les concessionnaires puisqu'elles ne vont pas au delà des simples obligations résultant des achats et des ventes, pas plus qu'elles ne sont des obligations particulières exorbitantes des relations contractuelles habituelles;

Considérant que la ristourne est certaine en son principe puisque les conditions à remplir ne sont pas aléatoires et hypothétiques mais relèvent strictement de la volonté des grossistes de bien exécuter les termes du contrat qu'il a conclu;

Considérant que cette ristourne est chiffrable puisqu'exprimée en valeur relative en fonction d'une base de calcul déterminée, à savoir un taux unique sur le montant des livraisons effectuées;

Qu'en conséquence, la société Z avait l'obligation de faire figurer sur ses factures l'intégralité des remises liées à la réalisation des achats faisant l'objet d'un engagement ferme du concessionnaire;

SUR LES FAITS D'INFRACTION A L'ARTICLE 34 DE L'ORDONNANCE N° 86-1243 DU 1ER DECEMBRE 1986

Considérant que le prix d'achat effectif, tel que défini par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 (article 1er Loi n° 63-628 du 2 juillet 1963) qui réprime la revente à perte, est présumé être le prix porté sur la facture d'achat, majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et, le cas échéant, du prix du transport ;

Considérant que la présomption de l'article 32 de l'ordonnance précitée n'étant qu'une présomption simple, le revendeur peut s'exonérer de toute poursuite en apportant la preuve contraire ;

Que cependant, cette preuve n'étant pas, dans les faits, toujours aisée à apporter, le revendeur est naturellement incité, pour fixer son prix de revente, à se référer au prix porté sur la facture d'achat de son fournisseur ;

Qu'en l'espèce, les termes de l'article 6 du contrat qui imposaient aux concessionnaires agréés de vendre les articles Z sur la base minimum de tarif hors taxe, à l'exclusion de toute remise, ne leur laissaient en réalité aucun choix;

Que le dispositif mis en place avait inévitablement pour effet de limiter la liberté commerciale de ces intermédiaires en leur imposant un prix de revente égal au tarif de base Z;

Qu'en agissant ainsi, les responsables de la société Z ont, sans conteste, contrevenu aux dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

SUR LA RESPONSABILITE PENALE

Considérant que la Cour est convaincue que Christian X et Bernard Y, en leurs qualités respectives de Président et de Directeur des ventes de la SA Z ont chacun participé à la politique commerciale suivie par la société Z vis-à-vis de ses concessionnaires agréés et qu'ils se sont ainsi personnellement rendus auteurs des infractions visées à la prévention ;

Considérant que vainement, les prévenus soutiennent qu'on ne peut leur reprocher simultanément, sur la base de faits identiques, des infractions aux articles 31 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'en effet, il ne s'agit pas de faits identiques poursuivis sous deux qualifications différentes mais de faits distincts, la teneur critiquable de l'article 6 du contrat liant Z au concessionnaire caractérisant à elle seule l'infraction à l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dont les éléments constitutifs sont différents de ceux de l'infraction prévue à l'article 31 du même texte ;

Considérant que les dispositions nouvelles de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ne sont aucunement plus douces mais au contraire plus sévères puisqu'elles prévoient, en matière de facturation non conforme, une amende d'un montant plus élevé et autorisent désormais la recherche de la responsabilité pénale des personnes morales qui n'exclut par ailleurs aucunement celle des personnes physiques auteur ou complice des mêmes faits;

Considérant qu'il convient de confirmer le jugement déféré sur les déclarations de culpabilité et sur les peines d'amende infligées qui constituent une juste application de la loi pénale, parfaitement adoptée à la relative gravité des agissements commis et à la personnalité de chaque prévenu ;

Qu'il y a lieu également de confirmer la décision critiquée en ce qu'elle a déclaré la société Z solidairement responsable des amendes prononcées contre les prévenus ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges qu'elle adopte expressément ;

LA COUR : Statuant publiquement et contradictoirement ; Rejette les conclusions de relaxe des prévenus et celles de mise hors de cause de la société Z ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.