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Décisions

CA Versailles, 9e ch., 6 avril 1994, n° 303

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

DGCCRF, Ministère Public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Limoujoux (faisant fonction)

Conseillers :

M. Franck, Mme Delafollie

Avocat :

Me Meffre.

TGI Nanterre, 15e ch. corr., du 30 mars …

30 mars 1993

LA COUR,

Considérant que X Louis, en sa qualité de directeur général des ventes de la société Y est prévenu d'avoir à Neuilly-sur-Seine (92), courant 1991, fait des achats, des ventes ou des prestations de service pour une activité professionnelle, facturation non conforme en ne faisant pas apparaître dans ses factures toutes les ristournes consenties ; faits prévus et réprimés par les article 31 al. 2, 3, 31 al. 4, 55 al. 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Que par jugement du tribunal correctionnel de Nanterre en date du 30 mars 1993, X Louis a été déclaré coupable pour défaut de mention sur factures de trois rabais, remises ou ristournes et condamné à une amende de 70.000 F, la société Y a été déclaré civilement responsable ;

Que les appels, principal du prévenu et civilement responsable, incident du Ministère Public, en date du 6 avril 1993, sont recevables comme interjetés dans les délais et forme de la loi ;

Considérant qu'il résulte du procès-verbal dressé le 29 janvier 1992, de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Côtes d'Armor, qu'il avait été constaté le 7 juin 1991, sur contrôle du GIE Base de Rostrenen, portant sur divers produits lessiviels Ariel 5 kg, Vizir 3 l, et visant à déterminer le prix d'achat effectif des produits considérés, après communication :

- des factures,

- des conditions générales de ventes pour 1991,

- des accords Y - Z pour 1991,

- des plannings promotionnels des deux premiers trimestres 1991.

Que dans les accords Y - Z était prévue, hors conditions générales de vente, une rémunération spéciale distribution de 625.000 F par trimestre pour mise sur cadencier des marques principales et incitation des adhérents Z (les bases Z) à exposer en bonne place la gamme Lenor et la marque Bonux Liquide ;

Que, dans les conditions générales de ventes, étaient prévues :

1) une ristourne de bon paiement de 0,25 % si le délai moyen pondéré de paiement du trimestre est conformé au délai choisi (en l'espèce 45 jours),

2) une ristourne de régularité de 1,25 % pour approvisionnement régulier des marques soutenues à la télévision et paiement des factures selon le délai convenu ;

Considérant qu'il était reproché que deux factures relevées comme litigieuses, n° 340830 et 342987 du 28 mars 1991, ne contenaient pas mention des ristournes ci-dessus visées ;

Considérant que la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes remarquait en outre :

1) qu'en vertu de l'article 33 alinéa 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, les conditions de ventes " comprennent les conditions de règlement et le cas échéant les rabais et ristournes ",

2) que l'article 33 alinéa 3 de la même ordonnance précise que les conditions dans lesquelles un distributeur se fait rémunérer par ses fournisseurs en contrepartie de services spécifiques doivent être écrites,

3) que les seuls " services spécifiques " appelés " coopération commerciale " par la circulaire Delors du 22 mai 1984 peuvent ne pas figurer dans les conditions générales de vente ; qu'ils doivent être entendus comme allant au-delà des simples obligations résultant des achats et des ventes ;

Que les objectifs poursuivis par l'accord Spécial Distribution sont des objectifs généraux qui ne peuvent pas être considérés comme des obligations particulières exorbitant des relations contractuelles habituelles ;

Qu'il est observé que l'avantage Spécial Distribution ne rémunère pas un service spécifique rendu par Z à Y par rapport à d'autres groupes de distributeur car, d'une part, la pratique du cadencier, ou tout autre support concrétisant le référencement n'est pas propre au groupe Z, d'autre part, l'effort de mise en avant de ses produits doit normalement être demandé par Y à tous ses distributeurs qui d'ailleurs exposent tous les lessiviels de toutes marques au rayon " détergents ", ce qui ne saurait constituer un emplacement privilégié ; que le cadencier constitue la concrétisation matérielle du référencement ; que, catalogue de produits susceptibles d'être commandés, sur incitation de la centrale Z, par les Bases Z, le cadencier n'est pas un support publicitaire mais un document interne servant à la prise de commande ;

Que l'acte d'achat englobe à la fois la commande par les bases et la négociation des conditions d'achat intervenant en amont, ce alors que les Bases Z ne disposent d'aucune latitude relativement aux conditions d'achat, négociés en amont par la centrale Z ;

Qu'en conséquence, il y avait infraction ; que le tribunal a retenu comme constituée la qualification de rabais, remise ou ristourne au sens de l'article 31 de l'ordonnance 86-1243 et à ce titre devant apparaître dans les factures du fournisseur ;

Considérant, sur l'avantage Spécial Distribution, que la défense, qui précise qu'aux termes des accords commerciaux, il se monte à 625.000 F par trimestre, est versé à Z au vu d'une facture de prestation de service émise par celle-ci, fait valoir que la présence ou non sur la facture du fournisseur dépend de la justification qu'un tel avantage financier appartient ou non à la catégorie des services rendus par l'un des partenaires du fournisseur ;

Que le tribunal a éludé la qualification de ce service et l'à, à tort, assimilé à une banale réduction de prix ;

Qu'une telle rémunération d'un service de référencement qui comprend de la part de Z, d'une part une obligation d'informer ses adhérents, en l'espèce les bases Z régionales qui fournissent les magasins, pour acquérir les produits aux conditions négociées, et mise sur un " cadencier ", d'autre part une incitation à une exposition privilégiée de produits spécifiés pour l'année 1991, n'a pas à figurer sur les factures de vente des produits émises par Y ;

Que le service non spécifique, en l'espèce, étant soumis aux dispositions de l'article 33 alinéa 1 de l'ordonnance 86-1243 et par conséquent à l'obligation de communication des barèmes à tout fournisseur qui en fait la demande, et n'avait à figurer que sur une facturation du distributeur et non sur celle du fournisseur ;

Qu'elle conclut que cette rémunération ne constitue pas une réduction de prix au profit du destinataire de la facture, qu'elle doit faire l'objet de l'émission d'une facture par le prestataire de service et ne saurait faire l'objet en outre d'une mention sur la facture du fournisseur ;

SUR L'AVANTAGE SPECIAL DISTRIBUTION :

Considérant que la poursuite est fondée sur l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui impose la mention, sur facture, d'un certain nombre de renseignements parmi lesquels tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service ..., et non pas sur une éventuelle violation de l'obligation de communiquer le barème de prix et les conditions de vente ;

Qu'il y a lieu d'observer que, des deux factures, objets des poursuites, seule la facture n° 342987 contient la référence de deux produits de la " gamme Lenor " alors que le produit Bonux visé ne concerne que des paquets au poids de poudre et non du " Bonux Liquide " ;

Considérant que la détermination du prix d'achat n'est pas maîtrisée par la Base Z, maître de la seule commande ;

Que le prix négocié entre Z et Y est fonction de diverses conditions, promotions, quantités commandées, etc, et notamment de conditions de règlement à l'échéance, de régularité d'approvisionnement des produits objets de publicités à la télévision, de la bonne exposition à la vente ;

Que l'acte d'achat englobe à la fois la commande par les Bases et la négociation des conditions d'achat intervenant en amont ;

Que le référencement est le mode normal de mise en œuvre des relations commerciales avec la grande distribution, est une condition directement liée à l'achat; que la mise sur cadencier ne constitue que la concrétisation matérielle de ce référencement; que le cadencier n'est pas un support publicitaire mais un document interne servant, notamment, à la prise de commande, ainsi que l'a observé la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ;

Qu'en l'espèce Z ne rend pas à Y un service spécifique constituant une obligation exorbitante des relations contractuelles habituelles conclues avec l'ensemble des fournisseurs du groupe;

Considérant qu'il importe peu que Y et Z aient cru pouvoir prévoir que Z serait rémunéré d'une prestation de service à hauteur de 625.000 F par trimestre ;

Que, en demandant une incitation à la commande et une incitation à l'exposition privilégiée, Y bénéficie d'avantages matériels par rapport aux fournisseurs concurrents dans les mêmes gammes; que cet avantage lui est offert par les Bases directement et non par la Centrale, au même titre que la régularité des approvisionnements des produits objets de publicité télévision, qui, elle, fait l'objet d'une ristourne ;

Considérant que l'avantage " Spécial Distribution " n'est pas analysable en une prestation de service non spécifique, mais doit être qualifié de condition particulière d'achat en fonction des conditions particulières de mise en vente par les Bases, selon les négociations de la centrale en début d'exercice ;

Qu'à ce titre, toute remise, même évaluée forfaitairement, même non proportionnelle au chiffre d'affaires net, doit figurer sur la facture de la Base qui applique les incitations de la centrale ;

Considérant que l'avantage Spécial Distribution devait être considéré comme étant une condition de vente qui comprenne les conditions de règlement, rabais et ristournes au sens de l'article 33 alinéa 1 de l'ordonnance 86-1243 ;

Considérant qu'il convient d'examiner si cet avantage Spécial Distribution, si les ristournes de régularité et de bon paiement devaient figurer sur les factures pour être de principe acquis et de montant chiffrable ;

SUR LES CARACTERES DE PRINCIPE ACQUIS ET DE MONTANT CHIFFRABLE DES REMISES-RABAIS-RISTOURNES :

Considérant que la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes estime qu'en vertu de l'article 31 de l'ordonnance 86-1243 qui dispose que la facture doit mentionner tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente, quelle que soit leur date de règlement, que les deux ristournes de bon paiement et de régularité devaient figurer sur les factures ;

pour être d'une part de principe acquis, car en effet une relation commerciale normale suppose le respect des conditions de paiement, ainsi qu'il résulte du Code civil et des conditions propres à Y qui s'est assuré du respect des délais de paiement en introduisant une clause pénale, la possibilité de sanctionner le manquement à l'exécution normale du contrat,

pour être de montant chiffrable car calculées en pourcentage du chiffre d'affaires net et de montant déterminable à chaque facturation ;

Considérant que s'agissant des ristournes de régularité et de bon paiement, que Y qualifie de conditionnelles pour être liées au respect effectif des délais de paiement appréciés par trimestre parce que leur non-respect est sanctionné par la perte de la ristourne de bon paiement et la réduction de la ristourne de régularité et parce que, assises sur le montant facturé (régularité) ou payé (bon paiement) pendant le trimestre, elles ne sont pas chiffrables au moment de la vente,

La direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes remarque :

que l'octroi des ristournes est lié au respect des délais de paiement, que le caractère conditionnel de ces avantages suppose donc que les délais de paiement soient eux-mêmes conditionnels ;

que les modalités de règlement sont exposées par le fournisseur dans ses conditions générales de vente qui prévoient deux modes de paiement - comptant (en réalité 15 jours) - à terme (30 ou 45 jours nets) ;

qu'en l'espèce, les parties sont convenues d'un paiement à 45 jours nets ;

mais qu'il n'y a aucun caractère conditionnel,

parce que des conditions générales de vente, il résulte que le fait même de nouer des relations commerciales implique l'adhésion auxdites conditions et par conséquent l'obligation de respecter les délais convenus,

parce que l'obligation principale de l'acheteur est le paiement aux jour et lieu convenus,

parce que le terme diffère de la condition en ce qu'il ne suspend point l'engagement dont il retarde seulement l'exécution ;

Considérant que selon la défense, le principe ne serait acquis que lorsque la condition dont elles sont assorties est remplie,

Que le mécanisme des deux ristournes est expliqué au dos des tarifs de Y, adressés aux clients, ainsi à Z le 28 janvier 1991 pour le cas d'espèce,

Que les deux ristournes ont une condition commune : le strict respect par le distributeur du délai de paiement convenu apprécié par trimestre,

Que l'assiette de la ristourne est :

- le montant net HT de toutes les factures établies durant le trimestre concerné pour la ristourne de régularité,

- le montant net HT des factures payées pendant la période (trimestre) pour la ristourne de bon paiement,

que la sanction est :

- la perte de la ristourne pour la remise de bon paiement,

- la réduction de la ristourne de régularité calculée par facture à raison de 0,04 % par jour de retard à partir de la date d'échéance,

que le principe ne serait pas acquis avant la fin du trimestre, les conditions n'étant pas remplies avant cette fin,

qu'enfin, le montant ne serait pas non plus chiffrable avant la fin du trimestre puisque le chiffre des factures établies ou payées dans le trimestre est bien évidemment inconnu avant le dernier jour du trimestre ;

Considérant que la société Y fait aussi valoir que la mise en œuvre du mécanisme des remises, à savoir l'émission d'un état informatique trimestriel pour chaque client qui fait apparaître :

- le délai moyen pondéré réel de paiement du client,

- la remise avec émission d'un avoir si le délai de paiement est inférieur ou égal au délai convenu plus un jour,

- l'absence de remise pour bon paiement et de la réduction pour la régularité pour les factures payées hors délai,

n'autorisait pas à qualifier les deux ristournes de " montant chiffrable " ;

Mais considérant qu'il est exigé que le montant soit chiffrable et non pas qu'il soit chiffré ;

Considérant que les délais de paiement ne présentent pas de caractère conditionnel et les remises qui s'y attachent doivent être considérées comme de principe acquis ;

Que c'est à tort que la société Y déduit du non versement de la ristourne de bon paiement et de la réduction de la ristourne de régularité un aspect conditionnel, ces dispositions visant à sanctionner seulement les éventuels manquements du co-contractant ; qu'en effet, ces ristournes, dès la réception des produits et leur mise en vente, ont une affectation de prix de vente, déterminé par lesdites ristournes ;

Qu'il faut voir dans les dispositions de suppression ou de réduction une clause pénale destinée à assurer l'exécution de la convention initiale de début d'exercice (article 1226 du code civil) et la compensation des dommages, que le créancier souffre de l'inexécution de l'obligation principale (article 1229 du code civil) ;

Que le respect de la convention est le principe ou la normalité de la relation contractuelle, sur lequel se fait la détermination du réel prix de vente aux consommateurs par le distributeur ;

Considérant que la remise " Spécial Distribution " est de principe acquis dès lors que son droit à ouverture résulte de la commande du ou des produits figurant sur le cadencier mensuel par la Base Z ;

Que sa non-attribution ou sa réduction en fin de trimestre ne pourrait dépendre que d'un constat de non présentation avantageuse, et constitue là encore la sanction de l'inexécution partielle de l'engagement initial de début d'exercice, relatif à l'exposition avantageuse, laquelle non définie spécifiquement ne doit pas, en l'espèce, être différenciée des autres avantages d'exposition tels ceux prévus par l'avantage de régularité attribué à d'autres produits du même fournisseur ;

Considérant que la ristourne de " bon paiement " vise à rémunérer le paiement aux échéances ;

qu'elle est exprimée en pourcentage du chiffre d'affaires net HT, est l'objet d'une adhésion par le distributeur acheteur qui, en contractant, adhère aux conditions générales de vente qui le prévoit et s'engage à respecter ses obligations normales,

qu'elle est déterminable pour chacune des factures émises par le fournisseur Y,

qu'elle est de principe acquis et de montant chiffrable (qui peut être chiffré),

qu'elle n'est en aucun cas conditionnelle comme étant sans rapport avec un quelconque événement futur et incertain,

que par contre la ristourne est réglée à terme ; selon la convention, elle est liquidée en chaque fin de trimestre ;

Considérant que la ristourne de " régularité " est accordée pour approvisionnement régulier des marques soutenues à la télévision et paiement des factures selon le délai convenu ;

que sur la deuxième branche de la modalité de l'accord de cette ristourne, l'analyse est identique au point 2 ci-dessus ;

que sur la première branche, il apparaît qu'à chaque nouvelle facture correspondant à un nouvel approvisionnement, le distributeur et le fournisseur sont à même d'apprécier la régularité de l'approvisionnement des marques soutenues à la télévision tant par rapport à la convention de début d'exercice, que par comparaison au(x) trimestre(s) précédent(s),

d'autant que le fournisseur accorde sur facture une remise de suivi promotionnel (4,5 %) pour répercussion, aux consommateurs, du programme promotionnel selon les cycles et quantités préalablement convenus et que les produits sont en promotion au minimum deux mois sur trois ;

que par conséquent, le fournisseur est assuré d'un approvisionnement régulier ;

qu'en ces deux branches, d'application cumulative, cette ristourne est de principe acquis et de montant chiffrable ;

Considérant que les trois ristournes - remises - rabais ci-dessus répertoriées devaient en application de l'article 31 de l'ordonnance 86-1243 figurer sur les factures litigieuses ;

Considérant que c'est vainement que la défense fait valoir que les ristournes de bon paiement et de régularité seraient énoncées au dos de la facture, ce dont la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'aurait pas tenu compte alors qu'elles n'y sont énoncées que comme principe conditionnel des conditions de vente, ne sont pas spécifiquement visées, pour chaque produit objet de la facture, comme le sont d'autres ristournes, en regard du produit facturé ;

Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme, Dit les appels recevables ; Au fond, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions tant à l'égard de X qu'à l'égard de la société Y déclarée civilement responsable.