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Décisions

CA Versailles, 8e ch., 25 janvier 1996, n° 64

VERSAILLES

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gallet

Conseillers :

M. Marill, Mme Duno

Avocat :

Me Meffre.

TGI Nanterre, 15e ch. corr., du 30 mars …

30 mars 1993

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LE JUGEMENT

Par jugement en date du 30 mars 1993, le Tribunal Correctionnel de Nanterre a déclaré X Louis coupable de :

- achat, vente, prestation de service pour une activité professionnelle, facturation non conforme,

- à Neuilly-Sur-Seine, courant 1991,

Faits prévus et réprimés par les articles 31 al. 2 3 Ordonnance 86-1243 du 01/12/1986, Art. 55 al. 1 Ord. 86-1243 du 01/12/1986.

- l'a condamné à payer une amende de 70.000 F.

- a déclaré la société Y civilement responsable.

APPELS

Appel a été interjeté par :

- X Louis et la société Y, le 6 avril 1993,

- le Ministère public, le 6 avril 1993,

Arrêt de la cour d'appel de Versailles (9e Chambre) du 6 avril 1994

Par arrêt rendu en date du 6 avril 1994, la Cour d'appel de Versailles :

- a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions tant à l'égard de X qu'à l'égard de la société Y déclarée civilement responsable.

Pourvoi formé par Maître Fievet Avoué, le 11 avril 1994.

Arrêt de la Cour de cassation, Chambre criminelle du 27 février 1995

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés,

- a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Versailles, du 6 avril 1994 ;

Et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi,

- a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DECISION

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant:

Par arrêt rendu le 27 février 1995, la cour de cassation a cassé l'arrêt en date du 6 avril 1994 de la cour de Versailles et a renvoyé l'affaire devant la même cour autrement composée.

Le jugement déféré est intervenu sur les poursuites exercées par le ministère public à l'encontre de Louis X, directeur général des ventes de la société Y, sous la prévention d'avoir, à Neuilly-Sur-Seine, courant 1991, fait des achats, des ventes ou des prestations de service pour une activité professionnelle avec une facturation non conforme, en ne faisant pas apparaître dans ses factures toutes les ristournes consenties, faits prévus et réprimés par les articles 31 al. 2, 3, 4 et 5, et 55 al. 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.

Devant la cour, par conclusions déposées le 30 novembre 1995, Louis X, qui, par lettre adressée, le 27 novembre 1995, au président de la cour, a demandé à être jugé en son absence, conformément à l'article 411 du code de procédure pénale, et la société Y, tous deux appelants principaux des dispositions pénales et civiles du jugement, soutiennent que l'original des deux factures litigieuses comporte les mentions afférentes à toutes les ristournes pratiquées, et font valoir que la ristourne de bon paiement au jour de la facture n'était pas acquise dans son principe au distributeur lors de l'émission de ladite facture et que la ristourne de régularité n'était pas d'un montant chiffrable à la même date. En outre, ils indiquent que l'avantage "spécial distribution" est la rémunération de la mise sur cadencier, c'est-à-dire d'un référencement, et de l'incitation à favoriser deux marques par un emplacement permanent et privilégié dans les magasins, qui doivent être considérés comme des services spécifiques rendus par la centrale d'achat Z, indépendante des bases ou points de vente utilisant l'enseigne Z. En conséquence, ils demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du Tribunal susvisé et statuant à nouveau,

Vu les dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 01/12/1986,

- constater que la ristourne dite "de bon paiement" qui figure aux conditions générales de vente n'est pas systématiquement payée par le fournisseur,

- dire en conséquence que le principe n'en est pas acquis lors de l'émission de la facture,

- constater que le mode de calcul de la ristourne dite "de régularité" qui prévoit des agios en déduction du montant de la ristourne ne permet pas d'en déterminer le montant lors de l'émission de la facture,

- dire en conséquence que le montant n'en est pas chiffrable,

- dire que les ristournes susvisées n'avaient pas lieu de figurer sur les factures 340830 et 342987 du 28 mars 1991,

- relaxer Monsieur X de ce chef des poursuites,

- constater que la rémunération "spécial distribution" constitue la rémunération d'un service de référencement,

- constater que ledit service n'est pas rendu par l'acheteur,

- dire en conséquence que ledit service n'avait pas lieu de figurer sur les deux factures susvisées de Y destinées à l'acheteur.

- relaxer de ce second chef des poursuites Monsieur X.

Le ministère public, appelant incident, requiert la confirmation de la décision entreprise.

Sur ce

Considérant que les appels, régulièrement interjetés dans les formes et délais légaux, sont recevables ;

Considérant que, selon les dispositions de l'article 31 al. 3 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, toute facture doit mentionner notamment tous les rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service, quel que soit leur date de règlement ;

Considérant qu'il résulte du procès-verbal dressé le 29 janvier 1992, de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Côtes d'Armor, qu'il avait été constaté, le 7 juin 1991, lors d'un contrôle du GIE W (base Z), portant sur les produits lessiviels A 5 Kgs, B 3 L fournis par la société Y, et visant à déterminer le prix d'achat effectif des produits considérés, après communication et examen des factures, des conditions générales de ventes pour 1991, des accords Y - Z pour 1991 et des plannings promotionnels des deux premiers trimestres 1991, que :

- d'une part, dans les accords de coopération entre Y et Z, était prévue, hors conditions générales de vente, une rémunération appelée "spécial distribution" de 625.000 F par trimestre pour mise sur les cadenciers mensuels de Z des marques principales Détergents-Produits d'entretien de Y, et incitation des adhérents Z, à savoir les bases ou points de vente Z, à exposer en bonne place et en permanence la gamme L et la marque C, rémunération qui devait être versée au vu d'une facture de prestations de service émise par Z,

- et d'autre part, deux factures n° 340830 et 342987 du 28 mars 1991 ne contenaient la mention ni des ristournes prévues dans les conditions générales de vente, à savoir une ristourne de bon paiement de 0,25 % si le délai moyen pondéré de paiement du trimestre est conforme au délai choisi, en l'espèce 45 jours, et une ristourne de régularité de 1,25 % pour approvisionnement régulier des marques soutenues à la télévision et paiement des factures selon le délai convenu, ni l'avantage "spécial distribution" ci-dessus évoqué ;

Sur la nature de rabais, remise ou ristourne de la rémunération " spécial distribution " :

Considérant que pour contester la nature de rabais, remise ou ristourne de la rémunération trimestrielle de 625.000 F, appelée "spécial distribution" et prévue dans les accords conclus entre Z et la société Y, Louis X et cette dernière société soutiennent que cette rémunération, dont il est précisé qu'elle sera versée au vu d'une facture de prestation de service émise par Z, correspond à un service spécifique caractérisant une coopération commerciale et consistant, d'une part, à faire figurer sur les cadenciers mensuels de Z, documents propres à cette centrale et diffusés auprès des points de vente ou bases à l'enseigne Z, les produits de la société Y, et à organiser ainsi une information incitative sur les produits référencés auprès des acheteurs, et d'autre part, à inciter ces mêmes acheteurs à une exposition permanente et privilégiée de deux produits particuliers; qu'ils ajoutent que Z est une personne morale distincte des points de vente à l'enseigne Z, qui sont des distributeurs indépendants et qui n'avaient pas de raison de voir figurer sur leurs propres factures d'achat la rémunération d'un service dont ils n'étaient pas les prestataires;

Maisconsidérant que la mention de l'ensemble des marques principales Détergents-Produits d'entretien de la société Y sur les cadenciers mensuels de Z, qui se qualifie elle-même de centrale de référencement, constitue, en l'espèce, la simple énumération des produits de la première société parmi ceux dont la seconde assurait le référencement dans un document récapitulatif et informatif, d'usage courant dans la grande distribution de la part des centrales de référencement, et destiné aux acheteurs-distributeurs pour qu'ils puissent passer leurs commandes, sans action particulière de publicité ou d'incitation à l'achat; que Louis X et la société Y ne rapportent pas la preuve et ne prétendent d'ailleurs pas que Z ne consentait pas à référencer de façon systématique la totalité de la gamme des autres producteurs dont les produits figuraient également sur les mêmes cadenciers;

Considérant que l'incitation des adhérents de Z - incitation dont les modalités ne sont pas définies - à exposer en bonne place et en permanence deux des produits de la société Y, dont le choix procède de cette dernière, si elle s'inscrit dans le cadre de la politique commerciale de celle-ci, concourt simplement à la poursuite et à la réalisation des objectifs généraux d'intérêt commun qui président aux relations commerciales des deux sociétés, et entre, à ce titre, dans l'obligation d'exécution de bonne foi de leur engagement contractuel réciproque; qu'elle ne traduit aucune action particulière, notamment publicitaire ou promotionnelle, de la part de Z; qu'au demeurant, il n'est pas justifié par les appelants de l'accomplissement d'une incitation effective démontrant la réalité d'un service;

que, dans ces conditions, le versement trimestriel de la somme de 625.000 F prévu dans les accords entre Z et la société Y ne constitue pas la rémunération d'un service spécifique de la centrale Z, dont l'existence n'est pas établie, mais s'analyse en une ristourne consentie en fonction des modalités particulières de mise en vente au public agréées et pratiquées par les points de vente à l'enseigne Z;

Sur le caractère acquis du principe et chiffrable du montant des rabais, remises et ristournes :

Considérant que, eu égard aux caractéristiques, ci-dessus précisées, la ristourne "spécial distribution", est d'un montant chiffré et est manifestement acquise en son principe puisque les conditions en sont précisées et que son non-paiement est seulement subordonné à la non-réalisation de ces conditions ; qu'elle devait donc figurer sur les factures litigieuses, étant relevé qu'elle faisait partie des conditions de vente obtenues auprès de la société Y par la centrale Z et devait être reversée aux adhérents-distributeurs selon des modalités qu'il appartenait au fournisseur et à la centrale de définir ;

Considérant que le principe des ristournes de bon paiement et de régularité est également acquis ;

qu'en effet, les conditions d'obtention de l'une et de l'autre sont parfaitement déterminées et font partie de l'engagement contractuel négocié et conclu entre le fournisseur référencé, en l'espèce la société Y, et la centrale de référencement, Z ; que cet engagement contractuel bénéficie et s'impose à l'adhérent-distributeur qui obtient effectivement les ristournes dès lors que les conditions stipulées sont réalisées ;

qu'en outre, lors de l'exécution du contrat, de vente distinct conclu directement entre le fournisseur et l'adhérent-distributeur, s'appliquent précisément les clauses destinées à garantir le respect des obligations de ce dernier quant au paiement du prix des factures dans le délai convenu de 45 jours, condition stipulée pour l'obtention de l'une et l'autre ristournes ; qu'ainsi, indépendamment du principe de l'exécution des obligations contractuelles conformément à ce qui est voulu par les parties, une stipulation des conditions générales de vente, qui s'analyse en une clause pénale, prévoit la perte de la ristourne de bon paiement et la réduction proportionnelle de la ristourne de régularité, en cas de retards de paiement des factures ;

que, dès lors, le principe de ces ristournes, dont les conditions d'obtention étaient précisées et vérifiables, se trouvait bien acquis et seul leur versement effectif était conditionnel, étant souligné que la certitude de la réalisation de la condition de paiement des factures dans le délai expressément fixé était renforcée et garantie par la stipulation d'une clause pénale ;

Considérant que le montant en est également parfaitement chiffrable, sinon chiffré, dès lors que le taux, la période retenue et l'assiette en sont déterminés, tant pour la ristourne de bon paiement que pour la ristourne de régularité ; que, pour cette dernière, l'imputation éventuelle d'une réduction consécutive à des retards de paiement de factures ne la rend pas pour autant non chiffrable puisque les modalités de calcul de cette réduction sont définies avec précision dans les documents contractuels, à savoir 0,04 % par jour de retard appliqué facture par facture ;

que, dans ces conditions, lesdites ristournes devaient figurer sur les factures n° 340830 et n° 342987, objet du procès-verbal de la direction de la concurrence et visées dans les poursuites ;

qu'à cet égard, l'allégation des appelants selon laquelle l'original des factures comporte au verso les mentions afférentes à toutes les ristournes, est sans portée sur la constitution de l'infraction ; que, s'il est exact que sont rappelées au verso des factures les conditions d'obtention des ristournes de régularité et de bon paiement par référence aux conditions générales de vente, leur montant "pour mémoire" ou, à tout le moins, la formule de calcul comprenant le taux et l'assiette ne sont pas mentionnées dans la colonne appropriée, au recto, comme cela est le cas pour les autres ristournes ou remises consenties par la société Y ;

Considérant que les premiers juges ont donné aux faits leur exacte qualification juridique, laquelle se trouve caractérisée en tous ses éléments constitutifs ;

qu'ils en ont tiré les justes conséquences en ce qui concerne la peine prononcée à l'encontre de Louis X, compte tenu de l'importance qui s'attache au respect de la transparence des pratiques commerciales en matière de détermination du prix ;

qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de Louis X et de la société Y, déclare les appels recevables, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en application des articles 31 al. 2, 3, 4 et 5, et 55 al. 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, prononce, en tant que de besoin, la contrainte par corps à l'encontre de Louis X.