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Décisions

CA Versailles, 9e ch. corr., 27 mai 1993, n° 474

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Benmakhlouf

Conseillers :

Mmes Liauzun, Delafollie

Avocat :

Me Matteoli.

TGI Nanterre, 15e ch., du 15 sept. 1992

15 septembre 1992

LA COUR,

Statuant sur l'appel principal de X Bruno et de [la société] Y, ainsi que sur l'appel incident du Ministère Public ;

Considérant que Monsieur X Bruno est prévenu d'avoir à Bagneux (92) courant février, mars et avril 1991, vendu un produit en tant que commerçant à un prix inférieur à son prix de revient, en l'espèce des vidéos cassettes pour un prix total de 127 F les deux, faits prévus et réprimés par les articles 1 II de la loi 63-628 du 2 juillet 1963, 55 alinéa 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Que par jugement du 15 septembre 1992, le tribunal correctionnel de Nanterre rejetait les exceptions préjudicielles et d'alignement soulevées, déclarait Bruno X coupable et le condamnait à 50.000 F d'amende ; qu'il déclarait la société Y civilement responsable et que, relevant l'absence de justification sur la capacité et la qualité à agir du Syndicat Vidéo Indépendant Région Nord et l'absence de preuve sur le préjudice subi, déclarait ledit syndicat irrecevable en sa constitution de partie civile ;

Considérant que les appels, régulièrement interjetés dans les délais légaux, sont recevables en la forme ;

Considérant que le prévenu fait valoir qu'il y aurait illégalité dans le texte fondant la poursuite en ce qu'il serait contraire aux dispositions des articles 3 f, 5 et 30 du Traité de Rome ou qu'il y aurait lieu, à tout le moins, à poser à la Cour de Justice des Communautés Européennes la question de la compatibilité entre le texte de l'article 32 de l'ordonnance 86-1243 et le Traité de Rome ;

Que subsidiairement, le prévenu fait valoir que l'opération critiquée serait une " tentative " du délit, non punissable comme non prévue par le texte, que l'opération critiquée serait indissociable de l'ensemble d'un schéma d'adhésion et faisant enfin valoir qu'il entrait dans les prévisions de l'alignement prévu à l'article 1 II de la loi 63-628 ;

Considérant que par lettre du 19 septembre 1990, Vincent, responsable du Syndicat Vidéo Indépendant Région Nord attirait l'attention de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur l'offre de Y, constituant selon lui une concurrence déloyale du distributeur ;

Considérant le 15 mai 1991, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes établissait un procès-verbal suite aux constatations faites les 12 février et 9 avril 1991 à la société Y à Bagneux, [adresse], dont les gérants sont Jean-Claude L et Gérard R et dont le directeur général est Bruno X, titulaire d'un pouvoir pour, de façon permanente, organiser et diriger les différents services administratifs, techniques et commerciaux de la société ;

Considérant que Y commercialise des vidéo K7 dans le cadre d'un système de club, prospectant sa clientèle depuis le 20 août 1990 par des annonces publicitaires parues dans des hebdomadaires de télévision tels que Télé Loisirs, Télé 7 Jours... (titre appartenant au Groupe Hachette, Y se présentait alors sous une sous-marque commerciale) ;

Considérant que le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes relève que chaque annonce propose en offre de bienvenue l'acquisition de deux vidéos K7, à choisir parmi un certain nombre variant selon les annonces de 25 à 50 titres, au prix de 99 F les deux, auquel s'ajoutent les frais d'envoi d'un montant de 28 F ; qu'en conservant les deux K7, le consommateur adhère au club ; qu'il recevra 6 fois par an le magazine du club et s'engage à acheter au moins trois autres K7 au prix Club par an pendant deux ans ;

Considérant que le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a fait valoir que cette offre contrevenait aux dispositions de l'article 1er I de la loi de finances 63-628 du 2 juillet 1963 modifiée par l'article 32 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 aux termes duquel est puni d'une amende de 5.000 à 100.000 F le commerçant qui revend un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif, lequel est présumé être le prix porté sur la facture d'achat, majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix de transport ;

Qu'il n'était pas contesté par Y que les vidéo K7 commercialisées par lui étaient achetées et revendues en l'état ;

Considérant que le procès-verbal de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes analysait les documents remis par Y :

- factures d'achat afférentes à une offre publicitaire diffusée fin août et courant septembre-octobre 1990 et un tableau reprenant pour cette annonce, en regard de chacun des titres offerts, leur prix de revient économique (c'est-à-dire le prix d'achat effectif hors taxes, toutes remises déduites) et dans la colonne Taux, la part des ventes réalisées sur chacune des K7 dans le cadre de cette offre publicitaire,

- un tableau mentionnant pour les 8 titres dont le pourcentage des ventes est supérieur à 5 %, représentant 52,59 % de l'ensemble des ventes, le prix d'achat unitaire, hors taxes, toutes remises déduites, qui, majoré de la TVA, constitue le seuil de la revente à perte tel que défini par la loi,

- un tableau reprenant pour chacun des 6 titres qui sur 25 dépassaient 5 % des ventes et 47,20 % de l'ensemble des ventes, sur une opération publicitaire leur prix unitaire TVA comprise ;

Que le procès-verbal concluait que, de l'examen de l'ensemble de ces documents, il résultait que l'addition, aux prix d'achat, TVA comprise, des K7 les plus vendues, de celui du second article choisi est, quel que soit le nombre de combinaisons possibles, généralement supérieure au prix de vente de 127 F (99 F + frais d'envoi de 28 F dont 9,11 F de coût réel de frais de transport) ;

Indivisibilité de l'offre de bienvenue de l'adhésion :

Considérant que les relations contractuelles décrites dans le procès-verbal sont une offre d'adhésion, insérée dans un journal, divisée en deux opérations indissociables l'un de l'autre :

- l'offre d'essai ou de bienvenue portant sur deux K7 (à 99 F les deux),

- en cas d'offre acceptée, matérialisée par la conservation des K7, l'engagement du client d'acheter au moins trois vidéo K7 au prix club par an, pendant deux ans;

Que si le client ne retient pas la proposition, il renvoie les K7 et le contrat n'est pas réalisé ;

Que si le client règle immédiatement à la commande 99 F et frais d'envoi, le contrat est immédiatement conclu et le client s'est, par là même, engagé à acheter au moins les six K7 sur les deux années qui suivent ;

Qu'il y a entre le consommateur et Y un contrat d'adhésion qui ne supporte aucune exception; qu'en cas de vente, ce seront, au moins, huit K7 qui seront vendues et non pas deux;

Qu'il n'a pas été établi, ni même allégué que sur cette opération unique exécutée en deux ans, le prix de revente de huit K7 soit inférieur au prix de revient de ces produits, schéma économique inconcevable car non-valable à brève échéance pour tout commerçant;

Considérant que l'examen de l'argument tiré de l'exception d'illégalité qui devrait conduire à la question préjudicielle d'atteinte au principe de la libre circulation de marchandises par cette législation française, à poser à la Cour de Justice des Communautés Européennes est par conséquent sans objet ;

Considérant que le procès-verbal relève que l'adhésion au Club entraîne l'abonnement gratuit à un magazine présentant plusieurs centaines de K7, six fois par an ; que le magazine propose la sélection du club qui est adressée au client sauf refus de sa part, formulé sur carte réponse jointe au magazine et retournée à Y ; que cette pratique contreviendrait aux dispositions de l'article R. 40-12° du code pénal prohibant l'envoi forcé, c'est-à-dire l'envoi à un destinataire, sans sa demande préalable, un objet quelconque accompagné d'une correspondance indiquant qu'il peut être accepté par lui contre versement d'un prix fixé ou renvoyé à son expéditeur, même si ce renvoi peut être fait sans frais par le destinataire ;

Que ladite infraction à l'article R. 40-12° n'est pas visée dans la prévention ;

Considérant que le fait qu'il n'existe pas d'offre de deux K7 indépendamment de la revente de six autres K7 à prix club rend sans objet l'examen de l'argumentation selon laquelle l'offre serait une tentative non punissable ;

Qu'est sans objet l'examen de l'argumentation selon laquelle l'offre de revente de deux vidéo K7 à un prix inférieur au prix d'achat effectif entrerait dans les prévisions de l'article 1er II in fine de la loi 63-628 modifié, la prohibition n'étant pas applicable aux produits dont le prix de revente est aligné sur le prix légalement pratiqué pour les mêmes produits par un autre commerçant dans la même zone d'activité quoique Y ait matériellement prouvé par les pièces versées que le club Dial Vidéo pratiquait les mêmes prix pour deux K7 sur le territoire français et qu'il n'ait pas été établi que la pratique fut illégale, dès lors que l'offre de revente dite offre de bienvenue n'est pas envisageable isolément ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de X Bruno et de la société Y, par défaut à l'égard de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; En la forme, Dit les appels recevables ; Au fond, Infirme le jugement entrepris, Renvoie X Bruno des fins de la poursuite ; Met la société Y hors de cause.