CA Paris, 4e ch. A, 20 décembre 2000, n° 1998-21174
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Quartier Latin (SARL)
Défendeur :
Livredis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Roblin Chaix de Lavarène, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Me Ellak, SCP d'Antin Brossollet.
La société Quartier Latin qui exploite une librairie papeterie à Nice fait grief à la société Livredis, distributeur exclusif des éditeurs Nathan, Bordas et Larousse d'avoir à son encontre des pratiques discriminatoires.
Elle l'a donc assignée devant le tribunal de commerce de Paris par acte du 10 février 1997 pour qu'elle soit condamnée à lui payer, outre la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, celle de 500.000 F à titre de dommages-intérêts et pour qu'il lui soit interdit, sous astreinte, la poursuite de telles pratiques.
Par jugement du 26 juin 1998, le tribunal a débouté la société Quartier Latin de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Livredis la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté le 3 août 1998 par la société Quartier Latin et ses dernières conclusions signifiées le 12 mai 1999 par lesquelles elle poursuit l'infirmation du jugement déféré et le bénéfice de son exploit introductif d'instance, à l'exception de ses frais non compris dans les dépens qu'elle évalue à la somme de 20.000 F ;
Vu les conclusions signifiées le 26 janvier 1999 par la société Livredis qui conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la société Quartier Latin à lui payer la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
SUR QUOI,
Considérant que la société Quartier Latin reproche à la société Livredis d'avoir à son encontre des pratiques discriminatoires, résultant de ce qu'elle ne bénéficie que d'un taux de remise de 20 % et pas celui de 40 % accordé à d'autres de ses clients, de ce qu'il ne lui a été reconnu aucune condition de règlements avantageux, contrairement à d'autres fournisseurs, de ce que des conditions de livraison peu avantageuses lui sont imposées et de ce que le remboursement des avoirs sur les retours des livres invendus était effectué avec retard ;
Que ses manquements ont selon elle pour conséquence de la désavantager par rapport aux autres concurrents et notamment par rapport à d'autres sociétés bénéficiant d'une surface financière plus importante telles la FNAC, la Sorbonne et le Forum du Livre ;
Considérant que la société Quartier Latin fonde son action sur les dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prévoient qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant industriel ou artisan. "
1°) De pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence" ;
Considérant qu'il appartient donc à la société Quartier Latin d'établir le fait discriminatoire, l'absence de contrepartie réelle et le désavantage ou l'avantage dans la concurrence qu'elle invoque;
Considérant que la discrimination suppose une différence de traitement entre deux personnes placées dans une situation identique ;
Que cette différence de traitement est constituée lorsque des conditions avantageuses ne sont accordées qu'à certaines entreprises alors que toutes sont en mesure de justifier avoir rempli les critères d'attribution ;
Considérant que pour démontrer qu'elle fait l'objet de pratiques discriminatoires de la part de la société Livredis, la société Quartier Latin produit :
- une facture datée du 6 janvier 1995 qui fait apparaître que la société La Biblio de Nice a bénéficié d'un délai de paiement de 90 jours, de frais de port représentant 3 % du montant de la facture et d'une remise parascolaire de 34,38 à 40 %, contrairement à elle qui doit régler ses factures comptant à réception, payer des frais de transport contre remboursement SERNAM correspondant à 8,26 % du montant de la commande et à qui n'est accordée qu'une remise parascolaire de 20 %,
- une facture datée du 8 février 1999 indiquant que la Librairie Noye de Rodez a obtenu des remises de 33 à 36 %
- Sur le taux de remise désavantageux
Considérant que les conditions générales de vente prévoient que la société Livredis, en sa qualité de distributeur, applique les conditions commerciales définies par les Editeurs/Diffuseurs (prix de vente, barèmes de remise, délais de règlements, etc...) ;
Considérant que la société Quartier Latin référencée en scolaire ne démontre pas, à l'aide des factures sus- visées, que la société Livredis lui a appliqué de façon discriminatoire les barèmes de remise préconisés par les Editeurs/Diffuseurs ;
Que si elle souhaitait bénéficier des remises pour des ouvrages non scolaires, il lui appartenait de le demander aux éditeurs comme la société Livredis l'y invitait dans sa lettre datée du 11 juin 1996et comme elle admet les avoir obtenues selon sa lettre datée du 13 juillet 1996 ;
Qu'il n'est ainsi pas démontré que dans une situation identique, les éditeurs distribués par la société Livredis offraient aux concurrents de la société Quartier Latin des taux de remise plus avantageux;
- Sur les conditions de règlement
Considérant que la société Quartier Latin fait grief à la société Livredis de ne lui avoir accordé une facilité de caisse de 50.000 F qu'à compter du 1er septembre 1996, contrairement à ses concurrents qui payaient en différé leurs commandes ou bénéficiaient d'un crédit vendeur ;
Considérant que l'article VI des conditions générales de vente prévoit que pour les clients en compte, les factures sont payables par LCR domiciliée en banque à 30 jours fin de mois date de livraison, sous réserve de références favorables, et dans le cadre d'un découvert fixé par Livredis, révisable en fonction des garanties présentées ;
Considérant que la société Livredis a informé le 26 juillet 1996 la société Quartier Latin de ce que les factures devaient être réglées conformément aux stipulations sus-visées et qu'elle bénéficiait d'un encours de 50.000 F ;
Considérant que cette facilité de caisse lui a été accordée sur la base du rapport d'expertise comptable Piquet daté du 19 juillet 1996 ;
Considérant outre qu'il n'existe aucune obligation à la charge d'un fournisseur d'accorder des facilités de caisse à ses clients, la société Quartier Latin ne saurait opposer à la société Livredis celles que lui accordent d'autres fournisseurs (CRDL Hachette, Breal Diffusion, Dilisco, Defi et BPI), dès lors qu'elle ne démontre pas que la société Livredis, en pratiquant une facilité de caisse limitée à 50.000 F, a eu à son encontre un comportement discriminatoire en lui refusant un avantage qu'elle accordait à ses concurrents exerçant dans le même secteur d'activités et placés dans une situation comparable à la sienne;
Que la société Livredis justifie par ailleurs que parmi ses clients qui bénéficient d'un découvert limité, la moitié d'entre eux ont un crédit égal ou inférieur à celui dont bénéficie la société Quartier Latin, excluant ainsi tout grief de discrimination fautive ;
- Sur les frais de transport
Considérant que la société Quartier Latin reproche à la société Livredis de lui imposer son système d'acheminement alors qu'elle dispose de son propre réseau Prisme ;
Considérant que l'article III des conditions générales de vente que la société Quartier Latin ne conteste pas stipule que "dans le cas où les expéditions sont confiées à la Poste ou à l'un de nos transporteurs, les frais payés au départ sont débités sur nos factures " ;
Que le dernier alinéa précise que : "Dans le cas d'une expédition en contre-remboursement, le client supporte, outre les frais de port, le forfait relatif à ce mode d'expédition" ;
Que la société appelante qui a accepté ces clauses et qui n'allègue ni ne démontre que la société Livredis a eu un comportement discriminatoire à son égard en lui imposant des conditions de transport plus désavantageuses que celles qu'elle réservait à ses autres clients libraires, n'est pas fondée en sa demande;
- Sur le remboursement des avoirs sur retours
Considérant que la société Quartier Latin se plaint de dysfonctionnements et d'incidents dans les remboursements de ses avoirs sur retours qui ont fait qu'elle a dû quelques fois attendre cinq mois avant d'obtenir une situation régularisée ;
Mais considérant que la société Livredis réplique pertinemment qu'à supposer ces griefs fondés, ils ne constituent nullement une pratique commerciale discriminatoire au sens de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Que ce dernier grief non fondé doit donc être rejeté
Considérant que le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en toutes ses dispositions, la société Quartier Latin n'ayant pas démontré le fait discriminatoire, l'absence de contrepartie réelle et le désavantage ou l'avantage dans la concurrence qu'elle invoque;
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens qu'elles ont engagés en cause d'appel ;
Par ces motifs, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, déboute la société Quartier Latin et la société Livredis de leurs demandes respectives, condamne la société Quartier Latin aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit des avoués de la cause dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.