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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 18 janvier 2000, n° 98-00458

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GACD (SA), Promodentaire (SA), Ministre de l'Économie

Défendeur :

Micromega (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bray

Conseillers :

Mme Masso-Berra, MM. Kerraudren, Bockenmeyer, Mlle Clerc

Avoués :

SCP Avril & Hanssen, SCP Bourgeon & Kawala

Avocats :

SCP Levy-Korman & Associés, Mes Jacob, Bertail, de la Laurencie.

T. com. Besançon, du 10 oct. 1994

10 octobre 1994

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE :

La société Micro-Mega fabrique des produits destinés aux cabinets et aux laboratoires dentaires ; elle vend sa fabrication soit directement à certains clients comme les hôpitaux, soit par l'intermédiaire de distributeurs qui sont :

- les dépôts dentaires qui emploient des représentants qui visitent les dentistes et les laboratoires,

- les sociétés de vente par correspondance qui adressent des catalogues aux clients potentiels.

Courant 1994, les sociétés GACD et Promodentaire qui font de la vente par correspondance ont assigné la société Micro-Mega en exposant que bien qu'elles rendent les mêmes services que les dépôts dentaires, elle bénéficiaient de remises inférieures à ceux-ci, qu'il s'agissait de pratiques discriminatoires et qu'en conséquence la société Micro-Mega devait être condamnée à réparer leur préjudice en application de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Par jugement du 10 octobre 1994, le tribunal de commerce de Besançon les a déboutées de leur demande et les a condamnées à payer à la société Micro-Mega 1 F à titre de dommages-intérêts, outre 8.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par arrêt du 12 septembre 1995 la Cour d'appel de Besançon a confirmé cette décision en majorant le montant des dommages-intérêts et de l'indemnité pour frais irrépétibles et a également débouté de ses demandes le Ministre de l'Économie et des Finances qui était intervenu aux débats.

Par arrêt du 13 janvier 1998, la Cour de cassation a cassé cette décision et a renvoyé l'affaire à la Cour d'appel de Dijon.

Devant celle-ci les sociétés GACD et Promodentaire réclament que soient écartées des débats les pièces et les conclusions que selon elles la société Micro-Mega a communiquées contrairement au principe du contradictoire, le 23 novembre 1999.

Sur le fond elles demandent à la Cour de réformer le jugement et :

- de dire que la société Micro-Mega s'est livrée à leur égard à des pratiques de prix discriminatoires, tant avant qu'après 1993, date à laquelle cette société a conclu des accords intitulés "Conditions de Distribution",

- en raison du préjudice que leur ont causé ces agissements, de condamner la société Micro-Mega à leur payer respectivement 9.414.185 F HT et 4.167.384 F HT, outre intérêts, à titre de dommages-intérêts pour la seconde période et d'ordonner une expertise pour la première période,

- d'enjoindre sous astreinte à la société Micro-Mega de cesser ses pratiques discriminatoires,

- de débouter la société Micro-Mega de sa demande de dommages-intérêts et de la condamner à leur rembourser leurs frais irrépétibles.

Elles font valoir en substance, qu'elles rendent à la société Micro-Mega les mêmes services que les dépôts dentaires et que les remises supplémentaires que cette société accorde à ceux-ci de façon purement arbitraire, n'ont pas de contrepartie économique ; que l'intimée qui prétend que ses "Conditions de Distribution" sont des conditions générales de vente n'en tire pas les conséquences nécessaires ; que ces pratiques discriminatoires leur causent un désavantage par rapport à leurs concurrents.

Par ailleurs elles contestent avoir dénigré l'intimée qui, selon elles, n'était pas identifiable dans le sondage auquel elles ont procédé.

Le Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie conclut :

- que les "Conditions de Distribution" mises en place par la société Micro-Mega ne respectent pas les dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'il y a lieu d'ordonner à cette société d'établir des conditions de vente conformes à ce texte et de les communiquer à tout distributeur qui en fera la demande,

Elle fait valoir que les conditions de vente qui ont été appliquées aux demanderesses sont discriminatoires au sens de l'article 36 de l'ordonnance précitée de sorte que la société Micro-Mega doit être condamnée à rembourser à celles-ci le trop perçu dont elle a bénéficié grâce à cette pratique.

Il expose que son rôle de gardien de l'ordre public économique ne se limite au pouvoir de faire des recommandations, mais l'autorise à formuler ces demandes.

II soutient ensuite que les services que les remises litigieuses prétendent rémunérer ne sont pas réels, ou pas spécifiques, et que l'octroi de celles-ci ne peut être subordonné à la signature d'un contrat de distribution; qu'en outre le calcul du montant de ces remises ne repose sur aucun critère objectif.

Il explique également qu'il résulte de termes de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qu'une pratique discriminatoire fait présumer pour celui qui en est la victime, un désavantage dans la concurrence.

La société Micro-Mega conclut :

- au rejet des conclusions et des pièces communiquées le 29 novembre 1999 par les sociétés GACD et Promodentaire, contrairement selon elle au principe du contradictoire,

- à l'irrecevabilité ou au mal fondé des demandes du Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie et de celles des sociétés GACD et Promodentaire ; subsidiairement, à l'évaluation du préjudice de ces dernières à 1 F,

- à la condamnation des sociétés GACD et Promodentaire à lui verser 500.000 F de dommages-intérêts, outre remboursement de ses frais irrépétibles.

- qu'elle propose à tous les distributeurs de signer des "Conditions de Distribution" qui s'ajoutent aux conditions générales de vente et qui prévoient des remises dont le total est fonction du nombre et de l'importance des services que le distributeur s'engage à rendre ; que ce système est licite car il correspond à des services effectivement rendus; que seulement un tiers des dépôts dentaires bénéficie d'une remise supérieure aux 16 % accordés aux demanderesses ; que ce taux correspond aux services que rendent celles-ci,

- que les sociétés GACD et Promodentaire ont eu un comportement déloyal à son égard dont elle est en droit de leur demander réparation, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil.

Elle explique également qu'en vertu des textes l'intervention du Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie doit se limiter à fournir des observations sur l'existence ou non des pratiques discriminatoires.

Pour l'exposé détaillé des moyens et des prétentions des parties, la Cour se réfère aux conclusions que celles-ci ont déposées : le Ministre le 19 novembre 1999, la société Micro-Mega le 22 novembre 1999 et les sociétés GACD et Promodentaire le 29 novembre 1999.

DISCUSSION

Attendu que les sociétés GACD et Promodentaire ont pu répondre utilement le 29 novembre 1999 aux conclusions et aux pièces communiquées le 22 novembre (et non le 23) par la société Micro-Mega; qu'il ne s'agit que d'une réponse de la part des appelantes ; qu'en conséquence ni l'une ni l'autre des parties n'est fondée dans son exception de communication;

Attendu que depuis 1993 la société Micro-Mega offre aux distributeurs de signer des "Conditions de Distribution" qui s'ajoutent aux conditions générales de vente et qui proposent en contrepartie de services des remises qualitatives dont le montant total peut s'élever jusqu'à 27 % du prix et une remise quantitative dont le maximum est de 9 %;

Attendu que la circonstance que ces remises représentent un pourcentage important du prix de vente, ne les rend pas illicites;

Attendu ensuite que l'obligation pour le partenaire qui veut en bénéficier, de signer les "Conditions de Distribution" n'est pas discriminatoire dès lors que la possibilité de signer celles-ci est offerte à tous les distributeurs; que le courrier que la société Micro-Mega a adressé à la société GACD le 2 mars 1994, montre qu'elle n'a pas refusé cette faculté aux demanderesses;

Attendu qu'il convient de rechercher pour chacun des cas de remise prévus par les "Conditions de Distribution", s'il y a eu discrimination injustifiée à l'égard des sociétés GACD et Promodentaire;

Attendu que ces sociétés ont bénéficié du maximum des remises prévues au regard de la qualité de distributeur et de l'importance du stock;

Attendu en ce qui concerne la remise intitulée "Fidélité" qui peut s'élever jusqu'à 6 % et au titre de laquelle les demanderesses n'ont obtenu qu'1 %, qu'elle rémunère la priorité que le signataire des "Conditions de Distribution" accorde aux produits de la société Micro-Mega par rapport aux produits concurrents qu'il distribue;

Attendu que cette priorité correspond à un service réel car le distributeur concentre ses efforts sur le produit Micro-Mega au lieu de les disperser entre celui-i et les produits concurrents;

Attendu que l'annexe des "Conditions de Distribution" révèle que le taux de cette remise dépend du nombre de concurrents que représente le distributeur; que les sociétés GACD et Promodentaire en représentant sept ou huit, selon les catégories de matériels, il est donc justifié de ne leur avoir accordé qu'1 %;

Attendu par ailleurs que les demanderesses ne peuvent se prévaloir de la jurisprudence relative à l'illicéité de cette remise lorsque l'opérateur qui l'accorde est en position dominante, alors que la société Micro-Mega ne se trouve pas dans cette situation;

Attendu pour la remise "Assortiment-Présentation" qui peut également s'élever jusqu'à 6 % et pour laquelle les appelantes ont obtenu 2 %, qu'elle rémunère la présentation permanente à la vente de tous les produits Micro-Mega, l'engagement de commercialiser tous les nouveaux produits de cette société et les résultats enregistrés par le distributeur par ligne de produits;

Attendu que le service rendu est réel; que les sociétés demanderesses qui dans leurs catalogues ne font figurer qu'environ 35 % des produits Micro-Mega, alors que les annexes des "Conditions de Distribution" font apparaître que les signataires de celles-ci s'engagent à présenter l'ensemble des produits du catalogue de la société MicroMega, ont été justement rémunérées par l'octroi d'une remise de 2 %;

Attendu qu'elles invoquent qu'elles vendent aussi les produits Micro-Mega qui ne figurent pas dans leur catalogue, mais que cela n'équivaut pas à une présentation de ces produits, comme le montre la faiblesse des ventes qu'elles réalisent à ce titre;

Attendu pour la remise intitulée "Manifestation" dont le montant va jusqu'à 2 % et dont les appelantes n'ont pas bénéficié, qu'elle rétribue une promotion spécifique des produit Micro-Mega par l'organisation d'au moins une journée portes ouvertes par an et la présence du distributeur aux salons, expositions et manifestations scientifiques locales ou régionales;

Attendu que les sociétés GACD et Promodentaire participent aux manifestations nationales, maisqu'il ne s'agit pas de leur part d'une promotion spécifique des produits Micro-Mega; qu'elles présentent également les produits concurrents; que par ailleurs elles ne prétendent pas organiser des journées portes ouvertes; qu'enfin elles ne soutiennent pas que les dépôts dentaires qui bénéficient de la remise ne participent pas aux manifestations nationales; qu'il n'y a donc pas discrimination illicite;

Attendu au sujet de la remise appelée "Magasin-Exposition" qui peut s'élever jusqu'à 2 % et pour laquelle les demanderesses n'ont rien eu, qu'elle rémunère l'exposition permanente des produits Micro-Mega et l'utilisation de la PLV sur les lieux de vente; que l'annexe aux "Conditions de Distribution" révèle que cette remise est fonction du nombre de représentants employés par le distributeur;

Attendu que les sociétés GACD et Promodentaire, ainsi que le Ministre, soutiennent que les demanderesses satisfont pleinement à cette condition car leur catalogue constitue un véritable magasin à domicile;

Attendu toutefois que l'impact commercial d'un catalogue ne peut être comparé à la visite d'un représentant de sorte que sur ce point également il n'y pas discrimination irrégulière;

Attendu pour les remises "Formations commerciales" et "Formations Techniques" dont le maximum est de 2 % pour chacune d'elles et pour lesquelles les demanderesses ont obtenu 1 % + 1 %, qu'elles rétribuent l'assiduité du personnel des distributeurs aux sessions de formation organisées par la société Micro-Mega;

Attendu qu'il s'agit d'un service rendu à cette dernière, notamment dans la mesure où le personnel du distributeur qui suit cette formation est rémunéré par celui-ci; que les sociétés GACD et Promodentaire ne justifient que d'une participation ponctuelle de leurs salariés à ces formations et non d'un suivi régulier; que dès lors le pourcentage qui leur a été accordé apparaît correct;

Attendu enfin pour la remise quantitative, qui va jusqu'à 9 % et au titre de laquelle les appelantes ont 4 %, que celles-ci soutiennent qu'il y a discrimination illicite parce qu'elles appartiennent au même groupe, de sorte que leurs achats devraient être globalisés comme cela est le cas pour certains dépôts, tel Dental Euro Group ; qu'ainsi elles devraient avoir 7 % de remise;

Attendu toutefois que la société Micro-Mega expose sans être contredite que Dental Euro Group constitue une centrale d'achat qui groupe les commandes de ses adhérents, pour lesquels il n'y a qu'une seule facture et un seul lieu de livraison, ce qui n'est pas le cas des demanderesses; qu'il est incontestable que ce regroupement entraîne une économie pour la société Micro-Mega et que les prétentions des sociétés GACD et de Promodentaire sur ce point, apparaissent injustifiées;

Attendu d'une façon plus générale sur le reproche d'arbitraire qui est fait à la société Micro-Mega, que s'agissant de remises qualitatives, à l'exception de la dernière, l'application d'une grille purement arithmétique n'est pas possible et explique les "anomalies" qu'ont relevées les demanderesses; que la circonstance qu'il existe une marge qui fait l'objet d'une discussion entre les cocontractants ne rend pas les "Conditions de Distribution" irrégulières au regard de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Attendu par ailleurs que la société Micro-Mega qui produit des fiches de contrôle et des courriers adressés aux distributeurs, justifie qu'elle vérifie l'application de ces conditions qui sont rediscutées chaque année en fonction du respect des obligations;

Attendu qu'avant 1993, il n'existait pas de conditions écrites mais que la société Micro-Mega établit (lettre à la société Tolodent du 12 décembre 1988) que les remises étaient accordées à partir des mêmes barèmes; que les sociétés GACD et Promodentaire sont d'autant moins fondées à soutenir qu' elles ont été victimes d'une discrimination illicite durant cette période, qu'elles ont été constituées en 1983 et qu'elles n'ont développé que progressivement leur catalogue et leurs prestations;

Attendu en conclusion que les sociétés GACD et Promodentaire ne sont pas victimes de pratiques de prix discriminatoires injustifiées de la part de la société Micro-Mega; qu'en tant que de besoin il y a lieu de rappeler que le recours aux services des représentants est vital pour cette entreprise et qu'en supportant la charge de ceux-ci, les dépôts dentaires lui font réaliser une économie sans commune mesure avec celle procurée par les catalogues des demanderesses;

Attendu que le courrier que la société GACD a adressé à tous les chirurgiens dentistes de France en Juin 1993 constitue un dénigrement de la société Micro-Mega;

Attendu en effet qu' est dénoncé "une pratique discriminatoire" illégale en droit français ... et immorale dans la mesure où elle a empêché GACD de pratiquer des prix plus compétitifs";

Attendu que bien que la société Micro-Mega ne soit pas expressément citée, elle pouvait être facilement identifiée par les destinataires des lettres puisque celles-ci précisaient que la société en cause venait d'être assignée par GACD pour pratique commerciale discriminatoire et qu'il s'agissait d'un "grand fabricant de l'industrie dentaire, notamment spécialisé dans les instruments à canaux"; que la société Micro-Mega produit d'ailleurs deux courriers de chirurgiens dentistes indiquant que bien évidemment ils ont reconnu la société;

Attendu que la société Micro-Mega est en droit d'obtenir réparation de ce dénigrement sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil; qu'eu égard à la large diffusion que celui-ci a eu, il apparaît à la Cour que le préjudice commercial qui en est résulté pour la société doit être évalué à 100.000 F;

Attendu que la société Promodentaire n'est pas à l'origine de ce courrier;

Attendu que l'équité commande de faire bénéficier la société Micro-Mega de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile;

DÉCISION

Par ces motifs, LA COUR : Confirme le jugement en ce qu'il a débouté les société GACD et Promodentaire de l'ensemble de leurs demandes, Réformant sur les demandes de la société Micro-Mega, condamne la société GACD à lui verser 100.000 F (soit 152,45 Euros) de dommages-intérêts, les sociétés GACD et Promodentaire à lui verser au total 80.000 F (soit 12 195,92 Euros) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Déboute la société Micro-Mega de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre la société Promodentaire, Ajoutant au jugement, Déboute de ses demandes le Ministre de l'Économie des Finances et de l'Industrie, Condamne les sociétés GACD et Promodentaire en tous les dépens d'instance et d'appel comprenant ceux de l'arrêt cassé.