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Décisions

CA Douai, 2e ch., 5 septembre 2000, n° 2000-01918

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Moulures Baclez (SA)

Défendeur :

Leroy Merlin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gondran de Robert

Conseillers :

Mme Schneider, M. Testut

Avoués :

SCP Cocheme-Kraut-Reisenthel, SCP Masurel-Thery

Avocats :

Mes Grasset, Buffin, Simoneau.

T. com. Lille, du 27 janv. 2000

27 janvier 2000

I - Données devant la Cour

La décision attaquée

Par un jugement du 27 janvier 2000, le Tribunal de Commerce de Lille :

- a déclaré la société Baclez mal fondée en ses demandes,

- a débouté la société Leroy Merlin de ses demandes de dommages-intérêts,

- a condamné la société Baclez à payer à la société Leroy Merlin la somme de 15.000 F selon dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- a mis les dépens à la charge de la société Baclez.

Procédure

La société Baclez a formé appel de cette décision le 16 mars 2000.

Le 27 mars 2000 la société Baclez a été autorisée à assigner la société Leroy Merlin à jour fixe.

La clôture des débats a été ordonnée à l'issue des plaidoiries du mardi 2 mai 2000.

Les prétentions de l'appelant

Dans son assignation à jour fixe en date du 10 avril 2000, la société Baclez demande à voir:

- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- dire que la rupture abusive est imputable à la société Leroy Merlin,

- condamner la société Leroy Merlin à lui payer les sommes de :

* 3.000.000 F au titre au titre de dommages-intérêts,

* 15.000 F selon dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- condamner la société Leroy Merlin aux entiers dépens selon dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les prétentions de l'intimé

La société Leroy Merlin, par conclusions du 2 mai 2000, demande à voir :

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- condamner la société Baclez à lui payer les sommes de:

* 50.000 F au titre au titre de dommages-intérêts,

* 30.000 F selon dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- condamner la société Baclez aux entiers dépens selon dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

II - Argumentation de la Cour

Sur les rapports antérieurs à la rupture des relations commerciales

La société Baclez, menuisier spécialisé dans la fabrication de moulures, travaille depuis les années 1960 avec la société Leroy Merlin.Après un incendie de son unité de production en 1991 puis une phase de redressement judiciaire ayant conduit à un plan de continuation par apurement du passif en mai 1994, les relations commerciales entre les 2 entreprises se sont régulièrement poursuivies jusqu'en décembre 1998, sans qu'une convention cadre particulière ne les formalise. Il n'est pas contesté que si la société Leroy Merlin a plusieurs fournisseurs dans ces lignes de produit, la société Baclez travaille par contre à plus de 80 % pour la société Leroy Merlin.

Le 24 décembre 1998, à la suite de mouvements sociaux chez la société Baclez désorganisant sa production, la société Leroy Merlin subit des difficultés d'approvisionnement, informe la société Baclez qu'elle doit procéder à des dépannages auprès d'autres menuisiers, et demande à la société Baclez des précisions quant à la reprise de son activité et la mise à jour de ses stocks.

A partir du 5 janvier 1999 la société Baclez entame des négociations avec l'un de ses concurrents Jewe pour la cession partielle de son fonds de commerce portant notamment sur la ligne d'activité pour laquelle elle est référencée auprès de la société Leroy Merlin. Ces pourparlers n'aboutiront pas.

Sur les conditions de la rupture des relations commerciales

La société Leroy Merlin fait état de taux de rupture importants signalés par lettre recommandée, de manière isolée le 31 juillet 1998 et pour un seul point de vente, puis de manière répétitive chaque semaine de janvier et de février sur l'ensemble des points de vente desservis par la société Baclez.

Le 28 janvier 1999 la société Leroy Merlin demande à la société Baclez de s'engager à garantir la livraison en totalité des magasins sous 8 jours. La société Leroy Merlin réitère sa demande le 5 février 1999 et menace de cesser toute relation d'affaire sous huitaine. Elle formalise la rupture le 1er mars 1999 avec effet immédiat.

Sur l'effet des pourparlers engagés avec la société Jewe

Il est sans importance dans l'analyse des rapports entre la société Leroy Merlin et la société Baclez que des négociations se soient engagées entre la société Baclez et son concurrent Jewe.

En effet la société Baclez n'établit pas que la société Leroy Merlin ait été l'initiateur d'un rapprochement qu'elle aurait imposé. Il n'est pas plus établi que la société Baclez et Jewe aient poursuivi leurs discussions dans les locaux et en présence de la société Leroy Merlin, le rapport de réunion du 5 janvier 1999 ayant été rédigé par la société Baclez et aucune preuve de sa diffusion aux participants supposés n'étant rapportée. Le fax du 19 janvier 1999 de la société Baclez censé présenter à la société Leroy Merlin les bases de l'accord en vue avec Jewe n'est revêtu d'aucune identification de correspondant assurant de sa transmission. Le projet d'acte établi par le conseil de Jewe et soumis à la société Baclez n'a jamais été régularisé et ne pouvait en tout état de cause engager en quelque manière la société Leroy Merlin, tiers à ce protocole.

Sur le caractère abusif de la rupture des relations commerciales

Le seul motif allégué par la société Leroy Merlin pour rompre ses relations de façon brutale avec la société Baclez est la désorganisation des livraisons de la société Baclez en janvier et février 1999.

L'examen des bordereaux de réception à partir desquels la société Leroy Merlin calcule son taux de rupture montre que le délai de livraison retenu par la société Leroy Merlin est à huitaine, au maximum 10 jours de la date de commande, les appels étant hebdomadaires. Une telle organisation des ordres de livraison, dite en flux tendu, ne peut être imposée de manière régulière et permanente par un distributeur multi-site de dimension nationale à un fournisseur industriel que dans le cadre d'un accord cadre de partenariat créant aux deux parties des obligations réciproques. Cet accord doit garantir notamment au producteur une lisibilité à moyen terme des volumes à fournir afin d'optimiser ses intrants de production.

Le premier juge ne pouvait déduire une légèreté de la société Baclez de l'absence de mesure de rattrapage de la production après le mouvement social de décembre 1998 telles que la mise en place de journées travaillées entre Noël et le Jour de l'An, ce alors même que les retards allégués sont postérieurs à ces dates.

Il ne peut pas plus être fait grief à la société Baclez du taux de rupture en janvier et février. En effet en l'absence d'un accord formalisé, ou découlant implicitement de programmes mensuels prévisionnels préalables aux appels hebdomadaires, seules s'appliquent les conditions générales de vente de la société Baclez, connues de la société Leroy Merlin dés le 13 avril 1995 ainsi qu'il ressort de son propre dossier. Ces conditions prévoient à l'article 2 que les délais de livraison ne sont qu'indicatifs et que les retards ne peuvent entraîner l'annulation de la commande que s'ils proviennent d'une faute lourde de la société Baclez.

Ainsi la société Leroy Merlin ne peut qualifier d'inexécution de ses obligations les ruptures d'approvisionnement de janvier et février 1999 qui trouvent leur origine dans la grève de décembre 1998. Elle ne pouvait pas ignorer sa position de client dominant, ne serait ce que par le rapprochement élémentaire de son chiffre d'affaire annuel chez la société Baclez avec le chiffre d'affaire total de ce fournisseur, accessible au greffe du Tribunal de commerce. Elle ne pouvait donc rompre brutalement et sans préavis écrit une relation commerciale établie depuis plus de 10 ans avec ce fournisseur.

Sur le préjudice subi par la société Baclez

Le préjudice subi par la société Baclez ne saurait être le prix de cession escompté de la branche d'activité "Leroy Merlin" à la société Jewe, aucun élément ne permettant d'imputer à la société Leroy Merlin l'échec des pourparlers avec le cessionnaire pressenti. Il ne peut être que la perte de marge commerciale correspondante à la durée du préavis de rupture que la société Leroy Merlin aurait du respecter.

Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales entre les deux sociétés, et à défaut d'usages reconnus par des accords interprofessionnels, le délai de préavis raisonnable qu'aurait du respecter la société Leroy Merlin est de 3 mois.

La société Baclez présente un état de son chiffre d'affaire avec la société Leroy Merlin sur 42 mois qui fait apparaître un chiffre d'affaire mensuel moyen de 1.131.801 F. Cet état n'est pas sérieusement contesté par la société Leroy Merlin qui avait tout moyen de le vérifier personnellement, ne serait ce que par le simple examen de sa comptabilité fournisseur. Au vu de ce chiffre d'affaire, de l'activité réelle au cours des six derniers mois précédant la rupture, et du taux de marge brute moyen des industries manufacturières le préjudice correspondant à la période de préavis non respecté peut être fixé à 600.000 F.

Sur les frais irrépetibles

La société Baclez a du engager des frais irrépetibles en cause d'appel que la Cour fixe à 5.000 F.

Sur les dépens

La société Leroy Merlin supportera les dépens selon dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile

III - Décision de la Cour

Par ces motifs, LA COUR : Infirme le jugement rendu le 27 janvier 2000 par le Tribunal de Commerce de Lille, Dit que la société Leroy Merlin a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Baclez sans respecter le préavis institué par l'ordonnance du 1er décembre 1986, Condamne la société Leroy Merlin à payer à la société Baclez les sommes de: 600.000 F à titre de dommages-intérêts, 5.000 F selon dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Met à la charge de la société Leroy Merlin les dépens, dont distraction au profit de l'avoué de la société Baclez.