CA Angers, 1re ch. A, 7 mars 1995, n° 9401199
ANGERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mutualité de l'Anjou, Mutualité de l'Anjou AMTNS
Défendeur :
Chambre syndicale des pharmaciens du Maine-et-Loire
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panatard
Conseillers :
MM. Chesneau, Jutteau
Avoués :
SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois
Avocats :
Mes Sultan, Fallourd.
Par actes des 7 et 9 janvier 1992 la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire a fait assigner la Mutualité des l'Anjou et la Mutualité de l'Anjou AMTNS devant le Tribunal de grande instance d'Angers aux fins de voir juger que ces deux Mutuelles pratiquent des barèmes de cotisations discriminatoires au préjudice des officines libérales et d'obtenir :
- la cessation de ces pratiques sous astreinte définitive de 50 000 F par jour de retard et par infraction constatée.
- la réparation de son préjudice qu'elle chiffre à 5 000 000 F.
- 30 000 F à titre de dommages-intérêts.
La Mutualité de l'Anjou et l'AMTNS ont constitué avocat. Mais seule la première a conclu. Elle sollicita la mise hors de cause de l'AMTNS qui aurait fusionné avec elle en janvier 1991. Au fond elle conclut en premier lieu à l'inapplicabilité de l'ordonnance du 1er décembre 1986 à son endroit : elle est une Mutuelle, et n'a donc aucun but lucratif, ni " partenariat économique ".
Elle soutint en second lieu, qu'elle avait respecté les dispositions du code de la Mutualité.
Par voie reconventionnelle, elle sollicita la condamnation de la Chambre Syndicale des Pharmaciens à lui régler 500 000 F à titre de dommages-intérêts et 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le tribunal s'est prononcé par jugement du 22 mars 1994.
En l'absence de tout justificatif sur la réalité de la fusion vantée, il décide le maintien à la cause de la Mutualité de l'Anjou AMTNS.
Au fond, il estime que l'ordonnance du 1er décembre 1986, sur laquelle se fonde la Chambre Syndicale demanderesse pour reprocher aux organismes défendeurs des pratiques discriminatoires, n'est pas applicable en l'espèce : ce texte ne concerne que les seules relations entre les fabricants et distributeurs ou industriels entre eux ne concerne pas les sociétés mutualistes qui n'ont aucun but lucratif.
Il rejette donc la demande en tant qu'elle est fondée sur cette ordonnance.
Par contre, le tribunal estime que la Mutualité de l'Anjou opère " un détournement de clientèle de façon quasi-systématique, ce au mépris flagrant de la convention " intervenue en 1983 entre elle-même et le Syndicat des Pharmaciens : les personnes qui choisissent l'option " toutes pharmacies " règlent une cotisation plus importante pour des prestations moindres et sont donc nécessairement conduites à préférer l'option pharmacie mutualiste au détriment des officines libérales ".
A la violation de cette convention s'ajoute celle de l'article L. 121-2 du code de la mutualité puisque cette pratique discriminatoire n'est pas justifiée par les " risques apportés, les cotisations fournies ou la situation des familles des intéressés ". En particulier la " ristourne " de 20 % qualifiée de prestation sur les produits parapharmaceutiques ou les produits non pris en charge par les régimes d'assurance reste toujours, quoique agréée par l'autorité de tutelle, un moyen d'offrir à certains patients des avantages directs ou indirects dont la finalité est de porter atteinte à la liberté du choix du pharmacien.
En conséquence, le tribunal décide que la Mutualité de l'Anjou et que la Mutualité de l'Anjou AMTNS devront mettre fin à ces pratiques en fixant leurs cotisations en conformité avec les dispositions de l'article L. 121-2 du code de la mutualité dans les trois mois de la signification du jugement, ce sous astreinte de 30 000 F par jour de retard.
Observant que les tarifications différentes existent depuis plus de huit ans et que le chiffre d'affaires moyen hors taxe des pharmacies libérales de Maine et Loire accuse une différence de 15 % par rapport à la moyenne nationale, le tribunal condamne in solidum les organismes défendeurs à régler à la Chambre syndicale 3 000 000 F à titre de dommages-intérêts.
Il les condamne également in solidum à régler à cette dernière 20 000 F pour frais irrépétibles.
La Mutualité de l'Anjou et la Mutualité de l'Anjou AMTNS ont fait appel de ce jugement. Il est demandé à la Cour de constater que la Mutualité de l'Anjou AMTNS n'est pas pourvue d'une personnalité morale distincte de la Mutualité de l'Anjou à la suite de sa fusion avec celle-ci et de son absorption par elle.
Les organismes appelants concluent également au défaut de qualité de la Chambre syndicale pour agir : la question de l'égalité entre les membres des mutuelles adhérentes de la Mutualité de l'Anjou n'intéresse que lesdits membres ; l'intimée est un tiers et le pacte social ne peut ni lui nuire ni lui bénéficier.
Au fond, la Mutualité de l'Anjou et la Mutualité de l'Anjou AMTNS contestent tout comportement illicite ou même simplement fautif. Elles dénient l'existence d'un quelconque préjudice qu'aurait subi la Chambre syndicale qui ne pourrait solliciter la réparation du dommage occasionné à certains de ses adhérents personnellement.
Elles réclament la condamnation de l'intimée à régler à la Mutualité de l'Anjou 500 000 F de dommages- intérêts pour procédure abusive et 60 000 F au titre de leurs frais irrépétibles.
La Chambre syndicale des Pharmaciens conclut au déboutement (sic) de l'appel.
Par voie d'appel incident elle reprend sa demande originaire tendant à ce qu'il soit jugé qu'ont été violées les dispositions de l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Pour le surplus elle sollicite la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de la Mutualité de l'Anjou et si besoin de la Mutualité de l'Anjou AMTNS à lui régler 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et dilatoire et 71 160 F pour frais irrépétibles.
Attendu qu'il résulte des pièces produites par la Mutualité de l'Anjou, notamment d'un arrêté préfectoral du 24 janvier 1991, que l'Union Mutualiste des Travailleurs Non Salariés Non Agricoles (il n'est pas contesté que c'est l'organisme figurant à la cause sous l'abréviation AMTNS) n'a plus d'existence juridique ; qu'elle a été absorbée par la Mutualité de l'Anjou avec effet au 1er janvier 1991 c'est-à-dire antérieurement à l'assignation introductive d'instance qui lui a été délivrée en janvier 1992 ;
Attendu que la Mutualité de l'Anjou se trouve ainsi aux droits de l'AMTNS qui n'a plus de personnalité juridique, et ne peut dès lors valablement figurer comme telle dans une instance ;
Attendu que c'est donc à tort que les premiers juges ont décidé son maintien dans la cause.
Attendu qu'à la lecture de l'assignation et des conclusions de la Chambre syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire, tant devant le Tribunal que devant la Cour, il s'avère que, pour réclamer des dommages- intérêts à la Mutualité aujourd'hui appelante, elle se prévaut de trois dispositions légales ou réglementaires et d'une disposition contractuelle, savoir :
- l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
- l'article L. 121-2 du code de la mutualité.
- l'article R. 5015-30 du code de la santé publique.
- une convention du 16 mai 1983.
1°) Article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Attendu qu'il est libellé de la manière suivante :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :
I- De pratiquer à l'égard d'un partenaire économique ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ".
Attendu qu'au moyen de cotisations de leurs membres, les Mutuelles, groupements à but non lucratif, mènent des actions de prévoyance et de solidarité;
Attendu que leur fonctionnement est régi par le Code de la Mutualité.
Attendu que le caractère civil des Assurances Mutuelles a constamment été affirmé par les tribunaux; que la Mutualité ne tente donc pas d'obtenir et n'obtient pas de cette Chambre " des prix " " des délais de paiement " des " conditions de vente " ou des " modalités de vente ou d'achat " qui seraient discriminatoires c'est-à-dire qui défavoriseraient ladite Chambre par rapport à d'autres partenaires économiques de l'appelante ;
Attendu que la Cour estime dans ces conditions que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté l'applicabilité de l'article 36-1; qu'il ne sera pas fait droit à l'appel incident de la Chambre syndicale qui continue de prétendre que la Mutualité se serait rendue coupable d'une violation de ce texte et lui devrait à ce titre des dommages-intérêts ;
2°) Article L. 121-2 du code de la mutualité :
Attendu qu'il est libellé de la manière suivante :
" Les Mutuelles ne peuvent instituer, en ce qui concerne le niveau des prestations et des cotisations, des discriminations entre membres ou catégories de membres participants, si elles ne sont pas justifiées par les risques apportés, les cotisations fournies ou la situation de famille des intéressés.
Les cotisations peuvent être modulées en fonction des revenus des membres participants ".
Attendu qu'à la lecture de cette disposition il apparaît, à l'évidence, qu'elle ne concerne que les rapports entre les " membres " ou " catégories de membres " entre eux ; que cette disposition légale signifie que la Mutualité concernée ne peut favoriser ou défavoriser certains de ses adhérents par rapport à d'autres que si cela est justifié par les raisons limitativement énumérées par la loi : " risques apportés " ; " cotisations fournies " ; " situation de famille " ;
Attendu que la Chambre Syndicale des Pharmaciens est un tiers, ce qu'elle ne conteste pas, étranger aux rapports entre la Mutualité et ses adhérents.
Attendu qu'à cela elle fait valoir qu'une violation de la loi peut être préjudiciable à autrui ; et qu'elle explique que la Mutualité pratique des cotisations différenciées selon la formule choisie par l'adhérent : formule " toutes pharmacies " ou formule " pharmacie mutualiste " ; que la cotisation annuelle est plus importante pour celui qui choisit la première formule que pour celui qui opte pour la seconde (en 1987 pour un adhérent de 19 à 27 ans : 1 230 F dans la formule toutes pharmacies et 936 F dans la formule pharmacie mutualiste) ; qu'il s'agit là d'une discrimination interdite par l'article 121-2 qui est préjudiciable à la Chambre syndicale ; que cette politique tarifaire désavantage les pharmacies libérales ; que jointe à un discours publicitaire elle incite les personnes concernées à choisir la formule pharmacie mutualiste ;
Attendu que la Chambre syndicale devrait alors démontrer, au soutien de sa réclamation de dommages- intérêts, non seulement que cette pratique discriminatoire constitue une violation de l'article L. 121-2 mais que cela est pour elle la source d'un préjudice ;
Attendu qu'il faudrait que soit établi que les adhérents qui optent pour le système " toutes pharmacies " eussent choisi, si cette formule n'avait pas existé, de ne pas adhérer à la Mutualité et de demeurer des clients à part entière des pharmacies libérales ;
Attendu que l'on peut présumer qu'une personne normalement avisée pour la sauvegarde de ses intérêts est en mesure de comparer les coûts des cotisations, selon les différentes formules qui lui sont proposées, par rapport aux prestations dont elle bénéficierait (prestations de 20 % sur les médicaments sans ordonnances, livraisons à domicile gratuites, livraisons dans les dépôts utilement répartis dans le département, etc...)
Attendu que c'est donc une pétition de principe que d'affirmer que la proposition par la Mutualité de deux systèmes tarifaires, même si cela est contraire à la lettre de l'article L. 121-2 du code de la mutualité, est par- là même la source d'un préjudice pour les professionnels vendant, à titre libéral des produits pharmaceutiques ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu l'application de cette disposition légale.
3°) Article R. 5015-30 du code de la santé publique :
Attendu que la Chambre syndicale des Pharmaciens invoque alors ce texte réglementaire selon lequel : " Il est rigoureusement interdit aux pharmaciens de porter atteinte au principe du libre choix du pharmaciens par les malades en octroyant directement ou indirectement à certains d'entre eux des avantages que la loi ne leur aurait pas explicitement dévolus " ;
Attendu que cette disposition figure au livre V (pharmacie) du code sous une section intitulée " Déontologie pharmaceutique " au 2° : " De la concurrence déloyale " du paragraphe " Interdiction de certains procédés dans la recherche de la clientèle " ;
Attendu que l'appelante fait observer que l'interdiction figurant dans cet article ne s'applique pas à elle puisqu'elle n'a pas la qualité de pharmacien ;
Attendu qu'il est rétorqué à cela par la Chambre Syndicale que les pharmacies exploitées par la Mutualité n'ont pas une personnalité juridique distincte de telle sorte que la disposition réglementaire est applicable à l'appelante en sa qualité de propriétaire ;
Attendu que, quoi qu'il en soit de la réponse sur ce point, il résulte du libellé de l'article 5015-30 et de sa place dans le code de la santé publique, que l'on a entendu stigmatiser, comme contraire à la déontologie et constituant une concurrence déloyale, le fait pour un pharmacien de consentir des rabais à des malades pour conserver leur clientèle ;
Attendu que c'est pratiquement le reproche inverse que fait la Chambre Syndicale à la Mutualité puisqu'elle se plaint de ce que la formule " toutes pharmacies " est désavantageuse et destinée à amener les intéressés à opter pour le système " Pharmacie mutualiste seulement " ;
Attendu que l'intimée ne peut d'ailleurs utilement reprocher à la Mutualité appelante d'avoir octroyé directement ou indirectement des avantages ; que c'est le principe même du système mutualiste qui serait remis en cause ; qu'il s'agit en effet de faire bénéficier les adhérents de certains avantages, en contrepartie de leurs cotisations, la Mutualité pouvant le faire parce qu'elle n'est pas commerçante et qu'elle jouit d'avantages fiscaux par rapport à la pharmacie libérale ;
Attendu que la Cour estime que l'appelante n'a pas porté atteinte au principe du libre choix du pharmacien en procurant des avantages à certains malades ;
4°) Attendu qu'une convention a été conclue le 16 mai 1983 entre les deux parties au litige :
Attendu que la Mutualité explique dans ses écritures devant la Cour qu'il " s'agit d'une convention exclusivement technique concernant, ainsi qu'il est exposé en son article 1, la gestion des dispenses d'avance de la partie des dépenses pharmaceutiques laissées à la charge des assurés sociaux (tiers-payant). "
Attendu que la Chambre syndicale n'énonce rien de différent en écrivant (page 9 avant dernier alinéa de ses conclusions du 9 novembre 1994) que c'était une " convention de tiers-payant " ; qu'elle ajoute que la Mutualité de l'Anjou s'y " est engagée à respecter la libre choix du pharmaciens par le malade ".
Attendu que l'appelante n'y a pas renoncé à offrir deux formules au choix des candidats adhérents ;
Attendu que l'intimée ne peut prétendre utilement que la Mutualité aurait enfreint son engagement du 16 mai 1983 de respecter le libre choix du pharmacien par le malade ; qu'il n'est pas établi qu'elle aurait amené ces candidats par une publicité mensongère, à opter pour le système mutualiste plutôt que pour le système toutes pharmacies ; que chacun a la possibilité d'adhérer ou non et de choisir librement, s'il adhère, l'une des deux formules proposées ;
Attendu qu'il s'avère finalement que les textes et la convention visés par la Chambre syndicale ne peuvent lui permettre de voir prospérer son action en dommages-intérêts dont elle sera déboutée ;
Attendu que la procédure engagée et menée par elle ne présente nullement un caractère abusif ; qu'elle n'a pas commis une faute en soumettant à la justice une question contentieuse que les premiers juges avaient d'ailleurs appréciée en sa faveur ; que la Mutualité sera déboutée de sa réclamation de la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu'il sera alloué à l'appelante un montant total de 15 000 F au titre de ses frais irrépétibles exposés depuis le commencement de la procédure.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement dont appel et statuant à nouveau, Constate que l'Union Mutualiste des Travailleurs Non Salariés Non Agricoles (AMTNS) a été absorbée par la Mutualité de l'Anjou avec effet du 1er janvier 1991 ; dit elle ne figure pas à la cause comme ayant pas la personnalité juridique et que c'est à tort que les premiers juges ont décidé de l'y maintenir ; déboute la Chambre syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire de ses demandes fins et conclusions. La condamne à régler à la Mutualité de l'Anjou un montant total de 15 000 F au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci devant le tribunal et devant la Cour ; déboute la Mutualité de l'Anjou de sa réclamation de dommages-intérêts pour procédure abusive ; condamne la Chambre syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire aux dépens de première instance et d'appel ; accorde à la SCP Chatteleyn et Georges, en ce qui concerne ces derniers le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.