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Décisions

Cass. com., 21 avril 1992, n° 90-18.750

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Mercedes Benz France (SA)

Défendeur :

Établissements Guy Sauze (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

Mme Le Foyer de Costil

Avocats :

Me Ryziger, SCP Lesourd, Baudin.

T. com. Marseille, du 20 janv. 1989

20 janvier 1989

LA COUR : - Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 mai 1990) la société des établissements Guy Sauze (société Sauze) a été de 1969 à 1973, le concessionnaire exclusif à Marseille d'une filiale de la société Daimler-Benz, puis, à compter de 1974 de la société Mercedes Benz France (société Mercedes Benz) pour la vente de véhicules utilitaires légers ; que ce contrat a été renouvelé jusqu'en 1977 la gamme des produits concédés à la société Sauze étant par ailleurs étendue ; qu'à partir du mois de septembre 1978, et alors que l'entreprise avait effectué des travaux immobiliers pour développer la vente des véhicules commercialisés par la société Mercedes Benz, celle-ci l'a avisée qu'elle allait modifier son contrat puisqu'elle venait de créer à Vitrolles, à proximité de Marseille, une succursale chargée de vendre ses produits ; qu'il s'en suivit un échange de lettre entre les deux parties qui devait aboutir à la rupture de leurs relations commerciales ; que le 8 novembre 1979 la société Sauze a porté plainte, avec constitution de partie civile, contre le président de la société Mercedes Benz, pour pratiques discriminatoires de prix et refus de vente, en se référant aux dispositions des ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945 sur les prix ; que par arrêt du 17 février 1987, la chambre d'accusation, après avoir relevé que l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la concurrence avait dépénalisé les infractions sur lesquelles était fondée la plainte de la société Sauze, a constaté que l'action publique était éteinte et a renvoyé les parties à se pourvoir ; que la société Sauze a alors saisi le tribunal de commerce d'une demande en dommages-intérêts dirigée contre la société Mercedes Benz en reprenant les griefs ayant fait l'objet de sa plainte ;

Sur le premier moyen : - Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence, alors, selon le pourvoi, que la compétence doit s'apprécier au regard des prétentions de la partie demanderesse ; qu'il résulte tant de l'assignation, que de l'analyse qui en a été faite par le jugement de première instance, que la société Sauze a cité devant le tribunal de commerce la société Mercedes Benz pour entendre dire et juger qu'elle a engagé sa responsabilité en refusant l'exécution du contrat de VUL en 1979, et en refusant la vente de ses produits ; que c'est donc en réalité l'inexécution d'un contrat de concession, dont l'existence était alléguée par la société anonyme Établissements Guy Sauze, qui était invoquée par celle-ci comme base de son action en réparation du préjudice allégué pour 1979 ; qu'en déclarant le Tribunal de Marseille compétent exclusivement parce que l'action aurait été une action délictuelle, la cour d'appel, qui a méconnu le sens et la portée de l'assignation telle qu'analysée par le jugement de première instance a violé les articles 4 et 46 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt relève que l'action de la société Sauze a été engagée en application des dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la concurrence, pour obtenir réparation de pratiques discriminatoires, et de refus de vente; qu'il en a déduit à bon droit que la juridiction compétente était celle du lieu du dommage conformément aux dispositions de l'article 43 alinéa 3 du nouveau Code de procédure civile et, ainsi, n'a pas méconnu l'objet du litige; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches : - Attendu qu'il est également reproché à l'arrêt d'avoir refusé d'examiner la nullité de certaines pièces de la procédure pénale, alors, d'une part, selon le pourvoi, que le juge de l'action est le juge de l'exception ; que la décision attaquée ne pouvait refuser de se prononcer sur la régularité de pièces d'instruction qui étaient versées aux débats, par le motif que les articles 170 et suivants du Code de procédure pénale réservent à la Chambre d'accusation et aux juridictions correctionnelles ou de police le droit de constater la nullité des actes d'instruction ; qu'il ne saurait, à l'évidence en être ainsi lorsqu'une instruction se termine par un arrêt de la Chambre d'accusation qui constate l'extinction de l'action publique par suite d'une loi plus douce, et supprimant l'infraction, lequel n'a à l'évidence pas statué sur la validité des actes d'instruction et n'a donc pu "purger" les nullités ; qu'en effet, la validité des actes d'instruction est sans influence sur la décision rendue ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé à la fois l'adage, le juge de l'action est le juge de l'exception dont les principes sont requis par l'article 49 du nouveau Code de procédure civile et les articles 170 et suivants du Code de procédure pénale, et alors, d'autre part, que la nullité des actes d'instruction n'est purgée que par les arrêts de la Chambre d'accusation renvoyant une affaire devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assise ; qu'elle ne saurait être purgée par un arrêt infirmant une ordonnance de non-lieu et ordonnant un supplément d'instruction, (un tel arrêt ne privant pas la Chambre d'accusation de son pouvoir d'annuler ultérieurement les actes d'instruction), ni par un arrêt déclarant l'action publique éteinte, en raison d'une loi nouvelle supprimant l'infraction poursuivie ; que c'est donc par une violation des articles 174 et 206 du Code de procédure pénale que la cour d'appel a refusé d'examiner la nullité des actes de procédure pénale le pouvoir et le devoir de statuer sur la validité d'une procédure, soit à la requête de l'une des parties, soit d'office, lorsque cette procédure lui est soumise dans son entier, ce qui a été le cas, les 30 janvier 1985 et 17 février 1987 ; que si elle n'a relevé aucune anomalie procédurale, il est clair qu'elle a implicitement reconnu la validité des actes de procédures, étant de surcroît observé que les deux arrêts de la Chambre d'accusation ont fait l'objet de pourvois en cassation qui ont été rejetés ; qu'en conséquence, faute d'avoir été déclarées nulles par la juridiction compétente, les pièces de la procédure pénale ont été régulièrement versées aux débats ;

Mais attendu que quelque soit le caractère erroné des motifs de l'arrêt critiqués par le moyen, celui-ci est inopérant dès lors qu'il ne précise pas en quoi la nullité invoquée était susceptible d'avoir une influence sur la solution du litige civil ;

Sur le troisième moyen : - Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir décidé qu'un contrat de concession s'était formé pour 1979, alors, selon le pourvoi, que pour décider que la lettre du 18 décembre 1978 de la société Sauze constituait une acceptation pure et simple de l'offre de la société Mercedes Benz du 11 décembre 1978, et que les établissements Sauze n'avaient fait que solliciter l'autorisation de représenter une autre marque conformément à l'article 9 du contrat et que leur acceptation était pure et simple, la cour d'appel a purement et simplement omis de tenir compte du troisième paragraphe de la lettre du 18 décembre 1978, dans lequel le président de la société Sauze écrivait, après avoir déclaré accepter l'offre, dans la mesure où elle permettait de réaliser partiellement la rentabilité de l'affaire : "il est évident que l'absence du haut de gamme ne permet pas d'assurer une rentabilité suffisante à mon entreprise et compte tenu de votre implantation personnelle dans mon secteur, je ne peux envisager la représentation d'une autre marque, gamme haute", d'où résultait nécessairement la volonté de lier l'acceptation du contrat de concession à la représentation d'une autre marque en ce qui concerne la gamme haute ; qu'en omettant de tenir compte de ce passage, la cour d'appel e méconnu le sens et la portée de la décision attaquée, et par là-même violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt a, par une décision motivée et souveraine et hors toute dénaturation, interprété la lettre du 18 décembre 1978 en relevant que le troisième paragraphe de ce document n'avait aucune incidence sur l'acceptation par la société Sauze de l'offre de contrat de concession qui lui avait été faite par la société Mercedes Benz, puisqu'il se bornait à mentionner la demande de la société Sauze en vue d'obtenir l'autorisation de pouvoir représenter une autre marque, une telle demande lui étant au demeurant possible sur le fondement de l'article 9 du contrat ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la société Mercedes Benz, alors, d'une part, selon le pourvoi, que la règle posée par l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, si elle a pu avoir pour conséquence, en ce qui concerne les refus de vente, de mettre fin à des actions pénales en cours, constitue une règle de fond, sans effet rétroactif, en ce qui concerne les règles nouvelles posées notamment quant aux prix discriminatoires ; qu'en considérant que l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pouvait s'appliquer à des faits concernant les années 1976, 1977 et 1978, la cour d'appel a violé l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ensemble l'article 2 du Code civil ; alors, d'autre part, que, sous l'empire de l'ordonnance du 30 juin 1945, la pratique des prix discriminatoires ne pouvait être reprochée à un opérateur économique, que, dans la mesure où il disposait d'une puissance dominante sur le marché et où la pratique de prix discriminatoire pouvait être considérée comme un abus de cette position ; que ce fait constituait du reste une infraction pénale susceptible soit d'une amende administrative, soit d'une poursuite correctionnelle ; qu'il ne résulte pas de l'arrêt que Mercedes Benz France ait occupé une situation dominante sur le marché ; que la décision attaquée n'est donc pas légalement justifiée au regard des articles 37 et 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 1382 du Code civil ; et, alors, enfin, que si, pour faire échec à l'argumentation de la société Mercedes Benz France, la cour d'appel énonce que vainement il est allégué que Sauze n'était plus titulaire d'un contrat de concession pour les véhicules industriels, dès lors que, par courrier du 24 décembre 1975, dont les termes n'ont pas été dénoncés à l'époque où se situent les faits incriminés, la société anonyme Mercedes Benz France avait précisé le montant des remises qui étaient celles consenties aux concessionnaires, de tels motifs qui ne permettent pas de déterminer si un contrat s'était formé en ce qui concerne les remises consenties pour la vente des camions aux établissements Sauze, ni pour quelle durée ce contrat aurait été consenti, ni si la facturation à des prix différents ne valait pas résiliation du contrat ne justifie pas légalement la condamnation de l'exposante à des dommages-intérêts au regard de l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, ainsi que l'arrêt l'a relevé à bon droit, que si l'ordonnance du 1er décembre 1986 a abrogé les dispositions pénales relatives aux pratiques discriminatoires de prix ou aux refus de vente visés par l'article 37 modifié de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sur le prix et par les articles 1-2° et 40 de l'ordonnance n° 45-1484 portant la même date, celle-ci s'est trouvée immédiatement applicable aux faits commis antérieurement dès lors que les ordonnances abrogées interdisaient également, de même que l'ordonnance du 1er décembre 1986, les pratiques dénoncées ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt a relevé les éléments de fait établissant que la société Sauze était concessionnaire exclusif de la société Mercedes Benz ; qu'il a également constaté qu'en 1976, 1977 et 1978 la société Mercedes Benz s'était rendue coupable d'agissements constitutifs de refus de vente ou de pratiques discriminatoires ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; qu'il suit de là qu'en aucune de ses branches le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le cinquième moyen : - Attendu, enfin, qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir affecté le montant de la condamnation des intérêts au taux légal à compter du 8 novembre 1979, alors, selon le pourvoi, qu'en toute matière la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal, mais que, sauf dispositions contraires de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement, à moins que le juge n'en décide autrement par une décision spécialement motivée ; que la cour d'appel, en affirmant que les intérêts devaient partir du 8 novembre 1979 car l'instance dont le tribunal de commerce était saisi n'était que le transfert devant lui d'une procédure engagée le 8 novembre 1979 a, en réalité, laissé entendre que le point de départ des intérêts moratoires aurait dû être, si la plainte pénale avait prospéré, le jour du dépôt de cette plainte, ce qui constitue une violation de l'article 1153-1 du Code civil ;

Mais attendu que l'article 1153-1 du Code civil permet au juge de fixer le point de départ des intérêts à une date antérieure au prononcé du jugement ; que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.