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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 26 février 1992, n° 9573-91

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cogefa (SA)

Défendeur :

Saviex France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gabet-Sabatier

Conseillers :

MM. Jauffret, Ribeton

Avoués :

SCP Lefevre Tardy, Me Robert

Avocats :

Mes Krieger-Desroches, Saffar.

T. com. Nanterre, prés., du 14 oct. 1991

14 octobre 1991

FAITS ET PROCEDURE

Par ordonnance de référé en date du 14 octobre 1991 rendue contradictoirement, le Président du tribunal de commerce de Nanterre a ordonné à la Cogefa de livrer à la société Saviex un tiers des marchandises énumérées dans le télex de la société Saviex en date du 30 août 1991 à conditions égales à celles faites à ses concurrents dans le mois de la signification de l'ordonnance et passé ce délai sous astreinte provisoire de 2 500 F par jour de retard, le deuxième tiers devant être livré dans les deux mois de la signification de l'ordonnance et le dernier tiers dans les trois mois sous la même astreinte ;

La même décision a condamné la société Cogefa à payer la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile;

La société Cogefa a sollicité et obtenu l'autorisation d'interjeter appel à jour fixe de cette décision par ordonnance du délégataire de Monsieur le premier président en date du 21 novembre 1991 ;

Elle fait valoir que la demande est irrecevable dans le cadre du référé-provision de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il n'existe aucun comportement manifestement illicite exposant la société Saviex à un dommage imminent et qu'enfin la marchandise commandée est indisponible à raison du stock et de l'importance des commandes devant être antérieurement honorées; elle fait encore valoir que la commande présente un caractère anormal ;

Elle demande en conséquence à la Cour de déclarer la demande irrecevable sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de dire en tout état de cause que les conditions des articles 872 et 873 du Nouveau code de procédure civile ne sont pas réunies et subsidiairement de constater l'indisponibilité des marchandises ; elle demande l'allocation de la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile;

La société Saviex, spécialisée dans l'importation et l'exportation de pièces pour l'automobile considère sa procédure comme parfaitement recevable, l'assignation au fond étant délivrée au moment où le juge des référés a statué;

Elle conclut à la confirmation de l'ordonnance et demande en outre la liquidation de l'astreinte à la somme de 167 500 F et la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISISON

Considérant qu'il convient de préciser un certain nombre d'éléments de faits évoqués de part et d'autre par les parties et qui éclairent sur le contexte dans lequel survient le présent litige ;

Considérant que la société Cogefa indique dans ses écritures qu'elle ne fabrique pas mais conditionne seulement en France des pièces détachées pour l'automobile alors que la société Saviex commercialise notamment à l'exportation des pièces détachées automobiles qu'elle achète auprès de différents fournisseurs ;

Que la société Cogefa est en relations d'affaires avec la société Soeximex qui tout particulièrement développe une activité importante de vente de pièces détachées pour l'automobile dans différents pays d'Afrique et surtout au Nigeria, marché très important ; que la société Soeximex est dirigée par la famille Dagher-Mayeck dont un membre est le Président directeur général de la société Cogefa ;

Que de son côté la société Saviex a été créée en 1990 par Monsieur Samaha, son actuel Président directeur général, lequel a exercé durant cinq années, auparavant, les fonctions de fondé de pouvoir au sein de la société Soeximex, connaissant ainsi parfaitement bien le marché du Nigeria ; qu'au surplus, Monsieur samaha était et demeure actionnaire de la société Cogefa à raison de 10 % de son capital social;

Considérant que la société Saviex faisant valoir que la société Cogefa a refusé de lui livrer une commande par elle passée le 10 juillet 1991, a saisi et le juge du fond et le juge des référés, ce dernier pour lui demander de donner injonction à la société Cogefa d'avoir à livrer les marchandises commandées et le juge du fond pour obtenir réparation du préjudice que lui cause le refus de vente caractérisé selon elle, que lui oppose la société Cogefa ; que la société Cogefa appelante estime d'une part que la demande formée en référé, objet du présent appel, n'est pas recevable et que d'autre part, il n'y a pas de sa part refus de vente susceptible d'être sanctionné;

SUR LA SAISINE DU JUGE DES REFERES

Considérant que la société Cogefa fait valoir que l'action de la société Saviex fondée sur les dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas recevable et qu'en tout état de cause les conditions générales du référé ne sont pas réunies ;

1 - SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE AU REGARD DES DISPOSITI0NS DE L'ARTICLE 36 DE L'ORDONNANCE DU 1ER décembre 1986

Considérant que la société Cogefa rappelle qu'aux termes de ce texte, le juge des référés ne peut être saisi d'un référé spécial que l'ordonnance du 31 décembre 1986 institue que si le juge du fond est préalablement saisi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce; qu'elle fait en effet valoir que l'assignation au fond a été délivrée devant le Tribunal de Commerce le 26 septembre 1991 alors que l'assignation en référé a été délivrée le 24 septembre 1991;

Considérant qu'en réplique la société Saviex fait valoir que si ces dates sont parfaitement exactes, il n'en demeure pas moins que l'audience de référé ayant eu lieu le 3 octobre 1991, le juge du fond était alors déjà et régulièrement saisi;

Mais considérant que l'article 36 susvisé prévoit que " le président de la juridiction saisie peut, en référé, enjoindre la cessation des agissements en cause ou ordonner toute autre mesure provisoire";

Que ce texte exige que l'intervention du juge des référés se situe après saisine du juge du fond sans exiger explicitement que l'assignation au fond soit délivrée antérieurement à l'assignation en référé, qu'à bon droit la société Saviex fait valoir qu'il suffit qu'au jour où le juge statue en référé, le juge du fond soit saisi;

Considérant qu'en tout état de cause ce débat est dans ses conséquences limité puisqu'aussi bien, il est de droit constant désormais que le juge des référés, peut avant toute saisine du juge du fond, intervenir dans le cadre des articles 873 et suivants du Nouveau code de procédure civile pour faire cesser un comportement illégal et que même dans le contexte précis de l'article 36 susvisé il est aujourd'hui exigé par le juge la recherche non seulement que les agissements en cause répondent aux prévisions de ce texte mais sont également à l'origine d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite;

Qu'en conséquence ce premier moyen d'irrecevabilité doit être écarté ;

2 - SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE AU REGARD DES EXIGENCES DES ARTICLES 872 ET 873 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE

Considérant qu'il est acquis, ainsi qu'il vient d'être dit, que le demandeur doit établir l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite ; que la société Cogefa considère que la société Saviex ne rapporte pas pareille preuve dans la mesure où elle a d'autres fournisseurs qui peuvent satisfaire sa demande et où elle commercialise elle- même sous sa propre marque Saviex, des produits objets de la commande litigieuse;

Considérant qu'en réplique la société Saviex rappelle que le principe est celui de l'illicéité du refus de vente, lequel n'est justifié que dans certains cas très précisément définis par la loi ; qu'en conséquence tout refus de vente constitue sauf exception, un comportement manifestement illicite justifiant l'intervention du juge des référés ; qu'elle fait encore valoir en réponse aux écritures de l'appelante que d'une part il n'est pas vrai qu'elle commercialise sous sa marque des produits identiques, se limitant à offrir en présentation Kit, des ensembles de pièces dont certaines font partie de la commande litigieuse mais sans les commercialiser individuellement ; que par ailleurs elle ne s'approvisionne pas auprès d'autres fournisseurs des pièces visées à la commande;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Saviex a commandé des pièces dont elle avait un prompt débouché, ce qui justifie sa demande au regard du critère du dommage imminent, alors que l'appréciation de l'illicéité du trouble implique l'appréciation du comportement de l'auteur du refus de vente, ce qu'il convient d'examiner présentement ;

- SUR LE REFUS DE VENTE -

Considérant qu'un rappel des relations ayant pu exister entre les deux sociétés et des actes matérialisant ces relations doit être préalablement fait dans la mesure où la société Cogefa conteste l'existence même d'une " commande " au sens strict du terme ;

Considérant que le 10 juillet 1991 la société Saviex écrivait sous la signature de M. Samaha à M. Dagher- Hayeck, président de la Cogefa pour lui proposer " un programme d'achat cadencé sur base de garanties bancaires de la Société Générale et en acceptant de payer 5% de mieux que les autres clients exportateurs favorisés à la Cogefa ; le programme d'achat portera sur un budget annuel de FF 6 00 000 F (soit 12% du chiffre réalisé en 1990), payable à trente jours " ;

Considérant que ce courrier a reçu le 23 août 1991 une réponse de la Cogefa ainsi rédigée pour l'essentiel :

" Notre capacité de production et conditionnement arrivant difficilement à satisfaire pour le moment les besoins en hausse de notre clientèle actuelle, avec laquelle nous avons conclu des accords de distribution, il ne nous parait pas souhaitable pour l'instant, d'augmenter le nombre d'intervenants. Toutefois nous prenons bonne note de l'intérêt manifesté par la société Saviex dans la distribution de nos produits. Nous ne manquerons pas de l'informer de toute opportunité répondant à son attente dès que les conditions du marché le permettront " ;

Considéraflt que le 30 août 1991 la société Saviex a adressé un télex à la Cogefa ainsi libellé :

" Nous avons donc le plaisir de vous confirmer aujourd'hui notre commande n° 91 219 S 52 pour les articles suivants : . Nous vous prions de bien vouloir nous communiquer au plus tard le 3 septembre vos meilleurs prix accordés sur ces articles ainsi que votre délai de livraison (livraisons partielles autorisées)... "

Considérant qu'en réponse la Cogefa a adressé à la Saviex un télex en date du 3 septembre 1991 précisant que " comme nous vous l'avons déjà indiqué, notre potentiel productif ne nous permet pas aujourd'hui de satisfaire complètement les besoins sans cesse croissants de notre clientèle actuelle, avec laquelle nous avons pris des engagements que nous entendons respecter. Compte-tenu de ce qui précède nous ne sommes pas en mesure actuellement d'augmenter le nombre de nos distributeurs. Dès que les conditions du marché le permettront nous reprendrons contact pour une éventuelle collaboration ";

Considérant que vainement la société Cogefa élève une discussion sur la réalité de la commande alors qu'elle a clairement répondu par le télex sus- rapporté qu'elle ne pouvait y donner suite, ce qui implique qu'alors elle se considérait bien destinataire d'une commande en bonne et due forme ;

Considérant que l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pose le principe de l'illicéité du refus de vente puis édicte trois faits justificatifs qui peuvent être invoqués par l'auteur du refus et sont de nature à faire disparaître tout caractère illicite à l'acte : le caractère anormal de la commande, la mauvaise foi de l'auteur de la commande, une clause d'exclusivité répondant à certaines exigences légales;

Considérant que la société Cogefa fait valoir qu'en l'espèce elle peut invoquer ces trois faits justificatifs, alors que, il convient de le rappeler, sa réponse sus-mentionnée ne fait référence qu'à son incapacité à raison de ses stocks et structures de fonctionnement, de satisfaire la commande ce qui en soi ne constitue pas un fait justificatif au sens de la loi ;

1 - SUR LE CARACTERE ANORMAL DE LA COMMANDE

Considérant que la société Cogefa fait valoir que la prétendue commande n'est qu'un support à la présente instance judiciaire, l'objectif de la société Saviex étant avant tout de prendre une place prépondérante sur le marché du Nigeria que son dirigeant connaît bien pour en avoir eu la charge lorsqu'il travaillait au sein de la société Soeximex;

Considérant que la commande dont il a été dit plus haut que l'existence n'était pas discutable, ne peut être considérée comme anormale à raison de son importance, qu'en effet elle concerne 20 000 joints de culasse, 15 000 kits, 1 600 pompes et 800 amortisseurs ; que cette commande est chiffrée par Saviex, ce que Cogefa ne conteste pas, à environ 600 000 F alors que le chiffre d'affaires de la Saviex pour 1991 a été de 42 millions de francs et que la société Cogefa livre chaque année à la société Soeximex des marchandises pour la somme totale de 20 millions de francs soit 14 % de son chiffre d'affaires ;

Considérant que cette commande présente un caractère d'autant moins anormal qu'elle proposait une éventuelle livraison échelonnée;

Considérant que pour qualifier le caractère anormal de la commande la société Cogefa n'invoque ni ne démontre d'autres éléments pouvant établir ce caractère d'anormalité, tels que l'anormalité des modalités de livraison ou de paiement, une demande de produits n'entrant pas dans ses activités habituelles, l'absence de qualification professionnelle du demandeur face à des produits de haute technicité notamment ;

Que ce premier argument doit en conséquence être écarté ;

2 - SUR LA MAUVAISE FOI DE LA SOCIÉTÉ SAVIEX

Considérant que la société Cogefa soutient que la commande litigieuse n'est qu'un prétexte et que la société Saviex cherche avant tout à compromettre les relations de Cogefa et de la Soeximex ;

Considérant que la mauvaise foi doit être caractérisée et prouvée par celui qui l'invoque et implique notamment l'existence certaine d'une intention de nuire au vendeur ou l'utilisation de méthodes commerciales anormales ;

Considérant que la seule affirmation suivant laquelle la société Saviex cherche à pénétrer le marché déjà largement appréhendé par la société Soeximex, à la supposer fondée, n'est pas à elle seule constitutive de mauvaise foi mais seulement d'un acte certain de concurrence parfaitement autorisé par la loi;

Considérant que la société Cogefa ne démontre pas que la société Saviex use de méthodes illicites pour parvenir à " infiltrer" le marché notamment au Nigeria encore que le présent litige n'oppose pas la Saviex à la Soeximex mais seulement à son fournisseur principal, la société Cogefa ;

Que ce deuxième argument doit être écarté comme non fondé ;

3 - SUR L'EXISTENCE D'UN CONTRAT D'EXCLUSIVITÉ AVEC SOEXIMEX

Considérant en premier lieu qu'il appartient à la société qui l'invoque de rapporter la preuve certaine de ce contrat d'exclusivité, ce que, malgré la libre preuve en matière commerciale, la société Cogefa ne fait nullement en produisant des éléments de preuve déterminants, qu'elle se limite à affirmer l'existence d'une convention orale, ce qui ne saurait être retenu présentement ;

Considérant qu'en second lieu pareille convention ne peut fonder un refus de vente que si elle répond aux exigences fixées par l'article 10 de l'ordonnance précitée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

Considérant en conséquence que ce troisième argument n'est pas fondé et doit également être écarté ; qu'ainsi il apparaît qu'à bon droit les premiers juges ont retenu que le refus de vente opposé par la société Cogefa à la société Saviex n'avait aucun caractère justifié, que bien au contraire ce refus de vente est constitutif d'un trouble manifestement illicite qu'à bon droit le premier juge a fait cesser ;

- SUR LA DEMANDE DE LIQUIDATION DE L'ASTREINTE -

Considérant que la société Saviex demande à la Cour de liquider l'astreinte ordoNnée par le premier juge pour garantir l'exécution de sa décision ;

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'à ce jour la société Cogefa n'a encore effectué aucune des livraisons prévues par le magistrat de première instance qui devaient par tiers, être réalisées dans le mois, puis les deux mois et les trois mois de la signification de l'ordonnance en date du 14 octobre 1991 ;

Considérant que cette demande apparaît en l'état prématurée et pourra ultérieurement justifier la saisine du juge qui a ordonné l'astreinte;

- SUR LES FRAIS IRREPETIBLES -

Considérant que la société Cogefa demande à ce titre la somme de 15 000 F, ce dont il convient de la débouter alors que la société Saviex sollicite la somme de 20 000 F ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Saviex les frais irrépétibles exposés et que la somme de 10 000 F doit lui être allouée ;

Par ces motifs, LA COUR, statunt publiquement et contradictoirement, Vu l'ordonnance du 1er décembre 1986 et les articles 873 et suivants du nouveau code de procédure civile ; Déclare recevable et bien fondée l'action de la société Saviex France, Déboute la société Cogefa ; Confirme en conséquence la décision déférée en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, dit n'y avoir lieu présentement à liquidation de l'astreinte, Déboute la société Cogefa de sa demande formée au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, La condamne à payer sur ce fondement à la société Saviex la somme de dix mille francs ; La condamne aux entiers dépens et dit que Maître Robert pourra recouvrer directement contre elle les frais exposés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.