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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 26 octobre 1995, n° 7772-94

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Paris Ouest Approvisionnement (SA)

Défendeur :

Barilla France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mmes Laporte, Rousset

Avoués :

SCP Lefevre & Tardy, SCP Fievet-Rochette-Lafon

Avocats :

Mes Curt, Dolfi.

T. com. Versailles, prés., du 29 juin 19…

29 juin 1994

FAITS ET PROCEDURE :

La SA Parouest, centrale d'achats de plusieurs magasins de distribution du Groupe Abihssira, s'est approvisionnée à diverses reprises en produits alimentaires auprès de la SARL Barilla France.

Le 23 Mars 1994, elle a passé deux commandes à la SARL Barilla France pour une valeur globale d'environ 93.000 F HT en demandant d'être livrée le 6 Avril 1994.

Le 25 Mars 1994, la SARL Barilla France a accepté ces commandes sous réserve du paiement des marchandises avant livraison, conformément à son tarif en vigueur et à ses conditions générales de vente et compte tenu du contentieux opposant les deux sociétés.

Le 29 Mars 1994, la SA Parouest, arguant de son affiliation au Groupe Auchan, a refusé les modalités de règlement prétendument discriminatoires de la SARL Barilla France et l'a mise en demeure d'honorer ses commandes pour la date prévue aux conditions Auchan prévoyant un paiement à 90 jours de la livraison.

Puis, estimant que les conditions de vente imposées par la SARL Barilla France étaient constitutives d'un refus de vente injustifié au sens de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er Décembre 1986, la SA Parouest l'a assignée devant le juge des référés du Tribunal de Commerce de Versailles aux fins d'obtenir la livraison des marchandises objet des deux commandes, dans un délai de 24 heures sous astreinte.

Par ordonnance du 29 Juin1994, le Président de cette juridiction, faisant droit à l'exception soulevée par la SARL Barilla France, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Paris, a dit qu'il serait fait application de l'article 97 du Nouveau Code de Procédure Civile, débouté cette société de sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et condamné la demanderesse aux dépens.

Appelante de cette décision, la SA Parouest, qui estime son recours recevable sur le fondement de l'article 98 du Nouveau Code de Procédure Civile, fait valoir que le premier juge a retenu à tort son incompétence dès lors que la clause attributive de compétence revendiquée par la SARL Barilla France, dont elle n'a jamais eu connaissance, lui est inopposable qu'elle s'avère, en tout cas, inapplicable en matière de refus de vente engageant la responsabilité délictuelle et non pas contractuelle du fournisseur et qu'elle était en droit de choisir le Tribunal du lieu, le dommage avait été subi en vertu de l'article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle soutient, au fond, qu'en raison de l'accord de partenariat intervenu le 25 Juin 1991 et jamais remis en cause, elle pouvait légitimement bénéficier des conditions Auchan et fait état de décisions judiciaires ayant condamné d'autres fournisseurs pour lui avoir refusé la vente de leurs produits selon ces mêmes modalités.

Elle ajoute que la SARL Barilla France l'expose à un préjudice commercial grave dans la mesure où elle ne peut plus, depuis plusieurs mois, s'approvisionner en produits de sa marque.

Elle sollicite, en conséquence, par voie d'infirmation, la condamnation de la SARL Barilla France à lui livrer les marchandises commandées le 23 Mars 1994 dans les 48 heures de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 5.000 F par jour de retard, sur le fondement des articles 872 et 873 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre une indemnité de 20.000 F. au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La SARL Barilla France conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, subsidiairement au rejet de toutes les prétentions de la SA Parouest et réclame la somme de 200.000 F pour frais irrépétibles.

L'intimée oppose que la demande de la SA Parouest étant fondée sur une prétendue violation de ses conditions générales de vente et résultant d'une situation conflictuelle issue de relations contractuelles antérieures entre les parties, comme en témoignent des procédures pendantes, elle devait être soumise au Président du Tribunal de Commerce de Paris, conformément à la clause attributive de compétence figurant à l'article 7 desdites conditions dont la SA Parouest était parfaitement informée.

Elle soutient, en tout état de cause, que la SA Parouest, indépendante selon elle du Groupe Auchan, faisait l'objet à l'époque des commandes, d'une action de sa part en recouvrement de factures impayées, ce qui l'autorisait à revoir, par mesure de prudence, les conditions de règlement précédemment accordées.

Elle allègue sa mauvaise foi en affirmant que la commande litigieuse était la cinquième dont elle soumettait la livraison au paiement préalable des marchandises, outre l'existence d'une contestation sérieuse en raison de trois instances au fond actuellement en cours ayant trait à des commandes antérieures les opposant.

Elle ajoute que la SA Parouest, qui avait la possibilité de s'approvisionner auprès d'un autre acheteur indépendant et s'est privée volontairement d'une procédure rapide en sollicitant la radiation de l'affaire appelée devant le Juge des Référés du Tribunal de Commerce de Paris pour interjeter appel de la décision déférée plus de trois mois après son prononcé, ne démontre nullement l'urgence, ni le dommage imminent ou le trouble manifestement illicite qu'elle invoque.

En réplique, la SA Parouest a contesté l'ensemble de cette argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 Septembre 1995.

MOTIFS DE L'ARRÊT:

Considérant que contrairement à ce qu'à décidé le premier juge, il n'y avait pas lieu à application de l'article 97 du Nouveau Code de Procédure Civile s'agissant d'une décision de référé ;

Que l'appel relevé par la SA Parouest est donc recevable en vertu de l'article 98 du même code ;

Considérant que la SA Parouest a fondé son action sur un refus de vente entre professionnels prévu par l'article 36 de l'ordonnance du 1er Décembre 1986 qui constitue un délit civil même lorsqu'il survient entre des parties se trouvant en relations d'affaires.

Que par conséquent, cette société, qui se prétend victime d'un tel refus, était en droit de se prévaloir de l'option qui lui est offerte par l'article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile et de saisir le Juge des Référés du Tribunal de Commerce de Versailles dans le ressort duquel elle a son siège social, lieu où le dommage aurait été subi, sans que la SARL Barilla France ne puisse valablement lui opposer la clause attributive de compétence au Tribunal de Commerce de Paris figurant à ses conditions générales de vente, dont il n'est pas, au demeurant, démontré qu'elle en ait été informée au vu du seul extrait annexé à son tarif où elle n'est pas mentionnée, dès lors que celle-ci n'était pas applicable dans le cadre d'un litige mettant en jeu sa responsabilité délictuelle;

Que le premier juge s'est donc déclaré à tort incompétent pour en connaître.

Considérant qu'aux termes de l'article 36 de l'ordonnance n° 86- 1243 du 1er Décembre 1986, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10.

Considérant qu'en l'espèce, il est constant que la SARL Barilla France a refusé d'honorer les commandes passées le 23 Mars 1994 par la SA Parouest aux conditions particulières de règlement à 90 jours de la livraison par elle alors consenties au Groupe Auchan, en exigeant un paiement de factures pro-forma préalable à la livraison des produits, prétendument conforme à ses propres conditions générales de vente.

Que, pour justifier ce refus, elle soutient que cette mesure est exclusive de toute discrimination dès lors que la SA Parouest, qui ne peut prétendre bénéficier des avantages accordés au Groupe Auchan, n'avait pas acquitté des factures antérieures et qu'elle est acheteur de mauvaise foi dans la mesure où d'autres commandes avaient été déjà subordonnées à ces mêmes modalités de règlement.

Considérant toutefois qu'il ressort des pièces produites devant ta Cour qu'à la suite de l'accord de partenariat conclu entre le Groupe Auchan et le Groupe Abihssira auquel appartient la SA Parouest, le Groupe Auchan a informé l'ensemble de ses fournisseurs, le 6 Août 1991, du bénéfice par le Groupe Abihssira des conditions négociées par la centrale d'achats et confirmé la validité de cet accord par lettre du 5 Août 1994 à la SARL Barilla France, laquelle l'a assuré le 10 Août 1994, de l'application intégrale desdites conditions au Groupe Abihssira.

Que la SA Parouest était donc en droit de les revendiquer lors des commandes du 23 Mars 1994.

Considérant qu'un acquéreur peut être un client de mauvaise foi lorsque, contrairement aux usages commerciaux, il passe une nouvelle commande alors qu'il a laissé impayée, sans motif légitime, une précédente commande.

Considérant qu'il est établi qu'à l'époque des commandes litigieuses, la SA Parouest, qui n'avait pas réglé les dernières factures émises par la SARL Barilla France du 18 Février au 5 Mai 1993, faisait l'objet de sa part, d'une action en recouvrement initiée le 10 Septembre 1993 devant le Tribunal de Commerce de Versailles.

Qu'il s'infère néanmoins des éléments de cette procédure, que la SA Parouest, qui n'a pas contesté la créance de la SARL Barilla France, a refusé de l'honorer en raison du non acquittement par cette société de ses propres dettes à son égard constituées par des remises à hauteur de 128.498,38 F TTC au titre de budgets concernant les exercices 1992 et 1993, conformément aux accords en vigueur puis a procédé, en cours d'instance dès le 27 Octobre 1993, au règlement des factures à concurrence de 94.224,45 F après avoir déduit les sommes dont la SARL Barilla France demeurait redevable.

Que la SARL Barilla France ayant ainsi été elle-même débitrice envers la SA Parouest, cette dernière pouvait légitimement lui opposer l'exception d'inexécution de ses propres obligations pour refuser de payer intégralement les factures en cause.

Qu'en outre, le Tribunal saisi a admis, par jugement du 2 Novembre 1994, le bien fondé de la proposition de la SA Parouest en relevant que les déductions par elle effectuées correspondaient aux remises sur achats négociées entre Auchan et la SARL Barilla France, laquelle ne pouvait en ignorer l'application en faveur de la SA Parouest compte tenu des courriers précités des 6 Août 1991 et 5 Août 1994 et qu'il n'est pas justifié d'un recours exercé contre cette décision.

Considérant que la SARL Barilla France soutient tout aussi vainement qu'en imposant un paiement avant livraison, elle n'aurait fait que se référer à ses conditions générales de vente qui lui permettaient de modifier les conditions de paiement de ses clients prévues à 75 jours nets de la livraison "en fonction de leur situation financière", dès lors que le différend qui opposait à l'époque les deux sociétés n'était aucunement lié à une quelconque difficulté financière de la SA Parouest qui justifie, par ailleurs, de sa parfaite solvabilité.

Considérant qu'elle ne peut davantage déduire la prétendue mauvaise foi de la SA Parouest de trois commandes antérieures qui se sont heurtées à la même exigence de sa part, dans la mesure où l'acheteur n'a accepté la condition de paiement préalable qu'au titre d'une seule commande passée le 1er Février 1994 dans le contexte spécifique d'une opération nationale Auchan lui imposant des délais impératifs en manifestant expressément son désaccord à cette condition discriminatoire qui lui était imposée, par lettre du 28 Février 1994, puis a engagé ensuite une action en réparation de son préjudice.

Considérant enfin que la SARL Barilla France, qui ne démontre pas la mauvaise foi de la SA Parouest, laquelle était légitimement en droit de prétendre aux "conditions Auchan" et qui n'allègue pas le caractère anormal des commandes s'inscrivant dans le cadre des relations commerciales habituellement entretenues avec le Groupe Auchan, ne peut sérieusement contester l'urgence de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant du refus de vente caractérisé perpétré au détriment de la SA Parouest.

Qu'il importe, aux fins d'y remédier, d'ordonner la livraison à la SA Parouest des marchandises objets des deux commandes du 23 Mars 1994, "aux conditions Auchan" dans les 48 heures suivant la signification de la présente décision, sous astreinte provisoire de 5.000 F par jour de retard passé ce délai.

Considérant que l'équité justifie d'allouer à la SA Parouest une indemnité de 10.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Que l'intimée, qui succombe en toutes ses prétentions et supportera les dépens des deux instances, n'est pas fondée en sa demande au même titre.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, Déclare la SA Parouest recevable en son appel, Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau : Dit que le Juge des Référés du Tribunal de Commerce de Versailles était compétent pour statuer sur l'action en refus de vente formée par la SA Parouest sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er Décembre 1986, Condamne la SARL Barilla France à satisfaire "aux conditions Auchan" aux commandes passées le 23 Mars 1994 par la SA Parouest dans les 48 heures de la signification du présent arrêt, Dit qu'à défaut de respecter cette obligation, la SARL Barilla France sera tenue de payer à la SA Parouest une astreinte provisoire de 5.000 F par jour de retard, Condamne la SARL Barilla France à verser à la SA Parouest une indemnité de 10.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Rejette sa prétention au même titre, La condamne aux dépens des deux instances et autorise la SCP Lefevre & Tardy, avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.