CA Lyon, 1re ch., 10 février 1994, n° 93-00877
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Richard Pontvert (SA)
Défendeur :
Delpol (SA), Ministre de l'Économie des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mermet
Conseillers :
Mme Biot, M. Jacquet
Avoués :
SCP Brondel-Tudela, Me Guilhem
Avocats :
Mes Azoulai, Legal.
FAITS - PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Faisant état de ce qu'elle est propriétaire de la marque Paraboot, et de ce que la société Delpol offrait à la vente plusieurs chaussures de cette marque, la société Richard Pontvert a obtenu le 10 octobre 1991, du président du tribunal de grande instance de Lyon, saisi sur requête, une ordonnance commettant un huissier de justice pour procéder à toutes constatations et se faire remettre tous documents relatifs au fournisseur de la société Delpol.
Cette dernière a été ensuite déboutée de sa demande en rétractation de ladite décision, par ordonnance de référé en date du 11 décembre 1991, mais refusa de communiquer les documents justifiant la provenance des chaussures.
Par acte du 27 octobre 1992, la société Richard Pontvert a assigné en référé la société Delpol aux fins de l'entendre condamner à lui remettre ces documents sous astreinte de 1.000 F par jour de retard, en réclamant une indemnité de 6.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par acte du 21 octobre 1992, le ministère de l'économie des finances et du budget constatant qu'à la suite de relations commerciales suivies, la société Richard Pontvert n'avait pas honoré la commande passée auprès d'elle le 5 février 1989 par la société Delpol, commande renouvelée le 22 janvier 1992, ce qui constitue un refus de vente non légitimé par le caractère anormal de la demande, la mauvaise foi du client ou la mise en place d'un réseau de distribution sélective, ce qui créé un trouble manifestement illicite, a assigné en référé la société Richard Pontvert, sur la base de l'article 36 de l'ordonnance n° 86- 1243 du 1er décembre 1986 aux fins de voir ordonner à cette société d'honorer la commande de la société Delpol et toute ultérieure, sous astreinte de 5.000 F par jour de retard suivant la signification de l'ordonnance, ce en réclamant une indemnité de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Considérant que la demande du ministère était directement liée à celle diligentée à son encontre par la société Richard Pontvert, la société Delpol est intervenue dans l'instance introduite par le ministère, en s'associant à sa demande et en réclamant une somme de 25.000 F à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'une indemnité de 5.000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, tout en sollicitant le sursis à statuer en l'état sur la demande de la société Richard Pontvert jusqu'à ce qu'il soit statué sur celle du ministère.
Les deux procédures ont été jointes.
La société Richard Pontvert a relevé appel de l'ordonnance du 18 janvier 1993, la déboutant de ses demandes et lui ordonnant sous astreinte d'honorer la commande de la société Delpol.
Elle demande à la cour de déclarer mal fondées la demande du Ministre de l'économie, des finances et du budget et l'intervention de la société Delpol, de condamner cette dernière sous astreinte à lui remettre les documents et renseignements établissant la provenance des chaussures de marque Paraboot en vente dans ses locaux et de la condamner avec le Ministre à lui payer une indemnité fondée sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle soutient d'abord que le trouble manifestement illicite et le dommage imminent ne peuvent pas être invoqués et qu'il n'y a donc pas lieu à référé ; ensuite, qu'elle a créé un réseau de distribution sélective dont la société Delpol n'a pas souhaité faire partie et qu'en conséquence, il n'y a pas refus de vente ; subsidiairement, que le refus de vente est justifié conformément à la loi.
Le Ministre de l'économie conclut à la confirmation de l'ordonnance et à la condamnation de l'appelante à lui payer une indemnité fondée sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société Delpol forme des demandes identiques.
MOTIFS ET DECISION
Attendu que l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 reconnaît au Ministre chargé de l'économie le droit d'introduire devant la juridiction civile ou commerciale l'action destinée à sanctionner ou faire cesser une pratique prohibée par le même texte;
Que la société Richard Pontvert est donc mal fondée à contester la compétence de la juridiction civile;
Attendu qu'il est constant que cette société a reçu un bon de commande daté du 5 février 1989 pour livraison de soixante et une paires de chaussures à la société Delpol ;
Que cette dernière a rappelé cette commande par lettre recommandée, reçue le 22 janvier 1992, par la société Richard Pontvert ; que la livraison n'a pas été effectuée ;
Attendu qu'il appartient à la société Richard Pontvert de rapporter la preuve de l'existence et de la licéité du réseau de distribution sélective, mais qu'elle n'y parvient pas ;
Qu'en effet, il ressort des pièces qu'elle produit que les clients avec lesquels elle est liée par contrat de distribution sont au nombre de 182, alors qu'en 1992 le nombre total de clients était de 855 (cf. "comparatif de clients détaillants") et selon le fichier client au 1er mars 1993, de plus de 350 ;
Qu'elle ne peut donc pas sérieusement prétendre qu'elle ne livre que des clients appartenant au réseau de distribution sélective ;
Que la société Richard Pontvert ne procède que par affirmations générales quand elle prétend que les critères qu'elle veut imposer sont nécessaires à la bonne commercialisation du produit ; qu'en outre elle ne précise pas quel avantage économique doit ainsi être procuré aux consommateurs ; qu'au contraire, tous les arguments qu'elle présente font apparaître qu'elle ne recherche que sa protection et son profit ;
Attendu que la société Richard Pontvert ne peut pas reprocher à la société Delpol des actes de mauvaise foi ; qu'en effet, il n'est pas anormal de passer commande dans le cadre d'une manifestation commerciale telle qu'un salon ; qu'il n'est pas plus anormal que la société Delpol se soit approvisionnée auprès d'autres distributeurs de la marque Paraboot puisqu'elle se heurtait au refus de vente antérieur de la société Richard Pontvert ;
Attendu que le moyen relatif à l'indisponibilité "tant matérielle que juridique" des articles commandés par la société Delpol n'est qu'une affirmation dépourvue de toute justification ;
Attendu que puisque le caractère licite du réseau de distribution sélective de la société Richard Pontvert n'est pas démontrée et en l'absence d'éléments faisant penser que les achats de produits de marque Paraboot par la société Delpol peuvent avoir une origine frauduleuse, il n'apparaît pas nécessaire d'assortir d'une astreinte l'obligation mise à la charge de la société Delpol par l'ordonnance du 10 octobre 1991 ;
Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser au Ministre de l'économie et à la société Delpol la charge de tous leur frais exposés en appel et non compris dans les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme l'ordonnance ; Y ajoutant, Rejette les demandes d'indemnité fondées sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne la société Richard Pontvert aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Guilhem, avoué.