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Décisions

CA Rennes, ch. corr., 15 octobre 1987, n° 1586-87

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacan

Conseillers :

Mme Arin, M. Lapeyre

Avocat :

Me Delelis Fanien.

TGI Rennes, ch. corr., du 12 févr. 1987

12 février 1987

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par les prévenus et le Ministère Public d'un jugement du Tribunal Correctionnel de Rennes en date du 12 février 1987 qui, pour ventes ou achats sans factures, a condamné Pierre X à une peine d'amende de 25.000 F ;

Et relaxant partiellement,

Mme Y née X pour les faits commis antérieurement au 11 mars 1983 l'a déclarée coupable pour le surplus, et l'a condamnée à une peine d'amende de 5.000 F ;

Considérant qu'il est fait grief aux prévenus d'avoir :

X Pierre à Rennes, du 21 décembre 1980, au 21 décembre 1983, en qualité de gérant de la SARL Z, vendu des marchandises à 73 clients, industriels, ou commerçants, sans délivrer immédiatement une facture ;

D'avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu effectué des prestations de service au profit d'industriels et commerçants sans délivrer immédiatement une facture,

Faits prévus à l'époque des faits par les articles 46, 47, 48 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et réprimés par les articles 1er et 39 de l'ordonnance n° 45-1484 de l'ordonnance du 30 juin 1945, aujourd'hui abrogées mais actuellement visées à l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ;

Y Christine d'avoir à Angers, du 21 décembre 1980, au 21 décembre 1983, en qualité de gérante de la SARL W, acheté des marchandises destinées à la revente pour les besoins de son activité commerciale sans que ces achats fassent l'objet d'une facturation immédiate de la part de fournisseurs, les établissements Z ;

Considérant qu'il résulte de l'enquête les éléments suivants :

Lors d'un contrôle effectué le 21 décembre 1983 par la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation et de la Répression des Fraudes au siège de la SARL Z, [adresse], ayant pour activité la fabrication et la vente de gros et détail de fourrures, et dont le gérant est X Pierre, ainsi que dans l'atelier de confection, zone industrielle du Pontais, à Saint- Grégoire, les fonctionnaires de cette administration ont été amenés à constater que :

1°) les livraisons de fourrures et de vêtements de la société Z à ses clients commerçants n'étaient facturés qu'après vente, aux consommateurs par les détaillants et au vu des relevés de ventes effectués par ces derniers, les délais entre les livraisons et les facturations dépendant évidemment du temps mis par le détaillant à réaliser ses ventes et pouvant être de plusieurs mois et parfois supérieurs à un an ;

Soixante treize clients bénéficiaient de ce système de facturation, les relevés effectués permettant d'établir que du 22 décembre 1980 au 31 mars 1983, les factures émises avec des retards variables, s'élevaient à 3.807.732,69 F et que le montant de prestation et services, réparation et façonnage, effectués sans faire l'objet de facturation s'élevaient à 61.367,10 F,

2°) les livraisons étaient faites principalement à deux sociétés et s'élevaient, durant la même période et pour la SARL W à la somme de 1.490.490,00 F

Il s'agissait de :

- la SARL V dont le siège est à La Rochelle et qui possède trois points de vente (La Rochelle, Pontivy, Cherbourg), la gérante de cette société étant Mme Y Christine, soeur de Pierre X, qui possédait d'ailleurs 50 % du capital de cette société ;

- La SARL W dont la gérante était Mme Marie-Claire M du 21 décembre 1980 au 11 mars 1983, puis à partir de cette date, Mme Y, Pierre X étant encore associé à 25 % dans cette société alors que Mme Y était également associée et comptable de la SARL Z ;

Considérant que les prévenus qui ne contestent pas la matérialité des faits et des diverses constatations faites par les enquêteurs et rappelés ci-dessus, soulèvent les mêmes moyens et exception de nullité invoqués devant les premiers juges et concluent à leur relaxe ;

Qu'ils demandent en premier lieu que soient déclarés nuls les procès-verbaux établis par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Direction des Fraudes, respectivement le 20 mars 1984 pour M. X et 17 avril 1984 pour Mme Y, comme ayant été rédigés tardivement, contrairement aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, cette exigence était une formalité essentielle qui intéresse les droits de la défense et doit être observée à peine de nullité ;

Qu'ils prétendent ensuite que les infractions reprochées ne sont pas constituées, au motif que les opérations visées ne constituaient pas des ventes mais des dépôts de marchandises comme l'attestaient les bordereaux accompagnant ces marchandises et dénommés "bons de remise en consignation" estimant ainsi qu'il n'était pas nécessaire d'établir immédiatement des factures lors des transferts de marchandises ;

Sur l'exception de nullité des procès-verbaux :

Considérant que le plus court délai prévu à l'article 7 de l'ordonnance 45-1484 du 30 juin 1945, alors applicable, qui ne précise pas la durée du délai durant lequel les procès- verbaux doivent être établis et ne parait être assorti d'aucune sanction ou nullité, doit être apprécié en fonction de la difficulté ou de la complexité de l'affaire ;

Qu'en l'espèce, l'instruction de l'affaire a nécessité l'examen de nombreux documents et des vérifications successives, ainsi que plusieurs auditions ou demandes de renseignements de la Direction de la Concurrence et de la Consommation auprès des "intéressés" ;

Qu'il apparaît que le délai intervenu entre les constatations ou vérifications et la rédaction des procès-verbaux, apparaît justifié ;

Qu'au surplus, la nullité des procès-verbaux et par voie de conséquence de l'ensemble de la procédure qui ne pourrait être envisagée que si ce délai avait été trop long n'a nullement porté atteinte aux droits de la défense, comme l'ont indiqué à juste titre les premiers juges ;

Que cette exception de nullité ne peut qu'être écartée ;

Sur la nature des opérations visées :

Considérant que l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1984 qui ne fait que reprendre sur ce point, dans une autre rédaction, les dispositions de l'article n° 45- 1483 du 30 juin 1945, dispose notamment :

Tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation, le vendeur est tenu de délivrer la facture dans la réalisation de la vente ou la prestation de service, l'acheteur doit la réclamer..."

Qu'il résulte en fait, des divers éléments recueillis que les marchandises étaient livrées par la SARL Z aux détaillants pour être vendues aux consommateurs ;

Que dès la livraison ou le transfert de marchandises au client commerçant, ce dernier se comportait comme un véritable maître ou propriétaire de ces marchandises puisqu'elles étaient revendues par lui dans le cadre de son activité commerciale traditionnelle;

Que d'ailleurs M. X a déclaré, au cours de l'enquête que le prix de vente au prétendu dépositaire était fixé lors de la mise en dépôt et figurait sur les bulletins de consignation et que le client dépositaire avait la totale liberté de fixer le prix de vente des vêtements mis en dépôt;

Qu'en définitive, les mentions figurant sur les bons de remise en consignation délivrés par la SARL Z aux clients, commerçants, selon lesquelles les marchandises sont confiées en dépôt à seule fin d'examen ne correspondent pas à la réalitéet qu'il importe peu que certaines marchandises aient pu être retournées par les détaillants, s'agissant d'ailleurs de vêtements invendus dont les parties, grossistes et détaillants ont la libre disposition ;

Qu'il convient de considérer que la qualification de contrat proposée par les parties contredite par les divers éléments du dossier ne peut être retenue et que les opérations effectuées ne peuvent s'analyser que comme des contrats de vente;

Que, d'ailleurs, ces pratiques portant sur des sommes très élevées ont permis aux deux sociétés, étroitement imbriquées entre elles, comme indiqué ci-dessus de retarder, pour l'une, l'exigibilité de l'impôt indirect, de dissimuler éventuellement pour l'autre, certains achats, provoquant ainsi une entrave au libre jeu de la concurrence

Qu'en définitive, cette exception ne peut qu'être rejetée ;

Sur l'action publique,

Considérant que, au fond, il résulte des nombreuses pièces de la procédure et des aveux mêmes des parties, que les factures n'ont été établies, tant pour les ventes que pour les prestations de service qu'à intervalles réguliers, soit tous les mois ou tous les deux mois, soit encore deux fois par an, soit même une fois par an pour des articles cédés à des particuliers par les détaillants ;

Que les faits de la cause ont été exactement et sainement appréciés par le tribunal qui a déclaré les prévenus coupables des infractions visées à la prévention ;

Qu'il n'y a pas lieu toutefois de faire bénéficier Mme Y d'une décision de relaxe : pour les faits antérieurs au 11 mars 1983 elle-même ayant reconnu lors de son audition du 13 décembre 1983 devant les services de police que Mme M, précédente gérante de la SARL W n'avait rien à voir dans cette affaire et que les marchandises dont le relevé avait été établi avaient été commandées par elle ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sanctions infligées par le tribunal en réparation de fautes dont la gravité est certaine apparaissent insuffisantes ;

Que la cour possède les éléments nécessaires pour fixer ces peines en plus juste réparation des infractions à une peine d'amende de 40.000 F pour chacun d'entre eux ;

Par ces motifs ; Et ceux non contraires du Tribunal que la Cour adopte ; Statuant publiquement et contradictoirement par application de l'article 411 du Code de Procédure Pénale ; En la forme, Reçoit M. X et Mme Y et le Ministère Public en leurs appels ; Rejette les exceptions avancées par les prévenus ; Au fond, Confirme la décision déférée sur la qualification des faits et la déclaration de culpabilité ; L'émendant sur l'application de la peine, condamne M. X et Mme Y née X à une peine d'amende de 40.000 F (quarante mille francs) chacun. Condamne X Pierre et X Christine épouse Y aux dépens de première instance et d'appel liquidés à la somme de huit cent trente francs quatre vingt (830, 80 F), En ce compris le droit fixe du présent arrêt, le droit de poste et non compris les frais postérieurs éventuels. Prononce la contrainte par corps. Le tout en application des articles 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; 473, 749 et 750 du Code de Procédure Pénale.