CA Paris, 4e ch. B, 4 mai 2001, n° 1998-08949
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Japon Pacifique (SARL)
Défendeur :
JCT International (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mmes Schoendoerffer, Regniez
Avoués :
SCP Fanet, SCP Teytaud
Avocats :
Mes de Pailleret, Septier.
LA COUR est saisie d'un appel interjeté par la SARL Japon Pacifique exerçant sous l'enseigne Japon sans Frontières d'un jugement du 30 janvier 1998 rendu par le tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société JCT International (JCTI) exerçant sous la dénomination Jalpak SA.
Japon Pacifique est une agence de voyages spécialisée dans l'organisation de séjours (y compris la vente de billets d'avion) à destination du Japon. Pour les billets d'avion de la compagnie Japan Airlines fournis à ses clients, elle s'adresse à la société JCT International, qui exerce une activité de tour operator, de grossiste en billets et de revendeur direct de billets aux particuliers et qui aurait une exclusivité de fait sur la vente de billets Japan Airlines.
En 1996, JCTI a diffusé une publicité par laquelle elle a proposé aux clients qui achètent des billets d'avion pour le Japon d'un montant supérieur à 10 000 F de participer à une tombola permettant de gagner des prix, organisée pour les semaines du 24 au 29 juin 1996 et du 22 juillet au 3 août 1996.
Soutenant que cette tombola n'aurait été accessible qu'aux clients directs de JCTI et non aux agences qui ne pouvaient donc en faire bénéficier leurs clients, et qu'ainsi, elle aurait été victime d'actes de concurrence déloyale de la part de JCTI, Japon Pacifique a fait citer, devant le tribunal de commerce de Paris, JCTI afin d'obtenir paiement de la somme de 457 444,12 F à titre de dommages et intérêts ainsi que de celle de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
JCTI avait conclu au rejet de ces demandes, faisant notamment valoir que la tombola était ouverte sans aucune discrimination à l'ensemble des consommateurs de telle sorte que les clients de Japon Pacifique n'en auraient été nullement exclus.
Par le jugement déféré, le tribunal, estimant que les procédés de la société JCTI n'étaient pas déloyaux, a débouté Japon Pacifique de toutes ses demandes et a rejeté "le surplus des demandes respectives des parties".
Appelante de ce jugement, Japon Pacifique, dans ses dernières écritures du 7 mars 2001 conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :
"Vu les pratiques discriminatoires exercées par JCT International,
- Vu les actes de concurrence déloyale,
- condamner JCT International à payer à Japon Pacifique la somme de 457 444,12 F à titre de dommages et intérêts,
- débouter JCTI de l'ensemble de ses prétentions,
- la condamner au paiement de la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile."
Dans ses écritures du 14 mars 2001, JCTI demande à la cour à titre liminaire de rejeter des débats 18 nouvelles pièces communiquées les 22 février 2001, 8 mars 2001 et 13 mars 2001, conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de son adversaire au paiement de la somme de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La clôture a été prononcée le 15 mars 2001.
Postérieurement au prononcé de la clôture, Japon Pacifique a conclu, au visa des articles 15 et 16 du nouveau code de procédure civile, au rejet des conclusions signifiées le 14 mars 2001.
Sur ce, LA COUR:
Sur les incidents de procédure
Considérant que les écritures de JCTI du 14 mars 2001 contiennent, d'une part, une reprise de l'argumentation déjà exposée dans des conclusions du 26 octobre 1998, et, d'autre part, une réponse à celles de son adversaire en date du 7 mars 2001, sur les nouvelles pièces communiquées (page 18 de ses écritures) qu'elles ne comportent aucune demande nouvelle de telle sorte que le principe du contradictoire a été respecté ; qu'il n'y a pas lieu de les écarter des débats ;
Considérant, sur la demande formée par JCTI tendant au rejet des pièces communiquées par son adversaire, qu'il y a lieu de relever qu'à l'exception de celles communiquées le 13 mars 2001, les autres ont été communiquées dans des délais suffisants pour qu'elle puisse en débattre ; que seuls les documents inscrits sous les n° 41 et 42 du dernier bordereau de communication de pièces seront en conséquence écartés des débats ;
Sur le fond
Considérant que Japon Pacifique critique les premiers juges en ce qu'ils ont estimé qu'il ne résultait pas des documents fournis :
- qu'elle aurait été dans l'obligation, pour se procurer des billets Japan Airlines, de passer par l'intermédiaire de JCTI,
- que la tombola n'aurait pas été accessible aux clients des autres agences ;
Qu'elle reproche également au tribunal de ne pas avoir analysé les griefs de concurrence déloyale qu'elle invoquait en dehors des pratiques discriminatoires, et qui consistaient dans le fait que JCTI "contactait plusieurs de ses clients en leur faisant valoir que Japon Pacifique s'approvisionnait directement chez eux et qu'il était donc préférable de se dispenser d'un intermédiaire supplémentaire"
Considérant que selon Japon Pacifique, les pratiques discriminatoires alléguées réprimées par l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, résultent des circonstances suivantes :
- elle était obligée de s'approvisionner auprès de JCTI, qui disposait d'une exclusivité de fait de la vente des billets d'avion Japan Airlines, comme le démontreraient plusieurs documents dont une lettre du 13 mars 1997 de M. Ezoe (représentant général de cette compagnie) mentionnant qu'était "délégué à JCT international le mandat de grossiste des billets Onichi", - la tombola annoncée n'était offerte qu'aux clients qui, à titre personnel, achetaient un billet auprès de JCTI et non pas pour ceux qui les achetaient par l'intermédiaire d'agences (telle Japon Pacifique), une offre de participation pour les agences n'ayant été faite qu'à l'issue d'une procédure de référé ;
Qu'elle fait, en outre, valoir qu'en pratiquant une telle tombola, JCTI a effectué une opération prohibée par la loi puisqu'aux termes de l'article L. 121-36 du Code de la consommation, les opérations publicitaires comportant un tirage au sort ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit, ce qui n'était pas le cas en l'espèce puisque l'accès à la tombola présupposait l'achat d'un billet ;
Considérant cela exposé que l'article 36-1 susvisé dispose "qu'engage sa responsabilité, tout producteur, commerçant, industriel ou artisan qui pratique, à l'égard d'un partenaire économique, ou obtient de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles en créant de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence" ;
Considérant que selon ces dispositions, les pratiques discriminatoires répréhensibles concernent les relations entre professionnels, et non pas entre professionnels et clients; que ces dispositions ont pour but de faire en sorte qu'un opérateur économique ne puisse être favorisé par rapport à un autre;
qu'en l'espèce, la tombola, organisée en faveur des consommateurs (en l'espèce ceux qui acquièrent un billet d'avion pour le Japon), n'entre pas dans le champ d'application de l'article 36-1 susvisé, Japon Pacifique, agence de voyages, n'établissant pas que l'offre de tombola aurait été faite, à son détriment, à d'autres agences de voyages;
Considérant qu'en outre, elle ne rapporte pas la preuve de ce que JCTI aurait refusé à des clients de Japon Pacifique une participation à cette tombola qu'il suffisait en effet à cette dernière d'envoyer copie des billets délivrés à ses clients directs, si elle estimait que ceux-ci devaient y participer ;
Considérant enfin que Japon Pacifique soutient sans le démontrer par des documents pertinents, qu'elle aurait eu l'obligation, pour obtenir des billets de Japan Airlines, de s'adresser à JCTI qui aurait, ainsi, une exclusivité de fait, alors que JCT rapporte la preuve de ce que, étant une agence agréée par l'Association Internationale du Transport Aérien (IATA), elle ne peut bénéficier, sauf à être en infraction avec cette réglementation et être déchue de cet agrément, d'une telle exclusivité ;
Considérant en conséquence que le jugement qui a écarté le grief de pratiques discriminatoires sera confirmé ;
Considérant que Japon Pacifique prétend inexactement que l'opération de tombola organisée par JCTI serait contraire aux dispositions des articles L. 121-36 et L. 121-39 du Code de la consommation qui s'appliquent aux " opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants quelles que soient les modalités de tirage au sort ", dont le but est de protéger les consommateurs contre les pratiques équivoques ; qu'en effet, en l'espèce, la publicité informant la clientèle de l'existence de cette tombola indique sans aucune ambiguïté qu'il s'agit d'un tirage au sort, sans certitude d'un gain, aucun lot n'étant préattribué aux participants ;
Considérant sur le détournement de clientèle, que Japon Pacifique expose que JCTI a, à deux reprises, contacté l'ambassadeur du Japon en Libye en tentant de lui démontrer qu'il valait mieux acheter les billets d'avion auprès de sa société plutôt qu'auprès de Japon Pacifique et que d'autres clients auraient été également sollicités par JCTI qui leur aurait fait valoir que Japon Pacifique s'approvisionnait directement auprès de sa société et qu'il était donc préférable pour eux de se dispenser d'un intermédiaire supplémentaire ;
Mais considérant que comme le relève exactement JCTI, la lettre de l'ambassadeur du Japon versée aux débats, est imprécise sur les circonstances dans lesquelles des propositions de tarifs lui ont été envoyés ; qu'en définitive, l'ambassadeur ne s'est pas adressé à ses services ; que par ailleurs, Japon Pacifique qui prétend que d'autres clients auraient subi des pressions de JCTI pour passer directement par elle n'en rapporte nullement la preuve, se contentant de produire une lettre de protestation envoyée par elle-même le 29 janvier 1996 à M. Ezoe, responsable à Paris de Japan Airlines ; que cette demande en concurrence déloyale pour détournement de clientèle, (non démontré) sera donc rejetée ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à JCTI la somme complémentaire de 10 000 F au titre des frais d'appel non compris dans les dépens ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges : Écarte des débats les pièces n° 41 et 42 communiquées le 13 mars 2001 ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Ajoutant, Condamne la société Japon Pacifique à payer à la société JCT International la somme de 10 000 francs au titre des frais d'appel non compris dans les dépens ; La condamne aux entiers dépens qui seront recouvrés pour les dépens d'appel par la SCP Fanet, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.