Livv
Décisions

Cass. crim., 9 février 1994, n° 92-86.338

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Souppe

Rapporteur :

M. Verdun

Avocat général :

M. Amiel

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan.

TGI Auch., ch.. corr., du 19 mars 1992

19 mars 1992

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par D Alain, contre l'arrêt de la cour d'appel d'Agen, chambre correctionnelle, en date du 5 novembre 1992, qui, pour tentative de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise et délivrance d'une facture irrégulière, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement et à 100 000 F d'amende, a ordonné des mesures de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain D coupable de ne pas avoir mentionné la dénomination précise des produits vendus (espèce animale, produits décongelés) ;

" aux motifs que la prévention basée sur la violation de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'il a été démontré que la facturation de la société D ne mentionnait pas la dénomination précise des produits vendus, se trouve amplement établie ;

" alors, d'une part, que, aux termes de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la facture portant sur la vente d'un produit doit, notamment, mentionner la dénomination ; que la facture du 16 octobre 1989 précisait " magret O s/v " (magret d'oie sous vide) ; que la dénomination " magret " ne pouvant, conformément à l'article 2 du décret n° 86-226 du 18 février 1986, se rapporter qu'à deux espèces animales (oie ou canard), la mention " magret O " était parfaitement claire pour le professionnel averti qu'est la Y et ne pouvait que signifier " magret d'oie ", de sorte que la mention litigieuse répondait aux exigences du texte susvisé ;

" alors, d'autre part, que la mention sur la facture de la dénomination précise du produit vendu n'implique pas nécessairement celle des modalités de fabrication (produit frais ou décongelé) ; qu'en l'espèce la mention sur la facture du caractère " décongelé " du produit n'était donc pas exigée sous peine d'une sanction pénale, et ce d'autant moins que la mention " produit décongelé " figurait sur l'étiquetage ; que, dès lors, la déclaration de culpabilité manque de base légale ;

Attendu que, pour déclarer Alain D coupable de facturation irrégulière, délit prévu et réprimé par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les juges du second degré énoncent que l'absence de dénomination précise du produit vendu sur la facture de la société D caractérise le délit ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, et dès lors que l'article 2 du décret du 18 février 1986 dispose que la dénomination " magret " doit être complétée par le nom de l'espèce animale dont le produit est issu, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; d'où il suit que le moyen, mal fondé en sa première branche, et inopérant pour le surplus, ne peut qu'être écarté ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain D coupable d'avoir tenté de tromper la Y sur les qualités substantielles de 6 000 kg de magrets d'oie, vendus comme magrets de canard ;

" aux motifs que, dès lors que la commande de la Y visait des magrets de canard, il appartenait au vendeur d'identifier la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat ; que la facture ne précisait que " magret O s/v " et qu'il n'est pas évident que la Y, professionnel averti, ait immédiatement réalisé que cette mention signifiait " magret d'oie sous vide " ; qu'au surplus Dr, en sa qualité de conditionneur, ne pouvait ignorer que son étiquetage était destiné aux consommateurs pour lesquels la mention " magret O s/v " ne pouvait impliquer qu'il s'agissait non pas de canard comme annoncé dans la publicité, mais d'oie ;

" alors, d'une part, que la livraison d'une marchandise certes non conforme à la commande, mais non accompagnée de fausses indications faisant croire à sa conformité, ne constitue pas le délit de tromperie ; qu'il résulte du dossier que le télex de la SA D du 27 septembre 1989 propose du " magret d'importation " sans préciser d'espèce animale, que l'étiquetage mentionne " magret produit décongelé origine Israël " sans autre précision, et que la facture précise " magret O s/v ", mention qui n'est pas de nature à faire croire qu'il s'agit de magret de canard ; qu'il s'ensuit que si le vendeur a effectivement livré 6 000 kg de magrets d'oie à la suite d'une commande de magrets d'oie " pour des magrets de canard " ; que, dès lors, le délit de tromperie n'était pas constitué ;

" alors, d'autre part, que la tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise suppose la mise en vente d'une marchandise non loyale, c'est-à-dire la livraison d'une marchandise de qualité inférieure, frauduleusement substituée à la marchandise loyale que le contractant a cru recevoir ; qu'en l'espèce des magrets d'oie avaient été livrés à la place de magrets de canard, soit une marchandise de qualité égale ; que, dès lors, faute de livraison d'une marchandise non loyale, la qualification pénale de tromperie était exclue ;

" alors, de troisième part, que la tromperie n'est pénalement sanctionnée que si elle porte sur les qualités substantielles de la marchandise ; qu'en l'espèce la marchandise avait été refusée, au motif qu'elle était décongelée et ne correspondait pas à la publicité annonçant une vente de magrets frais, et non au motif que les magrets livrés n'étaient pas des magrets de canard, de sorte que l'espèce animale ne constituait pas nécessairement une qualité substantielle dans l'esprit de l'acheteur ; que, faute de constater que la prétendue tromperie portait sur une qualité substantielle de la marchandise livrée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité ;

" alors, de quatrième part, que le délit de tromperie n'est constitué que si le prévenu a été animé d'une intention frauduleuse ; qu'en se bornant à déduire la prétendue mauvaise foi du vendeur de ce que la facture portait la mention " magret O " et qu'il n'était pas évident que l'acheteur avait immédiatement réalisé que cette mention signifiait " magret d'oie ", sans se placer du côté du vendeur pour rechercher si l'apposition de cette mention révélait l'intention frauduleuse de faire passer des magrets d'oie pour des magrets de canard, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction ;

" alors, enfin, que l'intention de tromper les consommateurs ne pouvait se déduire de la référence, sur la facture, à la campagne de promotion lancée par la Y, dès lors que, si le vendeur était effectivement informé de ce que la livraison s'effectuait dans le cadre de cette campagne, il ne résulte d'aucun élément du dossier qu'il aurait été informé du contenu exact des annonces publicitaires passées dans la presse, de sorte que la Y était seule responsable de la conformité de ses ventes promotionnelles aux annonces publicitaires passées ; que, dès lors, le vendeur, qui livrait un produit dont l'étiquetage destiné aux consommateurs ne précisait nullement qu'il s'agissait de magrets de canard, et qui pouvait ignorer que seul du magret de canard devait être vendu dans le cadre de la campagne promotionnelle faite par l'acquéreur et imputable exclusivement à ce dernier, ne pouvait pas davantage être déclaré coupable de tromperie envers les consommateurs ;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué qu'en exécution d'une commande passée par la centrale d'achats du groupe X, en vue d'une vente promotionnelle, et portant sur 25 tonnes de magrets de canard, la société D a livré 6 tonnes de magrets d'oie, conditionnés sous vide, facturés et étiquetés en ces termes : " magret O s/v " ; qu'à la suite de ces faits, Alain D, dirigeant de ladite société, est poursuivi notamment pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue ;

Attendu que, pour déclarer ce dernier coupable, après requalification, de tentative de tromperie, les juges du second degré retiennent qu'en l'état d'une commande portant sur des magrets de canard, le vendeur, qui était informé de l'existence de la vente promotionnelle annoncée par son client, se devait de mentionner sans équivoque la nature des produits livrés ; qu'ils ajoutent que le prévenu ne saurait se prévaloir des usages professionnels, dès lors que la facture de son propre fournisseur mentionnait en toutes lettres " magret d'oie " ; qu'ils précisent qu'en sa qualité de conditionneur, Alain D ne pouvait ignorer que son étiquetage était destiné aux consommateurs pour lesquels la mention " magret O s/v " ne pouvait impliquer qu'il s'agissait, non pas de canard comme indiqué dans la publicité, mais d'oie ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, et procédant de l'appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs allégués ; que le moyen ne saurait, dès lors, être accueilli ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a accueilli la constitution de partie civile de l'Union des consommateurs du Gers, et condamné Alain D à lui verser la somme de 1 000 francs à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice moral ;

" aux motifs que l'intégralité de la livraison a été retournée à la société D ; que les produits objet de la vente frauduleuse n'ayant pas été distribués aux consommateurs, le préjudice subi par ces derniers ne peut être direct ; mais que, la fraude ayant été destinée à tromper les consommateurs au niveau de la vente au détail, la partie civile représentant les intérêts des consommateurs est en droit de réclamer réparation du préjudice moral subi par ses adhérents ;

" alors que l'action civile d'une association n'est recevable qu'autant que celle-ci a été personnellement lésée par l'infraction imputée au prévenu ; que l'arrêt attaqué, qui précise que l'intégralité des marchandises litigieuses a été retournée au vendeur sans être distribuée aux consommateurs - ce qui implique l'absence de tout préjudice de la partie civile -, tout en déclarant recevable son action civile et en condamnant le prévenu à réparer son préjudice moral, est entaché d'une contradiction de motifs ;

Attendu qu'après avoir constaté la réunion de tous les éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel de la tentative de tromperie retenue à la charge du prévenu, les juges du fond énoncent qu'il en est résulté pour l'Union des consommateurs du Gers, partie civile, un préjudice moral dont la réparation doit être évaluée à 1 000 F ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors qu'au termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 1988, devenu l'article L. 421-1 du Code de la consommation, les associations ayant pour objet statutaire la défense des intérêts des consommateurs et agréées à cette fin, sont admises à poursuivre la réparation du préjudice, même indirect, causé par une infraction à l'intérêt collectif des consommateurs, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs du moyen, lequel ne peut être qu'écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.