CA Paris, 5e ch. B, 28 novembre 1991, n° 90-13260
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Canon Photo Video (SA)
Défendeur :
Semavem (Sté), Chapelle, Comavem (SA), Concurrence (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Serre
Conseillers :
Mme Garnier, M. Bouche
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Dauthy Naboudet
Avocat :
Me Desponds.
La cour statue sur l'appel de la société Canon Photo Video France (Canon) du jugement prononcé le 2 avril 1990 par le Tribunal de Commerce de Paris qui l'a déboutée de ses demandes d'indemnisation formées à l'encontre de Maître Jean Chapelle et des sociétés Seda (dénommée actuellement Concurrence) Semavem et Comavem, déboutant ces 4 derniers de leur demande reconventionnelle et mettant les dépens à sa charge ;
Elle se réfère pour l'exposé de faits aux énonciations de ce jugement, se bornant à préciser que Monsieur Jean Chapelle qui depuis le jugement exploite le fonds de commerce de matériels vidéo 131 rue de Rennes à Paris sous la forme d'une société anonyme dénommée Jean Chapelle, est également le Président directeur général de Semavem et que son épouse est Président directeur générale de Concurrence (anciennement Seda) et de Comavem ; que Canon reproche essentiellement aux 4 intimés, qui commercialisent toutes du matériel vidéo, d'avoir pratiqué à son encontre, de mauvaise foi, des pratiques commerciales agressives et empreintes d'esprit chicanier.
La société Canon, filiale du groupe international Japonais Canon, reproche à Jean Chapelle de l'avoir harcelée de télex du 30 juillet 1987 au mois de février 1988, agissant soit en son nom personnel à l'époque pour son magasin de la rue de Rennes, soit comme mandataire social, soit comme animateur des sociétés exploitées par son épouse ;
Elle souligne que ces télex lui réclamaient d'abord ses conditions générales de vente, puis en contestaient les dispositions, ensuite les acceptaient pour finalement ne pas s'y conformer ;. que les quelques commandes modiques passées dans ces conditions, au cours de ce long échange de courrier, suivies généralement d'annulations ont désorganisé la programmation de ses services et ce d'autant plus que, compte tenu de la spécificité du marché français, elle se trouvait à cette période en situation de pénurie face à la demande ;
Elle soutient que l'intéressé n'avait d'autre but que de lui nuire et qu'il a commis des fautes dans l'exercice de son droit d'information et de commande, car, après avoir mobilisé pendant près de 6 mois les organes de direction et les services commerciaux de la société, il n'a donné aucune suite aux commandes passées ainsi qu'aux négociations et aux discussions qu'il avait entamées ;
Elle fait également valoir que son comportement d'agressivité commerciale est constitutif d'abus de droit en ce qu'il a commencé par la menace d'une procédure de référé pour obtenir en plein mois d'août ses conditions générales de vente puis a contesté la clause attributive de juridiction, comme s'il envisageait déjà à ce stade de leurs relations, une procédure contentieuse, manifestant à tout instant son esprit procédurier et de chicane permanente ;
Elle souligne que ces agissements délibérés ont causé aux membres de son personnel des pertes de temps considérable et ont perturbé la gestion de ses stocks désorganisant ses services de vente tenus de réserver les produits commandés par les intimés, puis de reprendre contact, après l'annulation de ces ordres, avec les clients dont les demandes avaient été réduites du fait de la pénurie de ce matériel ;
Concluant à l'infirmation du jugement, elle prie la Cour de sanctionner ses comportements fautifs et de condamner solidairement les quatre sociétés intimées à lui payer 200 000 francs à titre de dommages intérêts ainsi que 20 000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Les quatre sociétés intimées soulèvent tout d'abord l'irrecevabilité et la nullité de l'action dont elles font l'objet, à défaut de définition et de désignation exacte des faits qui leur sont respectivement imputés ; elles demandent également que soient écartés des débats les faits postérieurs à l'assignation allégués par l'appelante ;
Subsidiairement elles soutiennent n'avoir fait qu'user de leurs droits, tirés notamment de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et contestent tout abus de leur part ;
Elles concluent toutes à la confirmation du jugement, sollicitant Semavem et Comavem chacune 10 000 francs à titre de dommages-intérêts, Jean Chapelle 80 000 francs et Concurrence 100 000 francs et demandant, en outre, chacune, 10 000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant que l'ordonnance de clôture du 31 mai 1991 a été révoquée et la clôture a été prononcée seulement le 12 septembre 1991 ; qu'ainsi les intimées ont pu compléter leur argumentation et communiquer tous les éléments utiles à la défense de leurs intérêts, qu'elles ne justifient d'aucune atteinte au principe de la contradiction des débats ;
Considérant d'autre part, que comme l'a relevé le Tribunal, Canon a suffisamment articulé les faits reprochés à chacun des défendeurs ; que ceux-ci ne pouvaient se méprendre sur les griefs individuels dont ils faisaient l'objet, bien qu'en définitive leurs comportements respectifs soient sinon identiques du moins comparables, et soient le signe de l'unité de direction, même si elle est bicéphale, qui les anime ;
Que l'action de Canon est recevable en son principe ;
Considérant cependant que les quatre sociétés intimées sont juridiquement distinctes et indépendantes ; qu'en dépit des liens familiaux qui les unissent et même de l'identité de leur dirigeant, elles ne constituent pas un groupe ; que chacune n'a à répondre que des faits qu'elle a personnellement commis ; que chacun de leur cas doit être examiné séparément ; qu'il n'est pas possible de leur reprocher globalement leur comportement individuel pour en déduire que leur attitude d'ensemble est fautive ;
Que prises indépendamment les unes des autres, les démarches commerciales de chacune ne revêtent pas le caractère exaspérant dont se plaint l'appelante ;
Que par des motifs pertinents que la cour fait siens, le tribunal a relevé à juste titre que l'intention de nuire n'était pas établie, même si les diverses prises de contact ne portent pas la marque de la courtoisie en usage dans les rapports de Canon avec sa maison mère d'Extrême-Orient;
Que de même l'insistance obstinée à obtenir les meilleures conditions de vente ne constitue pas en soi, un abus de droit, Canon restant libre de lui opposer une intransigeance tout aussi inébranlable;
Que c'est d'ailleurs ce qu'elle a fait, face aux pratiques de ce client difficile ;
Que par suite c'est à juste titre que le tribunal n'a pas trouvé dans les éléments qui lui étaient fournis la preuve des fautes sur lesquelles Canon fondait ses demandes d'indemnisation respectives à l'égard des quatre défendeurs ;
Considérant que l'action de l'appelante n'est pas davantage constitutive de faute susceptible d'ouvrir droit à réparation au profit des quatre intimées ;
Que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, Rejette l'exception de nullité et d'irrecevabilité élevée par les intimées, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Déboute les intimées de leur demande de paiement de dommages intérêts.