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Décisions

CA Paris, 9e ch. A, 24 mars 1992, n° 91-3264

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chapelle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Castres

Conseillers :

MM. Collomb-Clerc, Jacomet

Avocat :

Me Dervieux

TGI Évry, 6e ch. corr., du 5 févr. 1991

5 février 1991

Rappel de la procédure :

A- Le jugement :

Le 5 février 1991, la 6e Chambre du Tribunal de grande instance d'Ivry a déclaré Michel Y coupable d'achat, vente ou prestation de service pour une activité professionnelle (refus de communiquer le barème de prix et les conditions de vente), et d'achat, vente, ou prestation de service pour une activité professionnelle (facturation non conforme) - faits commis à Wissous courant 1987 et janvier 1988 - et par l'application des articles 31, 33 et 55 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, l'a condamné à cinq mille (5 000) francs d'amende (pour facturation non conforme), ainsi qu'aux dépens envers l'Etat, liquidés à la somme de 811,02 F.

Le tribunal a prononcé la publication du jugement, par extraits, dans les journaux " Le Monde " et " Le Figaro ", aux frais du condamné, dans la limite de 8 000 F par insertion.

Sur l'action civile, le tribunal a reçu Chapelle Jean en sa constitution de partie civile et a condamné Y à lui verser la somme de cent mille (100 000) francs à titre de dommages-intérêts.

B- Les appels :

Appel a été interjeté par :

- Me Gnimal, avocat, au nom de Y Michel et de la société X, civilement responsable, le 13 février 1991 (sur les dispositions pénales et civiles),

- M. le Procureur de la République de Evry, le 19 février 1991, contre Y Michel.

A l'audience publique du mardi 2 juillet 1991, l'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'égard de toutes les parties au mardi 4 février 1992.

Décision :

Prise après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme,

LA COUR, se référant aux énonciations qui précèdent et aux pièces de la procédure, constate la régularité des appels interjetés, à l'encontre du jugement susvisé, par le prévenu, par la société X, ainsi que par le Ministère public et les déclarera, dès lors, recevables en la forme.

Au fond :

Considérant que Chapelle Jean, exploitant en son nom personnel un magasin de vente au détail d'appareils " Hi-Fi Son Vidéo ", sis 131, rue de Rennes à Paris 75006, et qui, selon lui, n'avait pu obtenir, pour les besoins de son commerce, la communication par la SA " X " des conditions de vente de ce distributeur d'appareils électroacoustiques et de télévision, déposait initialement plainte auprès des services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ;

Qu'après enquête desdits services et ouverture d'une information judiciaire, Y Michel, pris en sa qualité de Président du Conseil d'administration de la SA " X " a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention :

" d'avoir courant 1987 et janvier 1988, à Wissous, étant producteur, grossiste ou importateur, refusé de communiquer à un revendeur, M. Chapelle qui en fait la demande, son barème de prix et ses conditions de vente, notamment ses conditions de règlement, rabais et ristournes ;

" d'avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, vendu des produits en omettant de faire figurer sur les factures toutes les mentions obligatoires (rabais, remises, ristournes, dont le principe était acquis ou le montant chiffrable lors de la vente),

" faits prévus et punis par les articles 31 et 33 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ".

Sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par le prévenu au titre de la poursuite pour infraction à l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que Y, reprenant devant la cour son exception soulevée, avant tout débat au fond, en première instance, expose que la citation à lui délivrée pour comparaître devant le Tribunal correctionnel d'Evry n'a visé que des infractions prévues à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'il soutient, dès lors, qu'il n'a à répondre devant la juridiction pénale que de la seule infraction aux règles de la facturation, prévue et punie par cet article ;

Qu'ainsi, et toujours selon le prévenu, le tribunal n'avait donc pas à statuer sur les faits dénoncés par Chapelle pour refus de communication par la SA " X " de ses conditions de vente, puisque de tels faits, à les supposer établis, constituent une infraction aux dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, non visée par la citation à lui délivrée.

Mais considérant qu'aux termes de l'ordonnance rendue par le magistrat instructeur, et, ci-avant rappelée par la cour, Y Michel est poursuivi, sur le fondement des articles 31 et 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour des faits ayant trait à la plainte pour refus de communication des conditions de vente déposée par Chapelle à l'encontre de la SA " X " qu'à des manquements par ladite société aux règles de la facturation ;

Que cette ordonnance de renvoi ayant été régulièrement notifiée au prévenu, ainsi qu'à son conseil, le 14 mai 1990, le tribunal a, dès lors, et comme il se devait, statué sur l'ensemble des faits qui lui étaient déférés, la citation à comparaître délivrée à Y, pour avoir comporté une indication de textes incomplète n'ayant eu d'autre objet que de permettre au prévenu de se présenter aux jour et heure fixés pour l'examen de la cause par la juridiction de jugement ;

Que, dans ces conditions, Y est mal fondé à soutenir qu'il n'aurait à répondre, devant la cour, que de la seule infraction aux règles de la facturation ;

Qu'il convient en conséquence, de rejeter l'exception soulevée, de ce chef, par le prévenu.

En ce qui concerne l'infraction aux dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 également reprochée au prévenu :

Considérant que les premiers juges, après rappel des faits, ont exactement retenu des circonstances de l'espèce que Chapelle Jean, exploitant en nom personnel un magasin sis 131, rue de Rennes à Paris 75006, n'avait pu, durant la période des faits visés par la poursuite, et malgré plusieurs demandes formées auprès de la SA " X ", obtenir la communication du barème des ristournes ou remises pratiquées par cette société, vis à vis de ses clients les plus importants ;

Considérant que les services commerciaux de la SA X, qui se sont ainsi abstenus de donner à un revendeur professionnel de tels renseignements, n'étaient pas fondés à exiger, en l'occurrence, et sous le couvert de prétendus usages de la profession, que la communication audit Chapelle des ristournes ou remises en cause, soit subordonnée à une " négociation verbale " avec des représentants de ladite société;

Qu'en effet, contrairement à ce que soutient le prévenu dans ses écritures d'appel, une telle pratique, par son caractère restrictif et le manque de transparence en résultant pour les éventuels cocontractants, contrevient aux dispositions contenues à l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qui, aux fins de favoriser le libre jeu de la concurrence par les prix entre commerçants, imposent à tout producteur, grossiste ou importateur de communiquer à tout revendeur en ayant fait la demande, l'ensemble des barèmes des prix et des conditions de vente, y compris, celle ayant trait aux rabais et ristournes.

Considérant que Y est, par ailleurs, mal fondé à soutenir que la société " X " n'aurait pas été saisie, en tout état de cause, d'une demande émanant directement du magasin à l'enseigne de " Jean Chapelle " ;

Qu'il résulte, en effet, de l'enquête diligentée par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, que Chapelle, pour avoir dirigé d'autres entreprises commerciales à l'époque des faits, a, toutefois, et en tant qu'exploitant du magasin à l'enseigne " Jean Chapelle ", demandé, notamment par " télex " du 20 mai 1987, la communication des conditions générales de vente pratiquées par la SA " X " ;

Qu'il est constant, comme la cour l'a rappelé, qu'il n'a pas été satisfait à cette demande.

Considérant que l'infraction aux dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 reprochée à Y Michel, en sa qualité de Président du Conseil d'administration de la SA " X ", étant établie en tous ses éléments, la cour confirmera sur la déclaration de culpabilité de ce chef le jugement attaqué.

En ce qui concerne l'infraction aux règles de la facturation reprochée au prévenu :

Considérant qu'il ressort des constatations effectuées par les agents de la Direction Nationale des Enquêtes de la Concurrence, selon procès-verbal par eux dressé le 5 février 1988, que la SA " X " sise <adresse> à Wissous, s'est abstenue, nonobstant les dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de facturer à ses clients, courant 1987 et janvier 1988, diverses ristournes ou remises dont le principe était acquis et qui étaient d'un montant chiffrable, lors de la vente des produits auxdits cocontractants.

Considérant que Y Michel, qui ne conteste pas la matérialité des faits, ne saurait, dès lors, et au regard des obligations lui incombant en sa qualité de Président du Conseil d'administration de la SA " X ", s'exonérer de sa responsabilité pénale, au motif qu'il aurait, ainsi qu'il l'expose dans ses écritures d'appel, donné des instructions à ses services pour que soient mentionnées, sur les bons de commandes établis par sa société, les ristournes ou remises faites éventuellement aux clients et permettre, de la sorte, de délivrer ultérieurement à ceux-ci des factures répondant aux conditions fixées par l'article susvisé de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Que, par ailleurs, et en l'absence de délégation de ses pouvoirs par le prévenu, est tout aussi inopérante l'argumentation également développée pour sa défense, et selon laquelle il n'avait pas " sous sa responsabilité immédiate et directe les services concernés " ;

Que Y ne saurait, enfin, et compte tenu des prescriptions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, se retrancher, derrière les difficultés d'ordre technique qu'auraient rencontrées, à l'époque des faits visés par la poursuite, lesdits services de sa société.

Confirmant que l'infraction aux règles de la facturation reprochée au prévenu étant ainsi réunie en tous ses éléments, la cour confirmera, sur la déclaration de culpabilité de ce chef, le jugement dont appel.

Sur les peines :

Considérant qu'en ce qui concerne l'application de la loi pénale devant être faite au prévenu, la cour, tout en confirmant dans son montant l'amende à lui infligée par les premiers juges au titre de la contravention aux dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, estime devoir, toutefois, sanctionner Y d'une amende plus significative pour l'infraction aux règles de la facturation relevée également à sa charge ;

Qu'il n'y a pas lieu, enfin, compte tenu des circonstances de l'espèce, d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir.

Sur les intérêts civils :

Considérant que Chapelle Jean, partie civile intimée, qui fonde son action sur l'infraction aux dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 commis par Y, et qui a obtenu du tribunal la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, demande à la cour de confirmer, sur ce point, le jugement déféré, avec, en outre, l'octroi d'une somme de 10 000 F pour ses frais par lui avancés ;

Que Chapelle demande également à la cour d'ordonner la publication, par extraits, de l'arrêt à intervenir, et aux frais du condamné, dans les journaux " Le Monde " et " Le Figaro ", dans la limite de 8 000 F par insertion.

Considérant que ladite partie civile justifie d'un préjudice résultant de l'infraction susvisée, retenue à la charge de Y, en l'occurrence, le refus opposé par la SA " X " de communiquer l'ensemble de ses barèmes de prix et des conditions de vente de ses produits à l'enseigne " Jean Chapelle ", sis 131, rue de Rennes Paris 75006 ;

Qu'en effet, Chapelle, exploitant d'un magasin spécialisé dans la vente d'appareils " Hi-Fi Son Vidéo ", pour n'avoir pas eu auparavant, et comme le souligne le prévenu, de rapport d'affaires avec la SA " X ", n'en a pas moins été, en raison même du refus à lui opposé par ladite société, privé du droit de pouvoir diversifier la gamme des produits à la clientèle de son établissement ;

Que sur la base de ce seul préjudice certain, la cour estime devoir allouer, en réparation, audit Chapelle, la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts.

Qu'il convient, en outre, de condamner Y à verser à la partie civile la somme de 3 000 F pour ses frais avancés tant en première instance qu'en cause d'appel, et qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.

Qu'il n'y a pas lieu, en revanche, et compte tenu des circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de la partie civile tendant à voir ordonner, à son profit, la publication de l'arrêt à intervenir.

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en second ressort. Reçoit en la forme les appels du prévenu, de la société X et du Ministère public. Au fond : Rejette l'exception d'irrecevabilité soulevée par le prévenu au titre de la poursuite pour infraction à l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Confirme sur les déclarations de culpabilité le jugement attaqué. Emendant sur les peines : Condamne Y Michel à la peine de dix mille (10 000) francs d'amende pour l'infraction aux règles de la facturation et à cinq mille (5 000) francs d'amende pour l'infraction contraventionnelle aux dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Condamne Y Michel à régler à Chapelle Jean, partie civile, la somme de vingt mille (20 000) francs à titre de dommages-intérêts et celle de trois mille (3 000) francs sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Dit inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause tous autres moyens, fins ou conclusions et les rejette comme contraires à la motivation qui précède. Condamne Y Michel aux dépens envers l'Etat, de première instance et d'appel, ces derniers liquidés à 492,91 F. dit qu'il pourra être recouru, s'il y a lieu, à l'exercice de la contrainte par corps pour le recouvrement des amendes et des frais de justice, dans les conditions fixées aux articles 749 et suivants du code de procédure pénale ; Le tout par application des articles 31, 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 33 du décret du 29 décembre 1986, 473, 749 et suivants du code de procédure pénale.