Livv
Décisions

Cass. com., 5 décembre 2000, n° 98-17.705

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

Défendeur :

ITM Marchandises International (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, Me Ricard.

Cass. com. n° 98-17.705

5 décembre 2000

LA COUR : - Joignant les pourvois n° 98-20.323 et n° 98-17.705 qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 juin 1998), qu'au sein du groupement Intermarché, acteur de la grande distribution à dominante alimentaire, la société ITM France aux droits de laquelle vient la société ITM marchandises international (société ITM) assure, d'une part, la négociation annuelle des conditions d'achat auprès des fournisseurs ainsi que l'encaissement et la gestion des ristournes à paiement différé et des accords de coopération signés avec ceux-ci, et, d'autre part, la conception et la mise en place de la politique publicitaire ; qu'elle a, dans le cadre de cette deuxième activité, élaboré et diffusé jusqu'en février 1991, un catalogue présentant 2 000 produits avec leur prix, dénommé "l'Argus de la distribution" distribué gratuitement aux clients dans les différents points de vente ainsi que par portage dans les zones de chalandise ; qu'à partir de 1991, la diffusion de ce catalogue a cessé pour être remplacée par un indicateur, support cartonné présenté sur un pupitre à l'entrée de chaque magasin ; qu'estimant, après enquête, que 7 fournisseurs du groupement Intermarché avaient rémunéré ces services publicitaires de la même manière et globalement aux mêmes niveaux en 1990 et en 1991, le ministre chargé de l'économie a assigné la société ITM aux fins de voir dire, en application de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que les avantages ainsi obtenus par elle étaient discriminatoires, que les clauses des accords de coopération commerciale entre la société ITM et ses fournisseurs étaient nuls et qu'il y avait lieu à restitution des sommes indûment versées ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 98-20.323 : - Attendu que la société ITM fait grief à l'arrêt confirmatif sur ce chef de lui avoir ordonné de cesser de pratiquer les discriminations issues des ristournes consenties par les sept fournisseurs visés par l'administration au titre de la participation à l'Argus de 1991, alors, selon le moyen, qu'il n'y a nulle pratique discriminatoire illicite au sens de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, quand, en l'état d'un accord de coopération commerciale entre un fournisseur et un distributeur, le premier rémunère les services spécifiques que lui procure le second ; que tel est le cas même si le prix de la coopération commerciale est fonction du chiffre d'affaires du fournisseur ; que dès lors, en l'espèce, en estimant, pour condamner la société ITM à cesser les pratiques discriminatoires, que cette société bénéficiait de "ristournes consenties" par 7 fournisseurs au titre de leur participation à une action de coopération commerciale, sans rechercher, si, comme l'exposait la société ITM, les fournisseurs considérés, sans consentir de ristournes sur les prix de ventes de leurs produits, n'avaient pas rémunéré, de manière distincte et par un prix déterminé et librement négocié, les services de coopération commerciale qui leur ont été fournis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que l'arrêt constate que la société ITM a négocié et obtenu de la part de 7 fournisseurs, pour leur participation à "l'Argus de la distribution" des avantages financiers, se présentant, dans le cadre des accords de coopération commerciale souscrits, sous la forme de ristournes calculées en pourcentage des chiffres d'affaires réalisés ; que l'arrêt relève que l'examen des accords de coopération pour l'année 1990 fait apparaître une extrême disparité des rémunérations demandées par le distributeur et que cette différenciation ne repose sur aucun critère objectif, le service Argus étant le plus souvent mal ou non défini dans les contrats de coopération conclus ; qu'ayant ainsi écarté le fait que l'hétérogénéité de cette rémunération, quelles qu'en aient été les modalités, ait pu être justifiée par les services rendus, la cour d'appel, qui a ainsi procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi n° 98-20.323, pris en ses cinq branches : - Attendu que la société ITM fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, de pratiquer à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ; que s'agissant d'apprécier si un distributeur s'est fait consentir des modalités d'achat discriminatoires, il convient de comparer ses modalités d'achat à celles des autres clients du fournisseur concerné ; que dès lors en l'espèce, en déduisant la discrimination de la seule différence de taux des ristournes faites par les différents fournisseurs à la société ITM, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ; 2°) qu'en tout état de cause, ayant constaté que les listes de prix "Argus" avaient continué à être diffusées en 1991, fût-ce sous des formes différentes, la cour d'appel, qui a affirmé que les sommes versées en contrepartie de ces services, dont l'existence n'était pas contestée, n'étaient plus justifiées par "des contreparties réelles", sans expliquer en quoi ces prestations publicitaires, fussent-elles moins coûteuses ou "plus faibles", n'avaient pas néanmoins constitué une contrepartie suffisante, et à tout le moins réelle, aux rémunérations, reconduites pour l'année 1991, versées par les fournisseurs concernés, a privé sa décision de base légale au regard du même texte ; 3°) qu'en affirmant que la politique de communication d'un "indicateur" de prix Argus en 1991 présentait un "avantage moindre" pour le fournisseur, que "la publicité ne touchait plus que les consommateurs déjà rendus sur les lieux de vente", sans rechercher si, comme l'expliquait la société ITM, la diffusion d'une liste de prix Argus quel qu'en soit le support, présentait essentiellement l'intérêt pour les fournisseurs d'inciter les points de vente à s'approvisionner et à présenter largement les produits mentionnés, pendant de longues périodes de temps au cours de l'année, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 4°) que la cour d'appel s'est bornée à déclarer, pour estimer que les sommes obtenues par la société ITM, des fournisseurs concernés par la liste des prix Argus n'étaient pas justifiées par des contreparties réelles, que le service reposant sur un support publicitaire plus faible que celui mis en place en 1990 avait présenté un "avantage moindre" pour ces fournisseurs, sans rechercher, comme l'y invitait expressément la société ITM dans ses conclusions, si les fournisseurs considérés n'avaient pas vu leur chiffre d'affaires avec la société ITM augmenter en 1991, et si cette évolution favorable ne résultait pas, précisément, de la coopération commerciale réalisée au moyen de la communication des listes "Argus", privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 5°) qu'aux termes de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la pratique discriminatoire ne peut être sanctionnée que si elle entraîne un avantage ou un désavantage dans la concurrence, qui doit être constaté concrètement, sans pouvoir se déduire automatiquement de la discrimination ; qu'en se bornant à affirmer que la différenciation du taux des prétendues "ristournes" selon les fournisseurs de la société ITM conférait à cette dernière un avantage discriminatoire, sans constater, concrètement, que l'un des 7 fournisseurs visés en aurait tiré un avantage ou un désavantage dans la concurrence, la cour d' appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, que contrairement aux énonciations du moyen, entrent dans le champ d'application de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les discriminations, pratiquées par un distributeur entre ses fournisseurs; qu'il en résulte que la cour d'appel a à bon droit examiné la licéité des avantages financiers obtenus par la société Intermarché auprès de ses fournisseurs pour la réalisation du service Argus au regard de ce texte;

Attendu, en deuxième lieu, que l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les pratiques discriminatoires non justifiées par des contreparties réelles ; que l'arrêt constate que la disparité des rémunérations demandées sont échelonnées de 4,5 % à 7 % du montant des achats d'Intermarché et varient, en valeur absolue de 1 à 5, que cette différenciation entre fournisseurs ne repose sur aucun critère objectif et que la société ITM n'a pas démontré que la diversité des traitements est justifiée par la différence des situations de chacun d'entre eux, que l'arrêt relève que le service Argus est le plus souvent mal ou non défini dans les contrats de coopération conclus et que les conditions de sa rémunération ont été reconduites à l'identique pour 1991, le distributeur continuant à percevoir au minimum les mêmes avantages financiers alors que le service rendu n'était plus le même, la nouvelle politique de communication fondée sur la présence dans les lieux de vente d'un indicateur reposant sur un support publicitaire plus faible que celui mis en place en 1990, et présentant un avantage moindre pour le fournisseur puisque la publicité ne touchait plus que les consommateurs déjà rendus sur les lieux de vente ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont elle a déduit que les différences de rémunération pratiquées par la société ITM entre ses fournisseurs ne reposaient sur aucune contrepartie réelle, sans avoir à procéder aux recherches visées au moyen, inopérantes dès lors qu'elles ne tendaient à établir que l'existence d'une contrepartie à la rémunération du service Argus mais non à la différenciation existant dans celle-ci, la cour d'appel, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en troisième lieu, que le fait pour un distributeur d'obtenir d'un partenaire économique des avantages financiers non justifiés par une contrepartie réelle crée pour ce partenaire un désavantage dans la concurrence, sans qu'il y ait lieu pour l'administration ou pour l'opérateur ayant subi ce désavantage d'en établir la valeur; qu'ayant relevé que les fournisseurs ayant octroyé des avantages financiers à la société ITM au titre de l'Argus ont subi un désavantage dans la concurrence par réduction de leur marge, dès lors qu'il n'est pas justifié que leurs concurrents aient été soumis à des conditions de coopération commerciale similaires, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 98-17.705 : - Attendu que le ministre de l'Economie fait grief à l'arrêt infirmatif sur ce chef d'avoir rejeté ses demandes d'annulation des clauses litigieuses et de restitution des sommes perçues au titre du service Argus pour l'année 1991, alors, selon le moyen, que l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prévoit la sanction des pratiques anticoncurrentielles, confère au ministre chargé de l'économie une action en réparation spécifique ; qu'étant garant de la protection de l'ordre public économique lié à la liberté des prix et au libre jeu de la concurrence, le ministre chargé de l'économie dispose, dans le cadre de cette action, d'un droit propre lui permettant de poursuivre la remise en état de l'ordre public économique non seulement dans l'avenir, par la cessation des agissements illicites, mais aussi dans le passé, par l'annulation des contrats ou actes illicites frappés de nullité absolue et la restitution des biens ou sommes indûment échangés en application de tels contrats illicites ; qu'en décidant que le pouvoir d'agir du ministre dans l'exercice de sa mission de gardien de l'ordre public économique ne peut tendre qu'au rétablissement dudit ordre public économique par la seule cessation des pratiques illicites, sans pouvoir solliciter l'annulation des conventions auxquelles il n'a pas été partie ainsi que la restitution des prix et valeurs des biens en cause, la cour d'appel a privé le ministre chargé de l'économie de la réparation intégrale du préjudice subi et ainsi violé l'article 36, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'ayant énoncé que l'action introduite par le ministre sur le fondement de l'article 36, alinéa 1, 1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est une action en réparation et non en annulation ne lui donnant pas le pouvoir de saisir directement une juridiction de l'ordre judiciaire pour demander la nullité d'une convention à laquelle il n'est pas partie, que le pouvoir d'agir du ministre dans l'exercice de sa mission de gardien de l'ordre public économique ne peut tendre qu'au rétablissement dudit ordre public économique par la seule cessation des pratiques illicites et ne lui donne pas la faculté de se substituer aux victimes des pratiques discriminatoires pour évaluer, à leur place, le préjudice causé par les agissements restrictifs de concurrence et en solliciter la réparation, que les dispositions légales applicables ne lui donnent pas davantage le pouvoir de solliciter la restitution des prix et valeurs des biens en cause, aux lieu et place des victimes, la cour d'appel a fait l'exacte interprétation de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en ce qui concerne les pouvoirs du ministre de l'Economie; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette les pourvois.