CA Dijon, ch. corr., 26 mai 1994, n° 94-101
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Ministère public, DGCCRF Région Bourgogne, CPAM Saône-et-Loire
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bray
Conseillers :
MM. Veille, Mecz
Avocats :
Mes Mathieu, Beucler, Gagnaux.
Faits et procédure :
L Bruno et M Pierre ont été poursuivis respectivement devant le Tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône, en vertu d'une ordonnance de renvoi du juge d'instruction de cette juridiction en date du 4 juin 1993 pour avoir :
- à Dracy-le-Fort, Saône-et-Loire, entre le 18 juin 1989 et le 17 octobre 1991 :
-- obtenu des factures d'achat de prothèses orthopédiques ne mentionnant pas les rabais, remises ou ristournes consenties par les fournisseurs (Orthopaid, Climo, Tornier, Seremm, Orthomed), alors que le principe en était acquis et le montant chiffrable lors de la vente et ce, quelle que soit la date effective de leur règlement.
Infraction prévue et réprimée par l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.
Le jugement dont il est fait appel a :
Statuant publiquement et contradictoirement,
Sur l'action publique :
Relaxé Bruno L et Pierre M en ce qui concerne les factures établies par Serremm, Orthopaid, Tornier et Orthomed,
Les a déclarés coupables pour le surplus,
Les a condamnés, chacun, à la peine de 30 000 F d'amende.
Sur l'action civile :
Déclaré recevable la constitution de partie civile de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire,
Condamné solidairement Bruno L et Pierre M à lui payer les sommes de :
- 1 F à titre de dommages et intérêts,
- 2 500 F au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale,
Les a condamnés aux dépens de l'action civile et a, par application de l'article 141 de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1991, assujetti le jugement d'un droit fixe de 600 F dont est redevable chaque condamné.
Le tout par application des articles 406 et suivants, 475-1, 485, 749, 750 du code de procédure pénale, 141 de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 et du texte susvisé.
Ce jugement a été frappé d'appel par :
- la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire, partie civile, appel principal et partiel, limité à l'action civile, le 17 janvier 1994,
- L Bruno, prévenu, appel incident et général, le 24 janvier 1994,
- M Pierre, prévenu, appel incident et général, le 24 janvier 1994,
- le Ministère public, appel incident, le 24 janvier 1994,
suivant actes reçus au greffe du Tribunal correctionnel de Chalon-Sur-Saône.
Décision rendue :
LA COUR, après en avoir délibéré,
Il résulte du dossier et des débats que durant la période visée par la prévention les fournisseurs en prothèses orthopédiques du Centre O de Dracy-le-Fort ont consenti à celui-ci des rabais, remises ou ristournes qui ne figuraient pas sur leurs factures mais qui faisaient l'objet d'avoirs mensuels ou annuels.
A la suite de ces faits, L, président directeur général de la société qui exploite le centre, et Mercier, directeur de l'établissement, ont été poursuivis pour infraction à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire qui a remboursé les prothèses au centre, sur présentation des factures, s'est constituée partie civile et le 7 janvier 1994, le Tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône a rendu la décision dont appel.
Les prévenus demandent à la Cour de les relaxer pour l'ensemble des faits qui leurs sont reprochés et de déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie.
Ils font valoir que le texte précité, destiné à réprimer les ventes à perte ne saurait s'appliquer à un prestataire de service, tel qu'une clinique ; que les fournisseurs du centre n'ont pas fait l'objet de poursuites et qu'il n'est pas établi que l'acheteur ait eu le pouvoir de leur imposer de faire figurer les rabais, remises et ristournes sur les factures ;
Que, si le principe des remises était acquis au moment de la vente, par contre celles-ci n'étaient pas chiffrables car elles récompensaient un certain volume d'affaires ainsi que la gestion du matériel ancillaire et du stock de prothèses qui ne pouvaient être connus qu'en fin d'exercice ;
Que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ne justifie d'aucun préjudice puisqu'aux termes de la convention qui la liait à la clinique, celle-ci avait droit au remboursement des dépenses exposées pour les prothèses, dépenses qui ne se limitent pas au montant figurant sur la facture ; qu'enfin, les premiers juges n'ont pas recherché qui, des deux prévenus, avait le pouvoir de traiter avec les fournisseurs et s'il existait ou non une délégation de responsabilité sur ce point.
Le Ministère public et le chef du Service Régional de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, soutiennent que, contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, la prévention est établie pour l'ensemble des factures. Le premier réclame des peines d'amende et le second, que le centre soit déclaré solidaire du paiement des amendes prononcées, en application de l'article 54 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
La Caisse Primaire, exposant qu'en raison de l'infraction, elle a été amenée à rembourser plus qu'elle ne le devait, réclame à titre principal 500 000 F de dommages et intérêts et, subsidiairement, 30 777,07 F. Elle demande en outre 8 000 F pour ses frais irrépétibles.
Discussion :
Attendu que les prévenus qui admettent que lors de la vente le principe de la remise était acquis, ne peuvent sérieusement soutenir qu'à cette date, celle-ci n'était pas chiffrable dans le cas de la société Climo ; qu'en effet, figurent au dossier les lettres que celle-ci adressait au centre au début de chaque année pour lui annoncer quel était le montant de la remise consentie pour l'année à venir ; que cette remise, accordée sous forme d'un avoir mensuel, n'était soumise à aucune condition et que la circonstance qu'au cours de l'exercice 1990 M ait réussi à la faire porter de 7 à 8 %, ne permet nullement de la considérer comme aléatoire ;
Attendu par contre, qu'en raison des déclarations faites par les autres fournisseurs, il n'est pas certain que les remises consenties par ceux-ci, aient été chiffrables au moment de la vente ;
Attendu que l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'applique, selon ses propres termes, à tout achat de produits et à toute prestations de service pour une activité professionnelle ; que c'est donc à tort que les prévenus soutiennent qu'elle ne peut concerner les achats de prothèses faits par la clinique ;
Attendu que selon l'alinéa 2 dudit article, l'acheteur est tenu de réclamer une facture; que dans la mesure où il n'exige pas du vendeur une facturation répondant aux exigences légales, ce que le centre aurait pu facilement obtenir de la société Climo puisque, selon le directeur financier de celle-ci, en général cette société inclut la remise dans le prix facturé, il se rend coupable du délit et ceci, même si le vendeur n'est pas poursuivi;
Attendu que le point de savoir si la Caisse Primaire d'Assurance Maladie a subi un préjudice, est sans incidence sur l'action publique ;
Attendu enfin, qu'au cours de l'information, M a reconnu que c'était lui qui était en relation avec les fournisseurs et a déclaré qu'il ne contestait pas le principe de son éventuelle responsabilité pénale ; que toutefois, celle-ci n'est pas exclusive de celle de L, auquel il incombait, en tant de PDG de la société de veiller à ce que ses subordonnés respectent la réglementation et qui, lors de sa dernière audition, a déclaré qu'il n'avait pas établi de délégation de pouvoir au profit de M ;
Attendu que la prévention est donc établie à l'encontre de M et de L dont l'exposé qui précède démontre suffisamment qu'ils ont agi de mauvaise foi ;
Attendu que par application de l'article 54 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le centre doit être condamné solidairement aux amendes prononcées contre L et M ; que le montant de celles-ci a été justement évalué par les premiers juges ;
Attendu que la Caisse Primaire est recevable et fondée à demander à titre de dommages et intérêts le montant des remises qui ne figuraient pas sur les factures de la société Climo qu'elle a remboursées au centre ; que la Cour n'a pas à rechercher si ces remises représentaient un bénéfice pour le centre ou couvraient des charges ; qu'il lui suffit de constater que la partie civile a été amenée à rembourser des factures d'un montant plus élevé que celui autorisé par la loi ; qu'au surplus, la notion de dépenses engagées doit s'interpréter par référence à l'article 1er de l'arrêté du 24 janvier 1978 qui dispose que les prothèses sont prises en charge sur la base des prix pratiqués par les fournisseurs, sur présentation de la facture ; que celle-ci est bien évidemment une facture établie conformément à la loi ;
Attendu que la Caisse Primaire justifie que, pour la période considérée, le montant des remises de la société Climo qu'elle a été amenée à rembourser à tort, s'élève à 30 777,07 F ; que cette somme lui sera donc allouée ; qu'en outre, l'équité commande de lui attribuer en remboursement de ses frais irrépétibles, 8 000 F pour l'ensemble de la procédure ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement envers toutes les parties en cause, Sur l'action publique : Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, Condamne solidairement la société " Centre O de Dracy-le-Fort " aux amendes prononcées contre les prévenus ; Sur l'action civile : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire ; Réforme pour le surplus ; Condamne " in solidum " Bruno L et Pierre M à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire, 30 777,07 F ainsi que 8 000 F au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; Dit que Bruno L et Pierre M seront, chacun, recevables en cause d'appel, du droit fixe prévu par l'article 1018 A du code général des impôts ; Le tout par application des articles 31, 54 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 2, 3, 417, 424, 475-1, 514, 515, 749, 750, du code de procédure pénale et 1018 A du code général des impôts.