CA Versailles, 9e ch., 10 avril 1996, n° 277
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Procureur général près la Cour d'appel de Versailles
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dubreuil
Conseillers :
M. Limoujoux, Mme Delafollie
Avocat :
Me Saint-Esteben.
A l'appel de la cause à l'audience publique du 28 février 1996, Monsieur le Président a constaté l'identité du prévenu ;
Puis, Monsieur Limoujoux, conseiller a fait le rapport de l'affaire, il a donné lecture des pièces du procès et notamment du jugement dont est appel, lequel par les motifs y exprimés :
- a renvoyé Monsieur F des fins de la poursuite en ce qui concerne les factures n° 36062101, 35932502 et 35718701,
- l'a déclaré coupable de l'ensemble des autres faits qui lui sont reprochés ;
- l'a condamné à une amende de 50 000 F et a condamné solidairement la société L au paiement de l'amende ;
Par application des articles 31 et 55 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Comme coupable de facturation de non conforme vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle ;
Délit commis à Levallois Perret courant 93 ;
LA COUR,
Après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les appels réguliers en la forme de Monsieur Alain F, de la société L, civilement responsable et du Ministère Public des dispositions du jugement susvisé ;
Considérant que les services administratifs de la DGCCRF en résidence à Nanterre s'étaient présentés au siège de la société L à Levallois le 5 août 1993 afin de s'y livrer à diverses investigations, que le 15 mars 1994 était établi un procès-verbal visant plusieurs infractions à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que c'est dans ces conditions que sur citation directe du Ministère Public Monsieur F, alors directeur des ventes de la société L comparaissait devant le Tribunal Correctionnel de Nanterre en qualité de prévenu et la société L en qualité de civilement responsable pour avoir Levallois Perret courant 1993, effectué pour une activité professionnelle, un ou des achats de produits, une ou des ventes de produits, une ou des prestations de service, concernant les factures n° : 35736601, 35974801, 35629801, 30659801, 35604401, 35930801, 36027301, 35639201, 35525501, 37324901, 37410101, 37865301, 37899601, 36062101, 35932502 et 35718701 ;
Infraction prévue et réprimée par les articles 31 et 55 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Que le Tribunal correctionnel a renvoyé Alain F des fins de la poursuite pour les factures 36062101, 35932502 et 35718701 aux motifs qu'il ne disposait que de l'accord signé par W et des factures destinées aux centrales régionales : X, Y et Z étant ainsi dans l'impossibilité de vérifier les termes des accords intervenus entre L et ces centrales ;
Qu'il l'a cependant déclaré coupable et condamné suivant le dispositif ci-avant rapporté pour le surplus ;
Considérant que Monsieur Alain F comparait à l'audience de la Cour assisté de son avocat qui conclut à la relaxe de son client et subsidiairement à l'indulgence et à la non inscription d'une éventuelle condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire ;
Que le Ministère Public s'en rapporte ;
Considérant que le procès-verbal en date du 15 mars 1994 servant de base aux poursuites constate dans un certain nombre de contrats conclus avec des distributeurs en l'espèce A, B, C, W, des avantages consentis par la société L qui sont analysés par les agents de la DGCCRF comme étant des remises ou ristournes déguisées et non comme des services spécifiques relevant de la coopération commerciale ;
Que les avantages ainsi consentis n'étaient pas mentionnés sur la facturation conformément aux dispositions de l'article 31 de la loi du 1er décembre 1986 ;
Que plus précisément les avantages suivants étaient consentis par la société L :
Pour une diffusion nationale de ses produits la société s'engageait à l'égard de A à verser 2,93 %, et à l'égard de B, 1,70 % ;
Pour une diffusion qualifiée " Assortiment " il était stipulé dans le contrat conclu avec C : " si l'assortiment moyen constaté sur l'ensemble des magasins C est supérieur à 70 % de la totalité des produits formats commercialisés par L, la société C touchera 2,13 % ;
Pour une diffusion " challenges ", il était stipulé au contrat conclu avec C : " la société C touchera si le chiffre d'affaires 1993 est supérieur à celui de 1992 : 2,13 % ;
Au contrat conclu avec A : " si la progression en cumul 93 par rapport à 92 de CAP est égale à celle de L, L versera à la société A : 1,70 % ;
et enfin au contrat conclu avec B : " si le chiffre d'affaires bi-mensuel de B, en moyenne au fur et à mesure dans l'année en produits L, est au moins égal à 40 MF, L versera à la société B 2,25 % ;
Il a enfin été relevé par l'administration que les remises " Portes ouvertes ", " Challenge national " et " Challenge régional " telles que négociées entre W et la société L ne figuraient pas sur les factures destinées aux acheteurs ;
Considérant que la poursuite est fondée sur l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui impose la mention, sur facture, d'un certain nombre de renseignements parmi lesquels " tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service " ;
Qu'il incombe dès lors à la Cour d'analyser les remises litigieuses afin de déterminer si elles étaient de principe acquis et de montant chiffrable ;
Considérant à cet égard qu'il résulte des contrats en cause susvisés de type " diffusion nationale ", " assortiments " ou " challenge " que la ristourne n'était octroyée que si le distributeur en l'espèce A, B ou C soit diffusait dans " l'ensemble de ses magasins les produits L ", soit si pendant une période donnée était réalisé un chiffre d'affaires au moins égal à une somme fixée par L, soit diffusait dans l'ensemble de ses magasins un assortiment moyen supérieur à 70 % des produits formats L, soit 64 références ;
Que le texte même des contrats mentionne donc expressément qu'il s'agit d'une condition, que par conséquent l'attribution des ristournes est subordonnée à la réalisation des objectifs contractuellement fixés et par définition futurs et incertains;
Que les agents de la DGCCRF paraissent toutefois considérer en l'espèce que ce caractère conditionnel est purement formel, qu'il s'agirait en fait de ristournes déguisées ne pouvant être assimilées à des services spécifiques relevant de la coopération commerciale ;
Considérant cependant sur ce point qu'il résulte des pièces produites aux débats aucun engagement ferme du distributeur dont les conditions de vente peuvent toujours être soumises à certains aléas résultant du comportement de tiers au contrat ou d'événements indépendant de la volonté des parties rendant la condition irréalisable, que l'administration n'apporte au surplus aucun élément de preuve contraire vérifiable par la Cour ;
Que dès lors, en l'espèce, les ristournes sans doute acquises dans leur principe ne pouvaient néanmoins être vérifiables lors de l'émission de la facture, mais seulement globalement en fin d'année après vérification que le quota contractuellement fixé était atteint ou le chiffre minimum réalisé;
Considérant que le droit pénal est d'interprétation stricte, qu'aucun texte n'interdit la pratique des remises ou ristournes conditionnelles dont le paiement est différé jusque à réalisation de la ou des conditions prévues à l'origine et consistant pour les bénéficiaires à atteindre des objectifs périodiques d'accroissement du chiffre d'affaires global, que les dispositions susvisées de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1-12-1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ne peuvent être en aucune manière considérés, dans ce texte d'esprit libéral, comme valant prohibition des rabais, remises ou ristournes;
Qu'en l'espèce les ristournes étaient bien affectées de conditions et n'avaient donc pas à être mentionnées sur les factures visées à la prévention tant que lesdites conditions n'étaient pas réalisées;
Qu'il échet en conséquence d'infirmer le jugement déféré et de relaxer Monsieur Alain F ;
Considérant sur les remises accordées au W que le Tribunal a observé à bon droit qu'il ne lui était pas possible de vérifier les termes des accords intervenus entre la société L et les centrales d'achat régionales X, Y, et Z juridiquement indépendante du Galec qui est une centrale de référencement, qu'il échet de confirmer la relaxe sur ce chef de prévention ;
Par ces motifs : Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; En la forme : Reçoit les appels ; Au fond : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a renvoyé Monsieur Alain F des fins de la poursuite en ce qui concerne les factures n° 36062101, 359332502, 35718701, L'infirmant pour le surplus, Renvoie Alain F des fins de la poursuite pour l'ensemble des autres faits qui lui étaient reprochés.