Livv
Décisions

CA Paris, 9e ch. A, 4 février 1992, n° 90-8898

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Castres

Conseillers :

MM. Collomb-Clerc, Launay

Avocat :

Me Heintz.

TGI Bobigny, 15e ch., du 13 nov. 1990

13 novembre 1990

Rappel de la procédure :

A) Le jugement :

Le 13 novembre 1990 la 15e chambre du Tribunal de grande instance de Bobigny a renvoyé H Hannjorg et C Erwin des fins de la poursuite du chef de non-paiement par commerçant dans le délai légal après livraison, la société X a été mise hors de cause et les dépens ont été laissés à la charge du Trésor.

B) Appel a été interjeté le 19 novembre 1990 par le ministère public à l'encontre de C Erwin et H Hannjorg.

C) L'arrêt avant dire droit du 2 avril 1991 :

Cette chambre de la Cour, a reçu l'appel du ministère public, et avant dire droit au fond a ordonné la comparution, en qualité de témoin de R Marcel, demeurant 35/77 rue Benoît Frachon 93000 Bobigny, a renvoyé la cause au mardi 4 juin 1991 et a réservé les dépens.

Décision :

Prise après en avoir délibéré conformément à la loi.

I- En la forme :

Vu son arrêt avant dire droit du 2 avril 1991 ayant déclaré recevable l'appel du ministère public et ordonné la comparution en qualité de témoin, de R Marcel, directeur de l'entrepôt vente de la SARL X.

Considérant que, bien que cités à parquet général, les prévenus ont été régulièrement représentés par leur conseil qui a demandé à comparaître en leur nom, ce dont il lui a été donné acte.

II- Au fond et sur l'action publique :

Considérant que les premiers juges, après rappel de la procédure et des termes de la prévention, ont exactement relaté les circonstances de la cause et qu'il convient, sur ce point, de se rapporter aux énonciations du jugement entrepris.

Considérant que C Erwin et H Hannjorg ont été attraits en la cause pour avoir à Bobigny, courant 1989, commis en tant que cogérants de la SARL X, neuf infractions, définies à l'article 35 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, en ayant réglé des achats de produits alimentaires périssables et de boissons alcooliques ayant supporté les droits de consommation prévus par l'article 403 du code général des impôts dans un délai supérieur à trente jours après la fin du mois de livraison.

Considérant que, dans son rapport d'appel, le ministère public se réfère aux observations écrites de l'administration de la concurrence et de la consommation relatives au jugement dont s'agit.

Que l'administration fait remarquer, en substance, que les faits poursuivis concernent une SARL de taille moyenne, employant 289 salariés à l'exploitation d'un seul magasin, et que la taille ni l'importance de la société n'étaient telles que les gérants ne pussent y exercer leurs fonctions de direction sans avoir à déléguer toute responsabilité.

Que l'administration souligne, en outre, que la délégation de pouvoirs dont excipent les prévenus ne lui a pas été notifiée ;

Qu'enfin, l'administration relève " à tout le moins ... un grave défaut de surveillance des dirigeants vis-à-vis de leur délégataire ".

Considérant que, dans ses écritures d'appel, la défense reprend, en la complétant, son argumentation de première instance et conclut à la confirmation du jugement de relaxe déféré à la Cour.

Considérant que l'ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, n'édicte aucune présomption de responsabilité à la charge du dirigeant de l'entreprise où ont été constatées les pratiques illicites.

Qu'il appartient à la juridiction correctionnelle, dès lors qu'est caractérisé l'élément matériel de l'infraction poursuivie, de rechercher, dans chaque cas et à la lumière des faits et circonstances soumis à son appréciation, si la responsabilité de cette infraction est imputable au prévenu.

Considérant qu'il n'est pas contesté, en l'espèce, que MM. C et H ont délégué leurs pouvoirs de direction, de contrôle et de discipline, par acte écrit du 2 janvier 1988, à M. R en sa qualité de directeur de l'entrepôt vente de la SARL X.

Qu'aux termes de cette délégation, M. R se voyait attribuer les pouvoirs des cogérants " en vue d'assurer et de faire assurer le strict respect des dispositions pénales et réglementaires résultant des législations économiques, commerciales et sociales entrant dans l'activité de la société susnommée et, plus particulièrement, dans les domaines relatifs aux ventes entre professionnels, formation de prix, publicité et promotion des produits et, de façon générale, toutes les opérations commerciales ou sociales traitées par l'établissement ".

Que l'acte portant délégation stipulait, en outre, qu'un recueil des textes afférents aux obligations légales et réglementaires ainsi mises à la charge du délégataire était tenu à la disposition de celui-ci ; recueil qui comprenait, notamment, l'ordonnance du 1er décembre 1986, en tant que " réglementant les dispositions devant figurer sur toutes factures émises ".

Que, lors de sa comparution devant la Cour, en qualité de témoin, à l'audience du 4 juin 1991, M. R a précisé que la délégation du 2 janvier 1988 n'avait fait que confirmer celle qu'il avait reçue en 1985, lors de sa désignation comme directeur de magasin.

Qu'il suit de là que les infractions constatées par les fonctionnaires verbalisateurs entraient dans le cadre des obligations dont M. R avait pour mission de veiller au bon accomplissement.

Considérant, par ailleurs, que la société X appartient au groupe Y, implanté dans douze pays d'Europe et qui se situe parmi les tout premiers d'Europe dans le secteur de la distribution.

Qu'en 1989, en effet, ce groupe disposait, en France, de treize sociétés, regroupant 3.000 collaborateurs et ayant réalisé un chiffre d'affaires global de l'ordre de 6 milliards de francs.

Que les prévenus sont les dirigeants du groupe européen et les gérants de ces treize sociétés ainsi que de nombreuses autres à travers l'Europe.

Qu'il est donc avéré qu'eu égard à l'importance de leur rôle et aux contraintes de leurs fonctions, au sein du groupe, les prévenus n'étaient pas en mesure d'assurer personnellement le respect de la réglementation économique au sein de la SARL X et que le recours à la procédure de délégation de pouvoirs était, en l'occurrence, justifié alors qu'au surplus, leurs affirmations, selon lesquelles ils ne résident pas en France ne sont démenties par aucun élément de la procédure et sont, au contraire, corroborées par les énonciations de l'extrait K bis du registre du commerce et des sociétés mentionnant leur domiciliation en Confédération Helvétique.

Qu'enfin, aucune faute personnelle n'apparaît pouvoir être reprochée aux prévenus qui - d'une part, ont veillé à déléguer leurs pouvoirs à un préposé disposant, de par ses fonctions de directeur du magasin de Bobigny, de l'autorité, de la compétence et des moyens de nature à lui permettre d'assurer, avec toute l'efficacité requise pour ce faire, l'observation des prescriptions légales et réglementaires, - d'autre part, n'étaient pas légalement tenus de notifier leur délégation de pouvoirs à l'administration de la concurrence et de la consommation .

Qu'il est établi, en l'état de ces constatations, que les prévenus ne peuvent être tenus pour pénalement responsables de l'infraction à la réglementation des prix telle que dénoncée à leur endroit par la poursuite.

Que, par voie de conséquence, la société X doit être mise hors de cause en tant que solidairement responsable.

Qu'il échet, dès lors, de confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement frappé d'appel.

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en second ressort. En la forme : Vu son arrêt avant dire droit du 2 avril 1991 ayant déclaré recevable l'appel du ministère public et ordonné la comparution, en qualité de témoin de R Marcel. Vu l'audition de ce témoin à l'audience du 4 juin 1991. Donne acte aux prévenus de leur comparution volontaire en la personne de leur conseil. Au fond : Confirmant le jugement dont appel. Renvoie C Erwin et H Hannjorg des fins de la poursuite. Met hors de cause la SARL X. Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge du Trésor Public. Le tout par application des articles 470, 474, 512, 515 et 516 du code de procédure pénale.