CA Versailles, 14e ch., 28 juin 1996, n° 2019-96
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Coffima (SA)
Défendeur :
SRIM (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gillet
Conseillers :
Mmes Lombard, Liauzun
Avoués :
Me Treynet, SCP Jullien Lecharny Rol
Avocats :
Mes Saffar, Morin.
Les faits et la procédure :
Imputant à l'un de ses fournisseurs, la société SRIM des pratiques discriminatoires de vente, la société Coffima, dont l'activité consiste dans l'exportation sur les marchés africains de pièces d'équipement pour l'automobile, a présenté au Président du Tribunal de commerce de Versailles une requête à fin de constat à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 30 octobre 1995, l'huissier désigné ayant notamment pour mission de se faire communiquer les factures établies par la société SRIM aux sociétés Automotor, Soeximex, Cogefa et Marseillaise de Pièces Auto pour les années 1993, 1994 et 1995, de relever les prix unitaires des produits vendus à ces sociétés sous les références énumérées dans l'ordonnance ainsi que les rabais, remises et ristournes portées sur les factures et les conditions de règlement.
Saisi par la société SRIM, le Président du Tribunal de commerce, par ordonnance rendue en référé le 11 janvier 1996, a rétracté l'ordonnance précitée.
Appelante, la société Coffima, qui a assigné à jour fixe devant la Cour la société SRIM, conclut à la nullité de l'ordonnance entreprise pour défaut de motifs et elle demande à la Cour, en statuant en application des dispositions de l'article 562 du nouveau code de procédure civile, ou bien infirmant la décision si elle n'était pas déclarée nulle et statuant à nouveau, de débouter la société SRIM de sa requête de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 30 octobre 1995, de maintenir en toutes ses dispositions cette ordonnance, et y ajoutant, d'étendre la mesure prescrite à l'année 1992, l'année 1993 ayant été mentionnée deux fois à la suite d'une erreur de plume, de dire que l'huissier devra également relever sur les factures les quantités d'articles achetés par les quatre sociétés visées dans la requête, de condamner la société SRIM à s'exécuter sous astreinte définitive de 10 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et de la condamner au paiement de la somme de 40 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société SRIM conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise et demande que Coffima soit condamnée à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que pour conclure à la nullité de l'ordonnance entreprise, la société Coffima fait grief au premier juge d'avoir motivé sa décision en retenant que la procédure engagée n'autorise pas la partie défenderesse à exposer ses moyens de défense en procédure contradictoire, ce qui équivaut à une absence de motivation puisque les ordonnances sur requête prévues par les articles 145 et 493 du nouveau code de procédure civile sont précisément destinées à ce que la procédure, dans un premier temps, ne soit pas contradictoire ;
Que toutefois le premier juge a également énoncé que la requête vise l'inquisition par l'officier ministériel au sein de la société SRIM et a ainsi satisfait à l'exigence de l'article 455 du nouveau code de procédure civile quant à la motivation ;
Qu'en conséquence, la demande tendant à voir prononcer la nullité de sa décision sera rejetée ;
Considérant que l'article 145 du nouveau code de procédure civile énonce que " s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la réserve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé " ;
Considérant que la mesure de constat autorisée tend essentiellement à l'examen des factures relatives aux ventes à quatre sociétés nommément désignées de pièces dont la référence est précisée;
Qu'il ne s'agit donc pas d'une mesure d'inquisition mais d'une mesure légalement admissible au sens de l'article 145 du nouveau code de procédure civile, ne pouvant porter atteinte au secret des affaires, à la condition qu'elle soit strictement limitée aux seules investigations nécessaires pour établir les remises et ristournes consenties par la société SRIM aux sociétés concurrentes de la société requérante;
Qu'il s'ensuit que l'ordonnance rendue sur requête doit être partiellement rétractée en ce qu'elle permet à l'huissier d'appréhender tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission;
Considérant que la société SRIM pour s'opposer à la mesure ordonnée sur requête, soutient que la société Coffima ne peut se prévaloir des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, destinée à protéger la concurrence sur le marché français puisqu'elle vend les produits achetés sur les marchés algérien et nigérien ;
Que toutefois, la société Coffima, qui est une société française, a droit à un approvisionnement loyal sur le territoire national, aucun texte n'excluant l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en cas de vente à l'étranger des produits achetés en France;
Qu'en conséquence, la société Coffima a bien un intérêt à établir la preuve de pratiques discriminatoires;
Considérant que la mesure autorisée sur requête a pour objet d'établir avant tout procès la preuve de pratiques discriminatoires, et non pas de conserver une telle preuve;
Qu'en conséquence, les observations de la société SRIM sur l'absence de risque de dépérissement des preuves sont inopérantes ;
Qu'en outre, et contrairement à ce que soutient la SRIM, les pièces régulièrement versées aux débats, notamment les barèmes, factures et correspondances constituant des présomptions suffisantes pour ordonner la mesure d'instruction sollicitée ;
Qu'en conséquence, l'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions, la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête étant limitée aux seules clauses générales de ladite ordonnance étant en outre observé qu'il convient de compléter l'ordonnance sur requête en étendant la mesure prescrite à l'année 94, l'année 1993 ayant été mentionnée deux fois à la suite d'une erreur de plume et en précisant la mission de l'huissier lequel devra également relever sur les factures les quantités d'articles achetés par les quatre sociétés visées.
Considérant qu'il ne peut être ordonné l'exécution de cette ordonnance sous astreinte, la société SRIM ne dispose d'aucun moyen pour contraindre l'huissier à effectuer les diligences prescrites le jour de la signification de l'arrêt ;
Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de l'une des parties ;
Par ces motifs, Par décision contradictoire rendue publiquement et en dernier ressort, Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Rétracte l'ordonnance rendue sur requête le 30 octobre 1995 par le Président du Tribunal de commerce de Versailles mais seulement en ce qu'elle a donné à l'huissier mission de se faire communiquer, et au besoin en cas de refus de communication, d'appréhender dans les locaux de la société SRIM tous documents et pièces qu'il estimera utiles, la communication ou l'appréhension ne pouvant porter que sur les factures établies pour les années 1992, 1993, 1994 et 1995 aux sociétés précisées dans l'ordonnance. Dit que, outre les diligences prescrites dans l'ordonnance du 30 octobre 1995, l'huissier devra également relever sur les factures les quantités d'articles achetées par les quatre sociétés concernées. Déboutons les parties de toute demande autre ou plus ample, Condamnons la société SRIM aux entiers dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.