CA Paris, 5e ch. B, 14 novembre 1996, n° 94-22906
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Morin
Défendeur :
Dilisco Distributeur (Sté), Éditions François Sorlot et Fernand Lanore
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
SCP Barrier Monin, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Stevenin, Pouget, Dumont.
Paul Morin, qui distribue sous l'enseigne " IMG " des ouvrages vendus en librairie sur des thèmes d'ésotérisme et de parapsychologie, a demandé en février 1992 aux Éditions François Sorlot et Fernand Lanore et a reçu livraison de 300 ouvrages ; il a bénéficié d'importantes remises qu'il a partiellement répercutées auprès de ses propres clients.
A l'occasion de nouvelles commandes en mars 1992, Paul Morin a appris des Éditions Sorlot-Lanore qu'elles venaient de conclure le 10 février précédent un contrat de distribution exclusive avec une société Dilisco et qu'il lui fallait adresser désormais ses commandes à cette société.
S'estimant victime d'un refus de vente et de pratiques discriminatoires, Paul Morin a fait assigner les 26 et 29 juin 1992 la société des Éditions Sorlot-Lanore et la société Dilisco en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Par jugement contradictoire du 24 juin 1994 le Tribunal a débouté Paul Morin de ses demandes et l'a condamné à payer à chacune des sociétés défenderesses 8 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Paul Morin reprend devant la Cour les deux moyens rejetés par le Tribunal : l'existence de pratiques discriminatoires et d'un refus de vente qui engagent la responsabilité de la société Sorlot et Lanore, et un comportement de concurrence déloyale dont la société Dilisco doit répondre.
Il demande en conséquence la condamnation de la première société à lui payer 200 000 F de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et celle de la seconde société à lui payer également 200 000 F de dommages-intérêts sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, outre chacune 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La société des Éditions François Sorlot et Fernand Lanore reprend à son compte l'analyse qu'a faite le Tribunal du contrat de distribution exclusive qu'elle a signé avec la société Dilisco, et soutient qu'il présente toutes les caractéristiques de la régularité ; qu'aucun refus de vente n'a été opposé à Paul Morin et qu'elle ne s'est livrée à aucune pratique discriminatoire.
L'intimée conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de l'appelant à lui payer 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La société Dilisco qui a constitué même avoué que la société Sorlot-Lanore, prétend que Paul Morin n'apporte pas la preuve de manœuvres déloyales de sa part, que le contrat de distribution du 10 février 1992 est conforme à l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'elle ne refuse pas de vendre les ouvrages à Paul Morin aux mêmes conditions que celles qu'elle offre à tout autre consommateur.
La société Dilisco conclut donc à la confirmation du jugement critiqué en ce qu'il a débouté le demandeur de l'ensemble de ses prétentions mais à sa réformation en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle en dommages intérêts ; elle réclame à nouveau la condamnation de Paul Morin au paiement de 50 000 F à ce titre, outre une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Motifs de la Cour
Considérant que Paul Morin reproche aux Éditions Sorlot et Lanore des pratiques discriminatoires qui l'obligent à s'adresser à un tiers dans des conditions moins avantageuses, et qui s'assimilent en outre à un refus abusif de vente ;
Considérant que l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et à la concurrence dispose que :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :
1°) de pratiquer à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence,
2°) de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10... " ;
Considérant que les articles 3 et 4 du contrat de diffusion-distribution signé entre l'éditeur et la société Dilisco définissent la notion de diffusion et les contreparties offertes par la société Dilisco ; qu'ainsi cette dernière assure par l'intermédiaire de sa force de vente ou par sous-traitance la promotion et la diffusion des ouvrages de la société Sorlot et Lanore auprès des librairies et des points de revendeur, gère l'ouverture et la fermeture des comptes clients, fixe les remises de ses clients dans l'esprit des usages de la profession et assure les tâches liées à la distribution telles que le recouvrement des créances, les retours d'ouvrages, le stockage etc... ;
Que les Éditions Sorlot et Lanore se réservent pour leur part la possibilité de vendre leurs ouvrages " à leur adresse et au comptant " ;
Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte, le Tribunal a considéré que ces dispositions contractuelles s'analysaient en une sous-traitance de la distribution des produits Sorlot et Lanore moyennant des contreparties réelles offertes par la société Dilisco qui se distinguent des pratiques prohibées par le paragraphe 1 de l'article 36 sus énoncé;
Qu'à la suite de l'entrée en vigueur de l'accord de distribution conclu avec la société Dilisco, l'éditeur n'a plus assuré la commercialisation de ses ouvrages, sauf à son adresse et par paiement comptant; qu'il n'était plus en mesure de livrer les ouvrages commandés début mars 1992 par Paul Morin aux conditions qu'il exigeait;
Que Paul Morin ne saurait en faire grief à l'éditeur qui, à aucun moment, ne s'est engagé à maintenir à son seul profit les précédentes conditions de vente et de paiement en vigueur lorsqu'il assurait lui-même la commercialisation de ses ouvrages;
Qu'en outre Paul Morin ne justifie pas de ce qu'il ait demandé à la société Dilisco des conditions aussi avantageuses que celles que l'éditeur lui consentait auparavant (remise de 50 % ou 55 % et paiement différé), qu'il ne saurait au surplus contester que, si elles lui avaient été accordées, elles auraient institué une pratique anticoncurrentielle par rapport aux autres revendeurs, illicite et contraire aux usages de la profession auxquels se réfère expressément l'accord du 10 février 1992 ;
Considérant enfin que l'appelant prétend que cet accord a été conclu à des fins purement commerciales et a eu pour effet de faire disparaître la concurrence entre distributeurs au détriment du consommateur ; qu'en l'absence de rapports contractuels son action à l'encontre de la société Dilisco ne peut se fonder que sur les articles 1382 et 1383 du Code civil ;
Que Paul Morin va ainsi jusqu'à prétendre que la société Dilisco s'est livrée à une concurrence " dolosive et déloyale " en se réservant par le contrat qu'elle a conclu avec les Éditions Sorlot et Lanore l'exclusivité quasi-totale de la distribution des ouvrages édités et en évinçant en parfaite connaissance de cause un concurrent qui lui portait ombrage ;
Que Paul Morin n'apporte pas la preuve de ce qu'il a offert et qu'il aurait été à même d'assurer les prestations multiples confiées à la société Dilisco qui est parvenue à distribuer en moyenne plus de 1 300 ouvrages par mois entre février 1992 et septembre 1993 ; que la société Sorlot et Lanore restait libre de choisir le sous-traitant qui lui semblait le plus apte a assurer la commercialisation de ses ouvrages et de ne traiter qu'avec lui en l'absence d'offres équivalentes ;
Que l'accord du 10 février 1992 excluait d'autant moins la concurrence entre distributeurs qu'il prévoyait la possibilité de recourir à d'autres partenaires par le biais d'une sous-traitance similaire ;
Considérant en conséquence que le jugement déféré doit être intégralement confirmé ;
Considérant que la société Dilisco ne justifie d'aucun préjudice imputable à l'acharnement qu'elle dénonce autre que des frais irrépétibles pour lesquels elle est fondée en équité à recevoir, en sus de l'indemnité déjà allouée par le Tribunal au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, une nouvelle indemnité ; qu'il en est de même pour la société d'éditions Sorlot-Lanore ;
Par ces motifs : Confirme le jugement du 24 juin 1994 en toutes ses dispositions, Faisant partiellement droit aux demandes reconventionnelles des intimées, Condamne Paul Morin à payer à chacune des sociétés Dilisco et François Sorlot et Fernand Lanore une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Le condamne aux dépens, Admet la société civile professionnelle Fisselier Chiloux Boulay, avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.