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Décisions

Cass. com., 26 novembre 1996, n° 94-18.136

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ciba-Geigy (SA)

Défendeur :

Procep (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bezard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, SCP Lesourd, Baudin

T. com. Béziers, du 24 avr. 1989

24 avril 1989

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi incident que sur le pourvoi principal ; - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Nîmes, 14 juin 1994), rendu sur renvoi après cassation, que la société d'exploitation des établissements Chazottes (société Chazottes), devenue en 1978, la société Procep, fabrique à Agde des produits chimiques et phytosanitaires destinés à l'agriculture ; qu'elle a été liée jusqu'en 1965, par un contrat d'agent commercial, avec la société Flytox, absorbée, en 1970, par la société Ciba-Geigy ; qu'elle devint alors un des revendeurs grossistes de cette société qui lui maintint jusqu'en 1975 les avantages commerciaux dont elle bénéficiait antérieurement ; que, toutefois, à partir de cette date, ces avantages lui furent supprimés par la société Ciba-Geigy qui avait créé ses propres agences régionales ; qu'au mois de février 1977, la société Procep a intenté, contre la société Ciba-Geigy une action pénale pour refus de vente, pratiques discriminatoires de prix et refus de communication de tarifs ; que cette instance prit fin avec l'ordonnance du 1er décembre 1986 supprimant l'incrimination pénale de tels agissements, ce qui amena la société Procep à saisir la juridiction commerciale compétente en vue d'obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

Sur le premier moyen pris en ses deux branches du pourvoi principal ; - Attendu que la société Ciba-Geigy fait grief à l'arrêt confirmatif de l'avoir déclarée responsable à l'égard de la société Chazottes, devenue en 1978, la société Procep, du préjudice subi par elle à la suite des pratiques discriminatoires de prix dont elle avait été victime pour la campagne 1976-1977, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aux termes de l'article 37-1 , alinéa 1 de la loi du 27 décembre 1973, constitue une pratique discriminatoire le fait de ne pas communiquer à un seul des revendeurs l'ensemble des éléments, y compris les rabais et ristournes, permettant de déterminer le prix de revient d'un produit en vue d'en fixer le prix de vente pour ses clients ; que dès lors en l'espèce, en imputant à faute à la société Ciba-Geigy le fait d'avoir communiqué le 30 septembre 1976 à la société Chazottes ses conditions générales de vente, sans rechercher si les autres revendeurs avaient reçu communication desdites conditions générales de vente avant la société Chazottes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ; et alors, d'autre part, qu'en tout état de cause, en vertu de l'article 37-1 de la loi du 27 décembre 1973, les discriminations ne sont prohibées que si elles ne sont pas justifiées par des différences correspondantes du prix de revient de la fourniture ou du service ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Chazottes ne payait pas ses marchandises achetées, et restituait unilatéralement à Ciba-Geigy les stocks impayés pour lui commander peu après de nouvelles marchandises à un prix inférieur ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher si, à supposer qu'elle ait existé, la discrimination n'était pas justifiée par la différence du coût de la fourniture à Chazottes par rapport à celle faite aux autres revendeurs, compte tenu de la prise en charge par ces revendeurs de leurs stocks, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 37-1 de la loi du 27 décembre 1973 ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a relevé que les produits de la société Ciba Geigy, destinés aux cultures de la vigne et des céréales étaient utilisés en hiver et au printemps ce qui supposait que les grossistes, telle la société Chazottes, fussent informés préalablement pour livrer les commandes à leurs clients au cours du quatrième trimestre, du prix consenti par le fabricant avec les remises accordées en fin de campagne ; qu'ayant constaté que dès la première quinzaine d'octobre 1976, d'autres revendeurs avaient été informés d'une baisse de 2 % sur les produits Ciba Geigy, les plus largement commercialisés, alors que la société Chazottes n'avait été avertie que le 30 novembre 1976 et, qu'au mois de décembre 1976, la société Ciba-Geigy avait avisé directement " divers clients de la société Chazottes des conditions de prix inférieures à celles mentionnés dès la lettre du 30 novembre 1976 ", la cour d'appel a, effectuant les recherches prétendument omises, justifié sa décision au regard du texte susvisé ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé tant par motifs propres qu'adoptés, que l'existence de stocks impayés ne pouvait justifier l'absence de communication en temps utile, à la société Chazottes de ses conditions de vente, puisqu'il aurait suffi de la part de la société Ciba-Geigy de lui consentir " un avoir correspondant au montant de la baisse enregistrée sur la valeur des stocks (invendus de la campagne précédente) pour que la situation soit assainie ", la cour d'appel n'encourt pas les griefs de la seconde branche du moyen; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen pris en ses trois branches ; - Attendu que la société Ciba-Geigy fait grief à l'arrêt confirmatif de l'avoir déclarée responsable à l'égard de la société Chazottes, devenue en 1978, la société Procep, du préjudice subi par elle, à la suite des pratiques discriminatoires de prix dont elle avait été victime pour la campagne 1976-1977, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en vertu des articles 1382 du Code civil et 37-1 de la loi du 27 décembre 1973, le fournisseur qui a communiqué avec retard ses conditions de prix et de remises à son distributeur ne doit indemniser que le préjudice causé par ce retard ; que l'admission du lien de causalité suppose que soient déterminées la faute et le préjudice causé par cette faute, peu important que ce préjudice ne soit évalué ; que dès lors en l'espèce, en admettant que le lien de causalité existait entre le retard de Ciba-Geigy et le dommage subi par Chazottes sans préciser la nature de ce dommage, mais en confiant à l'expert le soin de déterminer la nature et l'importance du préjudice subi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ; alors, d'autre part, que de toute façon, en vertu des articles 1382 du Code civil et 37-1 de la loi du 27 décembre 1973, le fournisseur qui a communiqué avec retard ses conditions de prix et de remises à son distributeur ne doit indemniser que le préjudice causé par ce retard ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que Chazottes avait au début de la campagne litigieuse des stocks invendus et non payés à Ciba-Geigy ; qu'il résulte de ces constatations de fait que les difficultés de Chazottes de fournir ses clients pendant la campagne 76-77, ont pour cause unique le non-paiement par Chazottes des commandes précédentes qui autorisait le fournisseur à refuser légitimement d'effectuer de nouvelles livraisons au distributeur ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; alors enfin, qu'en tout état de cause, en vertu des articles 1382 du Code civil et 37-1 de la loi du 27 décembre 1973, le fournisseur qui a communiqué avec retard ses conditions de prix et de remises à son distributeur ne doit indemniser que le préjudice causé par ce retard ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a refusé d'admettre que la baisse du chiffre d'affaires de Chazottes pour 1976-77 pouvait être due à la régression du marché et à la gestion interne de Chazottes, au motif inopérant que le marché n'avait pas régressé sur la période 1970-1979, sans rechercher si le marché n'avait pas régressé pendant cette campagne 1976-77 ni pourquoi le chiffre d'affaires de Chazottes avait baissé de 33 % pour la saison 1974-75, et de 41 % pour la saison 1975-76, alors que pendant cette période, aucune pratique discriminatoire n'est opposée à la société Ciba Geigy; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

Mais attendu, en premier lieu, que par une décision motivée, la cour d'appel a constaté que les pratiques discriminatoires de la société Ciba-Geigy à l'égard de la société Chazottes avaient eu pour conséquence de ne pas permettre à cette entreprise d'adapter le " prix de vente final des produits au niveau de la concurrence en cours de campagne " et que " l'existence d'un lien de causalité direct " apparaissait dès lors certain entre ces agissements fautifs et le dommage subi par la société Chazottes ;

Attendu, en second lieu, qu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt que les difficultés rencontrées par la société Chazottes aient eu pour cause unique l'existence de ces pratiques discriminatoires ; qu'ayant seulement relevé qu'en l'absence d'éléments comptables objectifs " de nature à lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur l'importance réelle du préjudice financier ", la cour d'appel a décidé, sans encourir les griefs du moyen, qu'il y avait lieu d'ordonner une mesure d'expertise ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident ; - Attendu que la société Procep fait grief à l'arrêt d'avoir limité à la campagne 1976-1977, la responsabilité de la société Ciba-Geigy envers elle, alors, selon le pourvoi incident, que viole l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt attaqué qui omet radicalement de répondre au chef des conclusions de la société Procep imputant un comportement fautif à la société Ciba-Geigy dès la campagne antérieure (1975-1976) ;

Mais attendu qu'en faisant grief à la cour d'appel de ne pas avoir répondu aux conclusions invoquées, le moyen se prévaut, en réalité, d'une omission de statuer sur la demande de la société Procep ; que cette omission de statuer, qui ne peut être réparée que dans les conditions prévues à l'article 463 du nouveau Code de procédure civile, ne donne pas lieu à ouverture à cassation ; que, dès lors, le moyen est irrecevable ;

Par ces motifs, rejette le pourvoi.