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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 26 juin 1996, n° 12451-94

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Valéo Vision (SA)

Défendeur :

Société de matériel électrique automobile (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

Me Baufume, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Mes Cievet, Gendre

T. com. Bobigny, 7e ch., du 1er avr. 199…

1 avril 1994

Par déclaration remise au secrétariat greffe le 30 mai 1994, la SA Valéo Vision a interjeté appel du jugement du 1er avril 1994 par lequel le Tribunal de commerce de Bobigny l'a condamnée à payer à la SA Matériel électronique automobile (ci-après dénommée SMEA) la somme de 1 300 000 F à titre de dommages et intérêts et à celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, a déclaré irrecevable la demande de cette société en livraison forcée sous astreinte des pièces détachées électriques de la société Valéo Vision aux conditions accordées à Auto distribution, enfin a ordonné la publication de ce jugement dans le journal " Le distributeur automobile " aux frais de la société Valéo Vision dans la limite de 15 000 F.

La société Valéo Vision qui fabrique et commercialise des produits utilisés pour la signalisation des véhicules industriels expose qu'au début des années 1990 elle a mis en place un réseau de distribution sélective et qu'elle a invité la société SMEA, l'un de ses distributeurs, d'y adhérer aux conditions les plus favorables accordées aux autres distributeurs d'importance nationale mais que la société SMEA a refusé cette offre au motif qu'elle était victime de pratiques discriminatoires et l'a assignée en paiement de dommages et intérêts que le tribunal lui a accordés sans aucun fondement.

En conséquence la société Valéo Vision concluant à la réformation du jugement, demande de débouter la société SMEA de ses prétentions et de la condamner à lui payer les sommes de 50 000 F et 100 000 F respectivement à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de frais non répétibles.

La société SMEA réplique qu'elle est un groupement national de distribution de produits électriques de l'automobile et que la société Valéo Vision lui a proposé un contrat de distribution à des conditions discriminatoires par rapport aux autres groupements et a refusé de lui communiquer ses conditions générales de vente et ses grilles de remises quantitatives par famille de produits et en fonction de l'importance du chiffre d'affaires malgré une mise en demeure du 2 mars 1993 réitérée le 29 mars 1993.

La société SMEA relève appel incident pour faire porter les dommages et intérêts à la somme de 4 000 000 F en réparation de son préjudice.

Elle sollicite également la condamnation de la société Valéo Vision à lui livrer ses produits aux mêmes conditions que celles consenties à Auto distribution sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée et à lui payer la somme de 50 000 F au titre de ses frais non répétibles.

Enfin la société SMEA prie la cour d'ordonner la publication du présent arrêt dans la revue Distribution Automobile dans la limite de 20 000 F hors taxes.

La société Valéo Vision rétorque que la société SMEA ne peut être qualifiée de groupement, faute de répondre aux critères suivants : apporter un support logistique constitué par un lieu de stockage unique opérant la desserte des points de vente du groupement, se porter garant du paiement des créances par ses membres, apporter une caution bancaire pour ses membres, éditer des catalogues mettant en avant les produits Valéo Vision et assurer la distribution de ses catalogues chez les utilisateurs finaux de ces produits, mettre en vente des promotions commerciales sur l'ensemble des points de vente, assurer le suivi des politiques de publicité Valéo Vision sur les lieux de vente, organiser d'une manière suivie des soirées techniques pour les utilisateurs des produits ainsi que des programmes et des formations continues pour les forces de ventes ce que font les sociétés Auto distribution, Group Auto et Copafa qui adhèrent à son réseau en qualité de groupement.

La société SMEA répond qu'elle remplit les conditions requises pour adhérer au réseau de distribution en qualité de groupement à l'exception toutefois du cautionnement de ses membres et de l'édition d'un catalogue qui ne sont d'ailleurs pas exigées des autres groupements.

Sur le fond du litige :

Considérant qu'il résulte de la correspondance échangée entre les parties au début de l'année 1993 que la société Valéo Vision a offert à la société SMEA qui distribue ses produits depuis plusieurs années, d'adhérer à son réseau de distribution sélective en qualité de distributeur agréé aux conditions commerciales suivantes pour l'année 1993 : remise de base de 48 % sur le tarif public des produits qui peut être porté à 54 % sous réserve de réaliser des objectifs déterminés par famille de produits outre une remise supplémentaire de 1 % pour l'action commerciale et de 1 % pour la qualité du stock ;

Considérant que la société SMEA a refusé ces propositions au motif que la remise proposée est bien inférieure à celle de 59 % qui lui avait été accordée antérieurement et qu'elle faisait l'objet de pratiques discriminatoires par rapport à d'autres distributeurs nationaux ;

Que la société SMEA a réclamé en vain, à la société Valéo Vision ses conditions générales de vente comportant les grilles quantitatives par famille de produits et les grilles de remise par chiffre d'affaires ;

Considérant que la société Valéo Vision indique qu'elle a organisé un réseau de distribution en agréant des distributeurs et trois groupements (Auto distribution, Groupauto et Copafa) qui répondent à ses critères de groupement définis ci-dessus et qui bénéficient de conditions préférentielles par rapport aux distributeurs ;

Qu'effectivement, par courriers du 23 février 1993 et du 6 avril 1993 la société Valéo Vision a proposé à Auto distribution et à Groupauto de maintenir ses conditions de ventes antérieures soit pour Auto distribution une remise de 57 % ainsi qu'une prime d'entrepôt de 7,6 % et pour Groupauto une remise de 56 % ainsi qu'une prime d'entrepôt de 6 % et une prime d'activité commerciale de 4 %.

Que la société Valéo Vision ne justifie pas de ses conditions de vente accordées à la société Copafa ;

Considérant que Michel Perruchot expert comptable de la société SMEA atteste que cette société a réalisé 75 % de son chiffre d'affaires auprès d'un réseau de 91 adhérents répartis sur 68 départements du territoire national en 1993 et 80 % de son chiffre d'affaires auprès d'un réseau de 160 adhérents répartis sur l'ensemble du territoire national en 1995 et que tous les adhérents ont signé le contrat type d'adhésion ;

Qu'il résulte de ce contrat type que la société SMEA dispose d'une plate forme de stockage de 4 000 m² et qu'elle est ducroire des sommes dues aux fournisseurs par les adhérents ;

Qu'en outre la société SMEA établit qu'elle a organisé des réunions techniques de ses adhérents ;

Considérant que la société Valéo Vision ne rapporte pas la preuve que ses autres critères qualitatifs sus énoncés sont remplis par les autres sociétés qu'elle a admis dans son réseau de distribution en qualité de groupement ;

Qu'elle ne peut donc sérieusement les exiger de la société SMEA ;

Qu'en outre, il convient de relever qu'en 1992 les sociétés Auto distribution, SMEA et Groupauto ont réalisé avec la société Valéo Vision un chiffre d'affaires s'élevant respectivement aux sommes de 7.500.000 F, 4.061.000 F et 1.200.000 F.

Qu'en 1993, la société SMEA a obtenu de la Banque de France une cotation G 37 puis F 37 soit les meilleures cotes de crédit et de paiement ;

Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société Valéo Vision s'est rendue coupable de pratiques discriminatoires prohibées par l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en refusant, sans motif valable, d'agréer la société SMEA dans son réseau en qualité de groupement et en lui proposant des remises bien inférieures à celles consenties à deux de ses groupements;

Considérant que compte tenu du chiffre d'affaires de 4.061.000 F HT réalisé par la société SMEA avec la société Valéo Vision en 1992, de la remise maximale de 56 % qui lui a été offerte pour l'année 1993 en fonction des objectifs à atteindre dont il n'est pas démontré qu'ils sont irréalistes eu égard aux résultats antérieurs et de la remise maximale moyenne de 65,3 % accordée à deux des groupements, depuis avril 1993, la Cour dispose des éléments suffisants pour fixer à la somme de 1.400.000 F le préjudice subi par la SMEA du 1er avril 1993 jusqu'à ce jour ;

Considérant qu'il y a leu d'ordonner à la société Valéo Vision de justifier de ses conditions de vente accordées à ses groupements et d'offrir à la société SMEA des conditions se situant dans le cadre de celles consenties aux groupements, et ce, dans le mois de la signification du présent arrêt sous peine d'une astreinte provisoire définie dans le dispositif de cet arrêt ;

Qu'il échet d'ordonner la publication du présent arrêt en réparation du préjudice moral subi par la société SMEA ;

Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause il paraît inéquitable de laisser à la charge de la société SMEA ses frais non répétibles exposés en première instance et en appel à concurrence de la somme de 20.000 F.

Par ces motifs : LA COUR : Infirmant partiellement le jugement déféré, Condamne la société Valéo Vision à payer à la SA Matériel électrique automobile la somme de 1.400.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC. Ordonne à la société Valéo Vision de communiquer à la SA Matériel électrique automobile ses conditions actuelles de vente accordées à ses groupements et d'offrir à la SA Matériel électrique automobile des conditions de vente se situant dans le cadre de celles consenties aux groupements et ce, dans le mois de la signification du présent arrêt sous peine d'une astreinte provisoire de 1.500 F par jour de retard pendant 3 mois, passé lequel délai, il sera à nouveau fait droit ; Ordonne la publication du présent arrêt dans la revue Distribution automobile aux frais de la SA Valéo Vision dans la limite de 15.000 F HT. Condamne la SA Valéo Vision aux dépens de première instance et d'appel, Et pour ceux d'appel, accorde un droit de recouvrement direct de la SCP Duboscq Pellerin, avoués.