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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 2, 25 juin 1998, n° 1941-97

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pompes Funèbres du Sud-Est (SA), Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes

Défendeur :

Centre Funéraire Rolet (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Littner (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

M. Jacquin, Mme Arnaud

Avoués :

Me Gerbay, SCP Avril-Hanssen

Avocats :

Mes Duminy, Storelli.

T. com. Mâcon, prés., du 24 déc. 1997

24 décembre 1997

Exposé de l'affaire :

La société Pompes Funèbres du Sud-Est exerce à Mâcon une activité d'entrepreneur de pompes funèbres, son magasin étant implanté 41, rue de Lyon et sa chambre funéraire était située Impasse des Verchères.

Le Centre Funéraire Rolet exerce une activité identique 55, rue Victor Hugo à Mâcon. Il gère en outre le crématorium de la commune de Sance, 1, rue du 19 mars 1962. Il reçoit à ce titre des commandes d'entreprises de Pompes Funèbres concurrentes lorsque les obsèques prévoient l'incinération.

La société Pompes Funèbres du Sud-Est, soutenant que le Centre funéraire Rolet exerçait à son encontre des pratiques discriminatoires a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Mâcon, qui a rendu deux ordonnances par lesquelles :

- le 25 juillet 1997, sur la demande d'interdiction de refuser de satisfaire à ses demandes de crémation, il s'est déclaré incompétent au motif que la gestion du crématorium constituait une contestation sérieuse.

- le 24 décembre 1997, sur la demande d'interdiction de pratiquer à son égard des tarifs discriminatoires, il a rejeté les réclamations de la société demanderesse et l'a condamnée à payer au Centre Funéraire Rolet la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts.

La SA Pompes Funèbres du Sud-Est a fait appel de ces deux décisions. Elle soutient :

- que le Centre Funéraire Rolet, depuis le mois de juillet 1997, oppose un refus systématique à toutes ses commandes de crémation, ce qui constitue une pratique discriminatoire au sens de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et un trouble manifestement illicite auquel il convient de mettre fin,

- que la société intimée gère le crématorium dans des conditions irrégulières en l'absence de convention avec la commune,

- que le comportement du Centre Funéraire Rolet s'inscrit dans le cadre d'un litige ancien qui a déjà donné lieu à de nombreuses décisions,

- que les prix discriminatoires, démontrés par l'enquête de la DDCCRF, sont pratiqués depuis le début de l'année 1997 et que la remise de 275 F accordée aux autres clients ne correspond à aucune contrepartie,

- qu'elle a dû engager deux instances car l'enquête de la DDCCRF sur la pratique des prix discriminatoires était en cours au moment de la première assignation, ce qui rend injustifiée la condamnation à dommages-intérêts prononcée contre elle.

Elle renouvelle l'ensemble de ses demandes et réclame au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile les sommes de 10 000 F et de 15 000 F.

La DDCCRF est intervenue dans chaque dossier conformément à l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elle considère que les constatations faites lors de son enquête démontrent que le Centre Funéraire Rolet a exercé des pratiques tarifaires discriminatoires et elle demande à la Cour de faire cesser au besoin, sous astreinte, le refus de prestations opposé à la société appelante.

La SA Centre Funéraire Rolet répond :

- que l'action s'inscrit dans le contexte d'un véritable harcèlement judiciaire,

- que le crématorium est exploité de façon licite mais que, si un doute existait, la juridiction administrative devrait être saisie pour statuer sur cette question préjudicielle,

- que la société appelante, qui serait bien inspirée de se doter des équipements nécessaires en matière de crémation, a pensé pouvoir pousser le Centre Funéraire à la faute mais que son argumentation devra être examinée par le juge du fond,

- que la décision d'incompétence du 25 juillet 1997 doit être confirmée,

- qu'aucune pratique de prix discriminatoire n'est démontrée, la remise critiquée correspondant à une participation aux frais de transport pour les clients éloignés, ce qui doit conduire à confirmer l'ordonnance du 24 décembre 1997 ;

Elle réclame à titre de dommages-intérêts les sommes de 30 000 F et 40 000 F et, en remboursement de ses frais irrépétibles, celles de 15 000 F et 20 000 F.

Dans ses dernières écritures, la société appelante répond qu'aucun harcèlement judiciaire ne peut lui être imputé alors que les procédures antérieures ont été engagées par le Centre Funéraire Rolet. Elle maintient que les pratiques discriminatoires dénoncées ont été démontrées par l'enquête de la DDCCRF et explique qu'elle n'avait invoqué les conditions de gestion du crématorium qu'à titre d'information.

Motifs de la décision :

1- Sur la jonction :

Attendu qu'il existe entre les instances un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les faire juger ensemble ;

2- Sur la compétence du juge des référés :

Attendu que l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 permet au président de la juridiction saisie d'enjoindre en référé la cessation des agissements en cause ou d'ordonner toute autre mesure provisoire ;

Mais attendu qu'aucune action au fond n'ayant été engagée la SA Pompes Funèbres du Sud-Est a saisi à juste titre le juge des référés de droit commun (Comm. 17 juillet 1990, Bull. IV, n° 220) ;

Attendu que l'article 873 du nouveau code de procédure civile permet au juge des référés, même en l'absence d'une contestation sérieuse, de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Attendu que le juge des référés s'est donc déclaré à tort incompétent le 25 juillet 1997 en raison d'une contestation sérieuse ;

Qu'il doit au surplus être relevé que les modalités de fonctionnement du crématorium sont sans intérêts, en l'espèce, la société appelante ne tirant aucune conséquence juridique des observations présentées sur ce point ;

Qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance du 25 juillet 1997 ;

3- Sur la pratique de prix discriminatoires :

Attendu que la DDCCRF qui est intervenue conformément aux dispositions de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a procédé à une enquête approfondie, au cours de laquelle elle a procédé à l'examen de toutes les factures émises du 1er août 1996 au 29 avril 1997 ;

Qu'elle a ainsi constaté :

- pour la période du 1er août au 18 septembre 1996, que sur les 33 crémations réalisées au tarif de base, 27 ont été facturées au prix de 2 610 F et 6 au prix de 2 692 F, ces dernières ayant été réalisées exclusivement pour le compte des Pompes Funèbres du Sud-Est,

- pour la période du 23 septembre 1996 au 29 avril 1997 que 198 crémations ont été réalisées, que 91 % ont été facturées au prix de 2 610 F tandis que 9 % (16 crémations) ont été facturées au prix de 2 885 F.

Attendu que 16 crémations facturées à un prix plus élevé l'ont été aux Pompes Funèbres du Sud-Est ou à des sociétés qui lui étaient affiliées ou étaient en concurrence directe avec le Centre Funéraire Rolet ;

Attendu que l'explication donnée par M. Rolet selon laquelle une remise de 275 F serait pratiquée pour participation au transport des familles ou des entreprises venant de loin n'est pas valable ;

Qu'en effet si cette explication était exacte, le motif de la remise figurerait clairement sur les factures, ce qui n'est pas, la formule obscure " participation CFR/arrivée de corps " n'ayant aucune signification ;

Qu'au surplus une telle pratique serait elle-même discriminatoire ;

Que l'examen des factures ne confirme pas cette explication puisque par exemple une facture établie au nom des Pompes Funèbres du Sud Est de Bourg-en-Bresse ne comporte pas cette remise alors qu'un crématorium existe dans cette commune ; que d'autres factures font état de la remise alors qu'il n'y a pas éloignement ;

Attendu qu'il apparaît en réalité que le tarif habituel était fixé à 2 610 F tandis qu'un tarif plus élevé était appliqué aux Pompes Funèbres du Sud-Est;

Qu'un tel comportement s'explique par l'importance du contentieux opposant les deux sociétés depuis plusieurs années et se traduira en définitive par le refus de toute prestation ;

Attendu que cette explication ne le rend pas licite puisqu'il est contraire à l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 interdisant la pratique de prix discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles, en créant de ce fait, pour le partenaire en cause, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ;

Qu'en effet la prestation fournie pour 2 885 F est la même que celle facturée à 91 % des clients 2 610 F, de sorte qu'aucune contrepartie réelle ne justifie un prix différent; que ce prix majoré entraîne à l'évidence un désavantage dans la concurrence;

Qu'il y a lieu de réformer l'ordonnance du 24 décembre 1997 qui avait statué au vu d'un nombre de factures restreint et avant que ne soient connues les conclusions de l'enquête de la DDCCRF ;

Qu'il sera fait interdiction au Centre Funéraire Rolet de poursuivre sa pratique de prix discriminatoire, sous astreinte ;

4- sur le refus de vente :

Attendu que le Centre Funéraire Rolet ne conteste pas avoir en définitive à partie du mois de juillet 1997, refusé de satisfaire les commandes de crémation passées par les Pompes Funèbres du Sud-Est ;

Que ce refus concerne notamment les demandes d'incinération des corps de M. Henri Sugier (7 juillet) et Jean-Marie Brassard (15 juillet) ;

Que les témoins Alain Chavant et Thierry Sanchez ont affirmé que les employés du Centre Funéraire Rolet avaient fait état des consignes de leur employeur de refuser toute demande de crémation venant des Pompes Funèbres du Sud-Est ;

Que l'huissier Patricot a accompagné M. Lefevre le 15 juillet 1997 et a rapporté la déclaration de M. Rolet invitant la société Pompes Funèbres du Sud-Est à " s'adresser à l'entreprise de Viriat, avec laquelle ils travaillent en priorité " ;

Attendu que le refus de vente ou de prestation de services entre professionnels peut, depuis la loi du 1er juillet 1996, encore engager la responsabilité de son auteur s'il a un caractère discriminatoire;

Attendu que le refus opposé au Centre Funéraire Rolet constitue une pratique discriminatoire et injustifiée générant un désavantage dans la concurrence au préjudice de la société appelante;

Qu'il doit donc lui être fait injonction d'y mettre fin sous astreinte;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application à la société appelante des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Que le Centre Funéraire Rolet, qui succombe, ne peut prétendre ni à dommages-intérêts ni à indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs: LA COUR, Ordonne la jonction des procédures suivies sous les numéros 1941-97 et 112-98, Infirme les ordonnances entreprises et statuant à nouveau, Dit que le juge des référés était compétent, Fait interdiction à la SA Centre Funéraire Rolet de pratiquer à l'égard de la SA Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot des prix discriminatoires au sens de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sous astreinte de 2 000 F par infraction constatée ; Lui fait interdiction, sous astreinte du même montant, de refuser de satisfaire aux demandes de crémation présentées par la SA Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot, conformément aux conditions de fonctionnement du crématorium telles que définies par son règlement intérieur du 1er août 1996, Dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts ni à indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne la SA Centre Funéraire Rolet aux dépens d'instance et d'appel avec, pour ces derniers, faculté de recouvrement direct par Me Gerbay, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.