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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 24 mars 1994, n° 92-19847

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Paris Ouest Approvisionnement (SA)

Défendeur :

Béghin-Say (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Couderette

Conseillers :

Mme Cabat, M. Bouche

Avoués :

SCP Ménard Scelle Millet, SCP Valdelièvre-Garnier

Avocats :

Mes Curt, de Roux

T. com. Paris, 12e ch., du 21 juill. 199…

21 juillet 1992

La société Paris Ouest Approvisionnement (Parouest) s'approvisionne depuis 1989 en produits de sucrerie auprès de la société Beghin Say. A partir d'avril 1991 elle a augmenté considérablement le volume de ses achats. En mai 1991 Beghin Say a limité l'encours emportant règlement à 30 jours de la date de la facture à 450 000 F. Brusquement, suite à une commande du 14 juin pour livraison le 19, la société Beghin Say, prenant prétexte de ce que Parouest n'avait plus dans sa clientèle le groupe Leclerc, exigeait par télex du 18 juin un paiement comptant avant livraison moyennant un escompte de 1,75 %. Parouest s'est exécuté le 20 juin et la livraison a eu lieu le 22 juin. Un incident analogue s'est produit à l'occasion d'une commande du 25 juin et a été réglé dans les mêmes conditions. Le 6 août 1991 Parouest informait Beghin Say qu'elle avait passé de nouveaux accords avec le groupe Auchan et dès le 22 août Beghin Say lui rétablissait ses conditions générales de vente avec paiement à 30 jours.

Par exploit du 29 août 1991 la société Parouest a fait assigner la société Beghin Say en invoquant à son encontre une pratique discriminatoire contraire à l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 aux fins de paiement de dommages-intérêts et d'indemnité en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile outre publication de la décision à intervenir.

La société Beghin Say a contesté toute pratique discriminatoire de sa part et formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité au titre de l'article 700.

Par jugement du 21 juillet 1992, le Tribunal de commerce de Paris a estimé qu'il n'y avait pas eu de la part de Beghin Say de pratique discriminatoire, la modification par le vendeur de ses conditions de paiement étant justifiée par l'accroissement des risques d'impayés du fait de la disparition du client Leclerc et a débouté la société Parouest de l'ensemble de ses demandes.

Il a également débouté la société Beghin Say de sa demande de dommages-intérêts en lui allouant une indemnité de 10 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

La société Parouest a été condamnée aux dépens.

Parouest a régulièrement en la forme interjeté appel de cette décision.

Elle reprend les fins de sa demande initiale et sollicite 100 000 F de dommages-intérêts, 20 000 F au titre de l'article 700 et la publication de l'arrêt dans trois journaux de son choix aux frais de Beghin Say.

La société Beghin Say conclut pour sa part à la confirmation du jugement.

Considérant que l'article 36 § 1er, sur la base duquel la société Parouest a fondé son action, stipule qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait de pratiquer à l'égard d'un partenaire économique ... des délais de paiement discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant pour ce partenaire un désavantage ou un avantage dans la concurrence.

Qu'il est constant que sous réserve du dépassement d'un encours limité à 450 000 F lequel n'est pas invoqué en l'espèce, Beghin Say appliquait à Parouest en ce qui concerne les délais de paiement ses conditions générales de vente stipulant que les factures étaient réglables à 30 jours nets de leur date.

Que Parouest fait grief à Beghin Say d'avoir institué à son égard des pratiques discriminatoires en exigeant pour ses commandes des 14 et 25 juin 1991 un règlement avant livraison.

Considérant que Beghin Say prétend justifier son attitude en faisant valoir qu'eu égard à l'importance des commandes de Parouest il pouvait avoir des doutes sur sa solvabilité compte tenu de la disparition de l'enseigne Leclerc dans sa clientèle, ce que les premiers juges ont admis.

Qu'il apparaît sans doute que les craintes sur la solvabilité de Parouest pouvaient être justifiées à la date du 18 juin 1991, maisque la société Beghin Say ne pouvait modifier unilatéralement et brutalement ses conditions de paiement à la suite des commandes dont s'agit sans avoir pris la précaution d'informer au préalable son acheteur en lui accordant un délai raisonnable pour se retourner, ce qu'elle n'a pas fait.

Que l'accord (sic) du 3 mai 1991 invoqué à ce propos par Beghin Say n'a rien à voir avec la situation qui est apparue au mois de juin, car il visait seulement les commandes dépassant l'encours de 450 000 F, ce qui est sans rapport avec la situation objet du présent litige.

Considérant queBeghin Say soutient d'autre part que l'attitude qui lui est reprochée ne peut engager sa responsabilité puisqu'elle a assorti sa modification des conditions de paiement d'une contrepartie réelle en accordant à son acheteur un escompte de 1,75 %.

Mais que cette contrepartie ne compense pas pour l'acheteur l'avantage d'un paiement à 30 jours après livraison, alors qu'on lui demande de payer désormais avant livraison.

Considérant que dans ces conditions la société Beghin Say a bien créé pour la société Parouest, qui avait adhéré contractuellement à ses conditions générales de vente, un désavantage dans la concurrence et que,contrairement à la décision des premiers juges, il y a eu de sa part pratique discriminatoire l'obligeant à réparer le préjudice qu'elle a causé à son partenaire.

Considérant que ce préjudice doit se déterminer eu égard uniquement aux pertes financières ou commerciales subies du fait de la pratique discriminatoire.

Que la société Parouest ne réclame plus devant la Cour une indemnité qu'elle s'engageait à reverser à l'UNICEF, ce qui serait assurément sans rapport avec son propre préjudice économique.

Qu'elle a dû par suite de la pratique discriminatoire suivie à son égard par Beghin Say payer quelques jours avant la livraison deux factures d'importance modeste qu'elle pouvait légitimement envisager de régler 30 jours après, d'où un préjudice financier réel mais partiellement compensé par l'escompte de 1,75 %.

Que par suite de l'attitude de son fournisseur elle a été contrainte de livrer ses propres clients avec quelques jours de retard, d'où une atteinte à son image de marque vis à vis de sa propre clientèle sans qu'il soit démontré ni même prétendu que cette atteinte lui ait fait perdre des clients.

Considérant au vu de ces éléments que le préjudice souffert par Parouest dont Beghin Say doit répondre est un préjudice des plus limités, dont la victime elle-même n'est pas parvenue à cerner exactement les contours puisqu'elle réclamait 50 000 F de dommages-intérêts à l'origine avant de porter sa réclamation à 100 000 F devant la Cour.

Qu'au vu des éléments d'appréciation qui lui sont fournis la Cour évaluera ce préjudice au chiffre de 10 000 F.

Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause il y a lieu d'ordonner à titre de dommages-intérêts supplémentaires la publication du présent arrêt.

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Parouest les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer en raison de la procédure et qu'il convient de lui allouer en compensation une indemnité de 5 000 F.

Considérant par contre que la société Beghin Say, qui succombe, ne peut prétendre à une indemnité du même chef ; et sera condamnée aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel régulier en la forme, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 21 juillet 1992, et statuant à nouveau, Dit que la société Beghin Say a exercé une pratique discriminatoire à l'égard de la société Parouest en modifiant unilatéralement et sans préavis ses conditions de vente. La condamne à payer à la société Parouest une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et une autre de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Déboute les parties de tous autres chefs de demandes plus amples ou contraires à la motivation du présent arrêt. Condamne la société Beghin Say aux dépens de première instance et d'appel et en ce qui concerne ces derniers autorise la SCP Menard Scelle Millet, titulaire d'un office d'avoué, à poursuivre le recouvrement de ceux qu'elle a exposés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.