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Décisions

CA Orléans, ch. civ. sect. 1, 11 septembre 1991, n° 2062-90

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Charpentier publicité (SARL)

Défendeur :

Havas régies (SA), La République du Centre (Sté), Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lardennois

Conseillers :

M. André, Mme Martin-Pigalle

Avoués :

SCP Laval, Me Duthoit

Avocats :

Mes Moreau, Lepretre.

T. com. Orléans, prés., du 27 juill. 199…

27 juillet 1990

LA COUR : - Statuant sur l'appel régulièrement formé par la SARL Charpentier Publicité d'une ordonnance de référé rendue le 26 juillet 1990 par le Président du Tribunal de commerce d'Orléans qui l'a reçue en sa demande mais l'a déclarée en l'état non fondée et l'en a déboutée.

La société Charpentier Publicité a pour objet l'achat et la vente d'espaces publicitaires et le conseil en publicité ;

Le 14 mai 1990, elle a fait assigner la société Havas Régies aux fins de remise par celle-ci du barème de prix concernant la publicité dans La République du Centre et notamment du tarif dégressif dont elle ferait bénéficier ses clients en fonction de leur notoriété ou de l'importance de leurs commandes.

Par ordonnance du 14 juin 1990, le Président du Tribunal a, avant dire droit, ordonné la mise en cause de la République du Centre. Sur quoi, la décision déférée a été rendue.

Devant la Cour, la société Charpentier soulève la nullité de cette ordonnance au motif qu'elle aurait été rendue par un magistrat autre que celui devant lequel se seraient déroulés les débats et sollicite qu'il soit fait droit à ses demandes tendant à la condamnation sous astreinte définitive de 2 000 F par jour de la société Havas Régies et de la République du Centre à lui faire connaître les conditions de remises et avantages consentis à leurs clients et les critères en fonction desquels ces remises sont consenties, ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Faisant observer que l'existence des remises est incontestable et que le pourcentage dégressif est en rapport avec l'importance du volume d'achats commandés, elle soutient que l'attitude des intimés qui se refusent à communiquer tout élément d'information et veulent lui imposer une négociation annonceur par annonceur est contraire aux dispositions des articles 28 et 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que le juge des référés, en la déboutant a méconnu la portée de ce dernier article, bien qu'il s'agisse d'un trouble manifestement illicite. Elle fait valoir par ailleurs que ni la spécificité de la presse ni ses prétendues contraintes techniques ne peuvent justifier qu'il soit fait exception à ces règles et que, en toute hypothèse, ledit article 33 impose que les critères quantitatifs et qualitatifs de rabais et de ristournes soient portés à la connaissance du client afin qu'il puisse connaître la base de négociation. Enfin, elle remarque que le fait de ne pas formaliser ces avantages ne saurait permettre de s'exonérer de ladite obligation.

La société La République du Centre conclut au rejet des prétentions de la société Charpentier Publicité à la confirmation de l'ordonnance et dans ses premières écritures, sollicite la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle demande à la Cour :

1) de constater qu'il n'existe pas et n'a jamais existé de barème dégressif

- qu'elle n'est pas en mesure compte tenu de l'absence de preuves apportées par Charpentier Publicité d'apprécier l'avantage ou les avantages qu'elle serait susceptible de retirer de son intervention sur le marché publicitaire local,

- que l'avis du conseil de la concurrence publié le 26 décembre 1987, consacre le principe des pratiques de négociation,

2) de lui donner acte de ce qu'elle est disposée à négocier avec Charpentier Publicité dans le cadre habituel de la politique commerciale et dans le respect de ses intérêts vitaux,

3) de constater qu'il existe des contestations sérieuses empêchant le juge des référés de se prononcer notamment quant à la qualité de centrale d'achat que s'attribue Charpentier Publicité et quant au refus de prendre en compte la spécificité de la presse quotidienne régionale et qu'en toute hypothèse il n'est pas de la compétence de celui-ci d'apprécier s'il y a ou non pratique discriminatoire.

Havas Régies conclut également à la confirmation de l'ordonnance déférée et réclame la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Reprenant l'argumentation de la République du Centre elle fait valoir qu'il existe des contestations sérieuses empêchant le juge des référés de se prononcer et notamment argue de l'inexistence de barème dégressif.

La direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes est intervenue pour la première fois en cause d'appel. Invoquant l'enquête qu'elle a réalisée à la suite de la plainte de M. Charpentier, et visant à la fois les dispositions des articles 56 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 elle demande à la Cour :

- de constater que le comportement d'Havas Régies et par là même celui de la République du Centre constitue une pratique discriminatoire au sens de l'article 36-1 de l'ordonnance susvisée à l'égard de l'ensemble de la clientèle et par voie de conséquence à l'égard de la société Charpentier,

- de dire que le refus de prendre en compte la globalité des chiffres d'affaires des annonceurs détenus en portefeuille par la société Charpentier constitue également une pratique discriminatoire au sens de l'article 36-1 de l'ordonnance par référence au marché national de la publicité.

Sur cette intervention, la République du Centre et Havas Régies ont demandé qu'il soit enjoint à cette direction de produire aux débats un rapport d'enquête faisant apparaître clairement le nom des annonceurs et intermédiaires et auquel seraient jointes les annexes absentes du rapport antérieurement communiquées par celle-ci. A défaut, ils ont sollicité que cette pièce soit rejetée des débats par application de l'article 15 du nouveau code de procédure civile. Ils concluent par ailleurs à l'irrecevabilité des demandes de la direction régionale de la concurrence aux motifs :

- qu'elles sont nouvelles car à aucun moment formulées en première instance ni formées par Charpentier Publicité,

- qu'elles n'ont pas le même objet que celles de cette société,

- que l'intervention de cette administration a lieu dans le cadre de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui n'est qu'accessoire et ne l'autorise par à formuler des demandes autres que celles des parties principales et alors qu'aucune instance au fond n'est engagée,

- qu'en toute hypothèse, lesdites demandes n'entrent pas dans le pouvoir du juge des référés car elles nécessitent un large débat au fond,

Sur ce,

En la forme,

Attendu que la société Charpentier publicité n'établit pas comme elle le soutient que le jugement ait été rendu par un magistrat autre que celui devant lequel se sont déroulés les débats ; qu'en toute hypothèse, à supposer même que le jugement soit nul, il appartient à la Cour, ce par suite de l'effet dévolutif de l'appel de statuer sur le fond sans renvoi devant le premier juge.

Sur l'intervention de la Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes :

Attendu que, aux termes de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Ministre chargé de l'économie ou son représentant peut devant les juridictions civiles ou pénales déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience ; qu'il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête.

Attendu que si cet article permet au Ministère de l'Economie représenté par la Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes d'intervenir dans une instance mettant en jeu l'ordonnance du 1er décembre 1986 et ceci même pour la première fois en cause d'appel, il ne l'autorise pas pour autant à faire constater, par le juge des référés saisi selon les règles de droit commun et sans qu'aucune instance au fond ne soit engagée, l'existence de pratiques discriminatoires au sens de l'article 36-1 de ladite ordonnance alors même que la demande de la partie principale au procès ne tend pas à cette fin;

Qu'il convient en conséquence de donner acte au Ministère de l'Economie de son intervention mais de déclarer irrecevables ses demandes tendant à ce qu'il soit jugé que le comportement de Havas Régies et de la République du Centre constitue une pratique discriminatoire.

Attendu par ailleurs que s'il est vrai que l'administration sous le prétexte du " secret des affaires " ne saurait échapper aux dispositions des articles 15 et 16 du nouveau code de procédure civile garantissant le principe du contradictoire et fonder son argumentation sur des pièces qu'elle se refuse à communiquer, aux autres parties, en revanche, il n'y a pas lieu d'écarter des débats son rapport d'enquête dès lors que les intimés qui en sollicitent le rejet l'utilisent toutefois tel quel à l'appui de leur argumentation tendant au débouté des prétentions de la société Charpentier Publicité.

Sur les prétentions de la société Charpentier Publicité :

Attendu que la société Charpentier Publicité créée par un ancien employé de Havas Régies, se proposait, en qualité de centrale d'achats d'espaces, d'acquérir des espaces publicitaires en nombre important afin de faire bénéficier ensuite les annonceurs de prix plus avantageux que ceux qu'ils auraient pu obtenir à titre individuel.

Que ladite société en sa qualité de professionnel de la publicité ne peut invoquer les dispositions de l'article 28 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, concernant le seul consommateur ; que, en revanche, elle est fondée à solliciter l'application de l'article 33 de ladite ordonnance qui oblige tout producteur, grossiste ou importateur à communiquer à tout revendeur qui en fait la demande son barème de prix et ses conditions de vente, celles-ci comprenant les conditions de règlement et, le cas échéant, les rabais et ristournes, sous réserve toutefois que cette obligation ne s'impose qu'aux professionnels qui ont établi un tel barème.

Attendu que Havas Régies et la République du Centre sont liées par un contrat de régie locale aux termes duquel celle-ci a confié à celle-là en exclusivité la charge de prospecter, recueillir et promouvoir la publicité locale des numéros du quotidien La République du Centre ; qu'il a été prévu dans la convention que Havas devait traiter avec la clientèle aux conditions du tarif établi par la République du Centre et que pour les affaires ne pouvant être traitées à ce tarif, ladite agence devait s'entendre au préalable avec la direction du journal sur les conditions spéciales à appliquer.

Attendu que, dans le cadre de son activité, la société Charpentier Publicité a sollicité de la société Havas Régies la communication du barème de prix relatif à la publicité dans la République du Centre ainsi que la confirmation des dégressifs pratiqués ; que ladite société lui a adressé les tarifs publics 1990 en lui indiquant que l'usage était d'appliquer des dégressifs client par client avec l'autorisation préalable du support ;

Attendu que s'il est constant que des rabais très importants allant parfois jusqu'à 55 % du tarif son accordés, la société Charpentier ne démontre pas, comme elle le prétend à l'appui de ses prétentions, que ceux-ci soient fixés en fonction de l'importance du volume d'achats commandés ; qu'il résulte bien au contraire de l'enquête à laquelle la Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a procédé une absence de corrélation entre les taux de remise et l'importance de l'annonceur en terme de chiffre d'affaire et plus généralement l'inexistence de tout critère objectif quant à l'octroi d'avantages par rapport au tarif public.

Attendu que s'il est vrai que son avis des 15 et 18 décembre relatif à la publicité, le conseil de la concurrence a indiqué que, en cette matière, l'objet des dispositions de l'article 33 était de fournir à la négociation une base objective sur le plan économique à charge pour les partenaires de s'en écarter le cas échéant en fonction de la nature particulière des services qu'ils rendent et pour les agents économiques qui ne sont pas parties à cette transaction de se référer à cette base pour apprécier l'étendue de la discrimination dont ils se tiendraient pour victimes, il n'en demeure pas moins que la République du Centre et Havas Régies ne peuvent être tenues de communiquer les barèmes dégressifs qui n'ont jamais été établis, les ristournes étant accordées à l'issue d'une négociation avec le client à partir du tarif officiel en fonction de critères non précisément définis en l'état;

Que dans ces conditions c'est à bon droit que le premier juge a débouté la société Charpentier de ses prétentions ; qu'il convient de confirmer la décision déférée sans qu'il y ait lieu de s'attarder aux autres demandes de constat des intimés.

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties des frais non compris dans les dépens ; que leurs prétentions au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent être rejetées.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel, Rejette l'exception de nullité soulevée par la société Charpentier Publicité, Donne acte au Ministère de l'Economie représenté par la Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de son intervention mais déclare irrecevables ses demandes tendant à ce qu'il soit constaté l'existence de pratiques discriminatoires, Confirme la décision déférée, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, Condamne la SARL Charpentier Publicité aux dépens, Accorde à Maître Duthoit, avoué, le droit prévu à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.