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Décisions

CA Douai, 2e ch. civ., 4 décembre 1986, n° 4-86

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Blot (SARL)

Défendeur :

Sakakini Penor (SA), Vanrenterghem (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Caillier

Conseillers :

M. Besse, Mme Lemerre

Avoués :

SCP Levasseur Castille, Me Masurel

Avocats :

Mes Jourdan, Debavelaere.

TGI Avesnes-sur-Helpe, du 26 nov. 1985

26 novembre 1985

Faits et procédure de première instance :

Suivant assignation du 18 février 1980, la société Sakakini Penor a fait appeler la société Blot devant le Tribunal de grande instance d'Avesnes sur Helpe statuant commercialement, afin qu'il soit constaté qu'elle se trouve en état de cessation des paiements, et que soit prononcée la liquidation des biens, la société requérante demandant subsidiairement le paiement de 427 320 F, avec intérêts judiciaires à compter de l'échéance des effets acceptés, et pour le surplus à compter de la demande, outre 10 000 F à titre de dommages-intérêts et 2 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Blot a été déclarée en état de règlement judiciaire par jugement du Tribunal de grande instance d'Avesnes sur Helpe statuant commercialement, en date du 20 janvier 1981, et le Tribunal a désigné expert afin de rechercher les pratiques suivies entre cette société et la société Sakakini Penor, son fournisseur de produits pétroliers, et dire si les infractions éventuelles à la réglementation ont entraîné pour la société Blot des difficultés de trésorerie et une perte de clientèle, en chiffrant le montant du préjudice éventuel.

La société Sakakini Penor a produit au passif à titre privilégié pour 108 832,50 F et pour 318 487,50 F à titre chirographaire.

Ayant été admise pour 1 F à titre provisionnel, elle a élevé une réclamation à l'état des créances, en date du 21 août 1981.

Le rapport d'expertise a été déposé le 18 mars 1985, et par jugement du 26 novembre 1985, le Tribunal a admis la société Sakakini Penor à l'état des créances de la société Blot pour les sommes demandées, la disant mal fondée à plus prétendre en l'état du concordat homologué le 23 avril 1982 et de la présente admission, mettant hors de cause Me Varenterghem, syndic et disant la société Blot mal fondée en sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts, enfin condamnant celle-ci à payer à la société Sakakini Penor la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Blot a relevé appel du jugement dont il s'agit.

Conclusions des parties en appel :

La société indique qu'elle a réglé à la société Sakakini Penor les causes de l'admission à l'état des créances, conformément au concordat homologué, de sorte que le litige ne subsiste que du chef des dommages-intérêts qu'elle réclame en raison des pratiques discriminatoires de la part de la société Sakakini Penor.

Elle soutient qu'en fait, la société Sakakini Penor la faisait bénéficier de conditions de paiement à 60 jours fin de mois, sur facture, et qu'en février 1979 elle a ramené ce délai à 30 jours fin de mois, puis en juillet 1979 à 30 jours nets, et le 17 septembre 1979 à 15 jours nets de livraison par traite non acceptée, provoquant de sa part un refus de payer certaines factures, lequel a amené la société Sakakini Penor à cesser ses livraisons, reprises en décembre 1979 pour un tonnage inférieur aux références dont elle-même disposait en application de la réglementation en vigueur pour le fuel domestique.

La société appelante fait grief au jugement d'avoir considéré que la société Sakakini Penor s'était bornée à répercuter sur ses clients les réductions de délais de paiement de ses propres fournisseurs à compter de juillet 1979, alors que dès février 1979, elle avait déjà réduit de 60 à 30 jours ses conditions de paiement.

Elle ajoute que le Tribunal a évoqué la rareté des produits pétroliers alors que ceux-ci n'ont pas manqué en quantité, et que la réglementation répond à des soucis d'économie budgétaire.

Considérant que la société Sakakini Penor a pratiqué des conditions de vente discriminatoires au mépris de l'article 37 de la loi du 27 décembre 1973, et commis à son égard une faute contractuelle, la société Blot fait valoir qu'un autre revendeur, la société Cechin, a bénéficié de meilleures conditions, au motif d'un prétendu rôle d'animateur qui ne justifie pas des conditions de vente discriminatoires, alors qu'il n'a pas diminué le prix de revient du produit vendu par la société Sakakini Penor.

Elle ajoute que la société Sakakini Penor ayant elle-même provoqué les conditions de la rupture du contrat, en est responsable, et doit réparer le préjudice causé au titre de la clientèle " produits noirs ".

Elle évalue ce préjudice à 1 000 000 F, estimant que les calculs de l'expert reposent sur des bases erronées en ce qui concerne les tarifs et délais du paiement appliqués à ses propres clients, et soulignant l'importance des frais financiers et de la valeur de la clientèle détournée par le fournisseur.

Elle demande en conséquence la réformation du jugement et la condamnation de la société Sakakini Penor à lui payer une somme de 1 000 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, 70 000 F pour résistance abusive et 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Sakakini Penor fait valoir qu'elle a réduit en 1979 les délais de règlement de ses factures à l'égard de l'ensemble de sa clientèle ainsi que l'expert a pu le constater, alors qu'elle-même se voyait imposer une importante réduction des délais de paiement par ses propres fournisseurs en raison de la crise pétrolière.

Elle se défend d'avoir pratiqué des prix discriminatoires et justifie le maintien du délai de paiement consenti à la société Cechin par la rémunération du service rendu par celle-ci, consistant dans le suivi de la clientèle personnelle de la société Sakakini Penor dans la région, service que la société Blot ne lui a jamais rendu et qui tend à alléger les charges et réduire les prix de revient du fournisseur.

La société intimée expose que 17 factures sont restées impayées par la société Blot, entre le 13 septembre et le 3 novembre 1979 pour une somme totale de 427 320 F.

Elle considère qu'elle se trouvait bien fondée à refuser la livraison du contingentement de novembre 1979, dans la mesure où la société appelante était incapable d'apurer un endettement aussi important.

Soulignant que le syndic désigné après le dépôt de bilan a établi que la société Blot était en état de cessation des paiements avant qu'elle-même ait réduit ses délais de règlement, ce qui confirme le rapport d'expertise, la société Sakakini Penor précise que la société Blot ne vivait que par l'existence de crédits de ses fournisseurs, tout en consentant à ses clients des délais de paiement trop longs.

A titre subsidiaire, la société intimée estime que l'expert a démontré que le crédit accordé par la société Blot à sa clientèle absorbait la totalité de sa marge brute, de sorte que la perte de clientèle ne lui a occasionné aucun préjudice réel.

Elle ajoute que si les factures avaient été réglées la société Blot aurait pu prétendre aux délais de paiement précédemment pratiqués, et l'incidence sur son compte d'exploitation n'aurait été que de 20 039 F, montant accepté par l'expert comme étant celui du préjudice subi à raison de la réduction des délais de règlement.

La société Sakakini Penor conclut à la confirmation du jugement, demande à la Cour de constater que le refus par le Tribunal d'accorder l'exécution provisoire pour l'admission des créances était illégal, en application du décret du 22 décembre 1967, et dire que la société Blot est redevable des intérêts échus à compter des échéances concordataires et jusqu'au jour du règlement effectif, enfin de la condamner à lui payer la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les conclusions en réplique de la société Blot, déposées le 3 novembre 1986, sont postérieures à l'ordonnance de clôture. Elles sont irrecevables comme tardives, alors qu'il n'existe aucune cause grave de nature à justifier la révocation de ladite ordonnance, laquelle n'est même pas demandée.

Me Vanrenterghem, ès qualité de syndic au règlement judiciaire de la société Blot, mis hors de cause par le jugement déféré, n'a pas constitué avoué.

Motifs et décision :

1°) Sur la créance de la société Sakakini Penor :

La société Sakakini Penor reconnaît avoir reçu début 1986 des paiements concordataires de sa débitrice dans la limite de 308 757 F à valoir sur sa créance d'un montant de 427 320 F, montant non discuté par la société Blot.

Celle-ci lui doit les intérêts au taux légal à compter des échéances concordataires et jusqu'au jour du paiement, sur la totalité de la créance.

2°) Sur la pratique de conditions de vente discriminatoires :

Le Tribunal a analysé les correspondances entre les deux sociétés et retenu justement que jusqu'en juillet 1979, la société Sakakini Penor consentait à la société Blot des délais de règlement à 30 jours fin de mois (et non à 60 jours comme le prétend sans preuve la société appelante) et que ces délais ont été successivement ramenés à 30 jours nets, le 10 juillet 1979 et à 15 jours à compter du 1er octobre 1979. Par la suite et depuis le 3 novembre 1979, un paiement comptant a été exigé à la livraison.

Le rapport d'expertise a noté que la réduction desdits délais avait eu lieu pour l'ensemble des revendeurs à la même époque, et que la société Sakakini Penor " subissait la même chose de la part de Fina ", enfin que les Etablissements Cechin à Ferrière la Grande ont continué à bénéficier d'un délai de 30 jours, car " ils ont remplacé dans l'Avesnois la société Blot dans leur rôle d'animateur ".

Dans ces conditions, la Cour estime que les premiers juges ont à bon droit considéré que la société Sakakini Penor n'avait pas enfreint les dispositions de la loi du 27 décembre 1973 qui interdit les pratiques discriminatoires, le fait d'attribuer la réglementation de la distribution des produits pétroliers à la rareté de ceux-ci plutôt qu'à des soucis d'économie budgétaire étant évidemment sans conséquence sur la régularité du comportement de la société intimée et la société Blot ne démontrant pas qu'ainsi qu'elle le prétend, l'inefficacité du service rendu par le revendeur concurrent, la société Cechin, quant à la baisse du prix de revient de la société Sakakini Penor n'aurait pas permis à cette dernière de lui maintenir les délais de paiements qu'elle a réduits pour l'ensemble de sa clientèle.

Il résulte de ce qui précède que le jugement doit être confirmé sur ce point ainsi qu'en ce qui concerne le débouté de la société Blot de sa demande en dommages-intérêts, sans qu'il y ait lieu d'examiner si la rupture du contrat, conséquence du non-paiement des factures, lui-même imputable à la société Blot, a créé pour celle-ci un quelconque préjudice.

3°) Sur l'appel incident :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société intimée les frais irrépétibles de l'appel dans la limite de 5 000 F.

La Cour constate que l'exécution provisoire s'imposant en matière de règlement judiciaire selon l'article 107 du décret du 22 décembre 1967, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a rejeté ladite mesure.

Par ces motifs, Dit irrecevables les conclusions de la société appelante déposées le 3 novembre 1986. Infirme le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire. Le confirme pour le surplus, et y ajoutant, Donne acte à la société Blot de ce qu'elle a honoré les échéances concordataires à l'égard de la société Sakakini Penor, à concurrence de 308 757 F. Condamne la société Blot à payer à la société Sakakini Penor les intérêts au taux légal sur la somme totale de 427 320 F à compter desdites échéances et jusqu'au paiement effectif, ainsi qu'une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne la société Blot aux dépens de l'appel, et autorise le recouvrement direct au profit de Me Masurel, avoué, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.