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Décisions

CA Nîmes, ch. réunies, 14 juin 1994, n° 92-2222

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ciba-Geigy (SA)

Défendeur :

Procep (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Aldemar

Conseillers :

MM. Deltel, Gerbet, Malleval, Rolland

Avoués :

Mes Fontaine, Aldebert

Avocats :

Mes Saint Esteben, Pech de la Clause, SCP Threard-Léger-Bourgeon-Meresse.

T. com. Béziers, du 24 avr. 1989

24 avril 1989

La société d'exploitation des Etablissements Chazottes, devenue en 1978 la société de Production et Commerce des Engrais et Phytos dite Procep, exerçant à Agde des activités de fabrication de produits chimiques et phytosanitaires destinés à l'agriculture, a été liée par un contrat d'agent commercial avec la société Flytox, absorbée en 1970 par la société Ciba-Geigy ; à la suite de la résiliation de cette convention à la date du 10 novembre 1965, la société Chazottes est devenue l'un des revendeurs grossistes de la société Ciba-Geigy qui lui a maintenu pour une période d'au moins cinq ans le bénéfice de ses avantages commerciaux antérieurs, consistant d'une part en une remise spéciale de 20 % s'ajoutant aux marges du revendeur régional le plus favorisé pour les nouveaux produits diffusés par la société Flytox, et d'autre part des règlements à 90 jours fin de mois, ce pour huit départements.

Certains de ces avantages commerciaux ayant été supprimés en 1975, après création en 1972 par la société Ciba-Geigy d'agences décentralisées, la société Chazottes déposait le 16 février 1977 contre elle une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Béziers pour refus de vente, pratiques discriminatoires du prix et refus de communication à un revendeur de barèmes de prix et de conditions de vente ; cette plainte, après deux expertises comptables, aboutissait à une ordonnance de non-lieu de la Chambre d'Accusation de la Cour d'appel de Montpellier du 1er décembre 1986 constatant l'extinction de l'action publique par abrogation de la loi pénale, une ordonnance du 1er décembre 1986 ayant en effet dépénalisé le refus de vente et la pratique discriminatoire du prix entre professionnels.

La société Procep, le 9 mai 1988, assignait alors la société Ciba-Geigy en réparation de son préjudice devant le Tribunal de commerce de Béziers qui, par jugement du 24 avril 1989, accueillait cette demande et allouait à la société Procep les sommes de 3 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour son préjudice commercial, 500 000 F à titre de dommages-intérêts complémentaires pour obligation de recourir à une procédure de suspension provisoire des poursuites, et 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur appel de la société Ciba-Geigy, la Cour d'appel de Montpellier par arrêt du 17 mai 1990 :

- confirmait le jugement en ce qu'il avait écarté la fin de non recevoir de prescription soulevée sur la base de l'article 189 bis du code de commerce,

- l'infirmait pour le surplus et, statuant à nouveau, déboutait la société Procep de ses demandes et la condamnait au remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire, avec intérEtablissements de droit à dater du règlement, outre les dépens de première instance et d'appel et une somme de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur le pourvoi de la société Procep, la Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique - cassait et annulait en toutes ses dispositions la décision par arrêt du 19 mai 1992, pour violation des dispositions de l'article 37 premièrement alinéa 1 de la loi du 27 décembre 1973 sur le commerce et l'industrie alors applicable.

A la suite de sa déclaration de saisine de la Cour de céans faite au greffe le 24 juin 1992, la société Ciba-Geigy a déposé des conclusions qui visent à voir réformer en toutes ses dispositions le jugement du 9 mai 1988, dire que le comportement fautif à elle imputé n'est pas établi, encore plus subsidiairement dire non établi le préjudice invoqué tout comme le lien de causalité entre ce préjudice et les fautes prétendues, en conséquence débouter la société Procep de toutes ses prétentions et la condamner à la restitution de la somme de 6 495 916,50 F payée au titre de l'exécution provisoire du jugement outre intérEtablissements à dater de ce paiement, et à celle de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.

Déniant tout agissement répréhensible à sa charge, la société appelante expose essentiellement :

Qu'il lui est d'abord reproché par la société Procep de ne lui avoir communiqué aucune information relative aux conditions de vente de ses produits avant le 30 septembre 1976, alors que la campagne aurait dû débuter fin juin ; que Ciba-Geigy a cependant fourni toutes justifications utiles en démontrant qu'en raison d'importants retards des opérations d'impressions et de tirage effectuées chez un imprimeur, elle n'a pu elle-même disposer de son propre tarif que le 27 août 1976 ; que les experts ont pu constater que " comme l'ensemble des revendeurs, la société Chazottes a reçu au début de septembre le barème de tarification n° 1117 adressé à tous les revendeurs, sous forme de circularisation " ; qu'au demeurant, Ciba-Geigy a envoyé son tarif alors qu'un problème d'invendus n'était pas réglé et que la reprise des relations commerciales n'était pas évidente.

Qu'il lui est ensuite fait grief d'avoir prétendument dissimulé à la société Chazottes une baisse exceptionnelle de 2 F sur le produit Gésatope consentie selon elle à divers revendeurs ou clients " dès le début octobre 1976 " pour ne lui être révélé que le 30 novembre suivant ; mais que ces deux affirmations sont inexactes en ce sens que ladite baisse a été seulement décidée à la mi-octobre et que cette information a été communiquée aux distributeurs, selon les usages, à l'occasion de relations commerciales ou sur demande spéciale ; qu'en ce qui concerne la société Chazottes, l'information a été donnée dès le 18 novembre, et non le 30, lors d'un contact téléphonique puis confirmée par un écrit Ciba-Geigy du 30 novembre qui récapitulait les prix et remises de cette société, y compris la réduction de prix litigieuse ; que le délai entre la décision de baisse et la communication de celle-ci à Chazottes n'est pas constitutif d'une pratique discriminatoire puisqu'elle est intervenue comme pour tous ses autres clients dès que s'est établi un contact commercial entre les parties après la décision de modification de tarif ;

Qu'il lui est enfin reproché de ne pas lui avoir révélé, dans cette même lettre du 30 novembre 1976 deux ristournes successives hors factures accordées en mars et avril 1977, alors que d'autres revendeurs en auraient été prétendument informés dès ce moment ; mais que ce dernier fait n'est pas démontré par la société Chazottes et que cela n'était pas d'ailleurs pas possible, en raison d'une part de ce que la lettre susvisée ne pouvait inclure des remises " fin de campagne " fixées ultérieurement et nécessairement payées par avoirs séparés.

Rappelant ensuite que le tribunal a considéré dans son jugement que Ciba-Geigy était responsable de la situation de la société Chazottes puis de la société Procep de 1975 à 1979 et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 3 100 000 F basée sur la différence du fonds de roulement entre ces deux exercices, l'appelante estime qu'eu égard aux principes de la responsabilité de droit commun, aucun lien de causalité n'existe entre les fautes prétendues de la société Ciba-Geigy et la différence du fonds de roulement entre les années 1974 et 1979, ce critère incluant en effet non seulement une période postérieure aux faits qui comprend la fusion intervenue avec une autre entreprise, ce qui rompt toute causalité directe, mais aussi une période nettement antérieure aux faits qui font l'objet des reproches retenus par le tribunal.

Elle ajoute sur ce point que la société Chazottes s'est elle-même mise dans l'impossibilité de commercialiser les produits de la société Ciba-Geigy, puisqu'elle avait remis à la disposition de celle-ci les stocks invendus en sa possession alors qu'elle devait commander les mêmes produits quelques semaines plus tard ; que de plus, la société Chazottes, professionnel de ce secteur d'activité, était en mesure de connaître suffisamment les tendances du marché, alors à la baisse constante, pour commencer les prises de commande avant même de connaître les conditions de prix exactes, celles-ci étant généralement évolutives en cours de campagne et n'empêchant pas néanmoins les revendeurs d'entamer leurs ventes.

Au soutien de son appel, la société Ciba-Geigy conteste également la pertinence de la méthode d'évaluation et du montant du préjudice adoptée par le tribunal, celui-ci ayant constaté " que l'insuffisance des capitaux permanents était supérieure à 3 000 KF, soit à peu près la différence existant entre le fonds de roulement (de la société Chazottes en 1974 (soit deux ans avant les faits) et la situation de ce même fonds de roulement en 1979 " (deux ans après les faits).

Elle fait en effet valoir sur le premier point : que le critère du fonds de roulement ne peut être retenu pour apprécier la perte de valeur d'une entreprise, en ce qu'il sert à mesurer la liquidité de ses ressources et non sa rentabilité et qu'il peut être influencé par d'autres événements qu'une baisse d'activité ; que le préjudice a été calculé par rapport aux besoins d'une société (Procep) qui n'est plus la société " victime " de la prétendue faute (société Chazottes) et qui a une activité différente ; que la période de référence prise en considération procède d'un choix aberrant puisque la seule campagne litigieuse a été celle de 1976-77, de manière partielle entre novembre/décembre 1976 et mars 1977 ;

Elle avance par ailleurs quant au préjudice, d'un montant selon elle exorbitant, qu'il a été artificiellement majoré en raison d'une part de ce que le résultat de l'année précédant directement les faits critiqués, seul à pouvoir être retenu, était déjà très inférieur à celui de l'année précédente (1974-75) et d'autre part de ce que celui de la dernière année de référence (1978-79) était affecté par la situation des Etablissements Cassan et la fusion avec la société Chazottes " réalisée au plus mauvais moment " selon le curateur ; que l'estimation faite est d'autant plus fantaisiste que la valeur de la société Chazottes au cours des exercices antérieurs aux faits litigieux n'était au plus que de 700 000 F et qu'elle aboutissait au même chiffre lors de la fusion, à la fin de la période contestée, selon le commissaire aux apports.

Affirmant en conséquence dépourvu de tout fondement le préjudice fixé à plus de 3 millions de francs en principal, elle ajoute que la condamnation à une indemnité complémentaire de 500 000 F liée à une procédure de suspension provisoire des poursuites imputée à tort à la société Ciba-Geigy serait tout aussi injustifiée.

La société Procep, pour sa part, conclut au mal fondé de l'appel de la société Ciba-Geigy et forme appel incident aux fins de voir condamner cette dernière à lui payer les sommes de 790 000 F et 3 000 000 F à titre de dommages-intérêts, avec intérEtablissements au taux légal à dater du 1er septembre 1987, outre des dommages-intérêts équivalents au montant des frais d'expertise supportés dans le cadre de la procédure pénale, une somme de 100 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel.

Elle verse aux débats une étude de la Fiduciaire Juridique et Fiscale de France, réalisée à sa demande en juillet 1993, qui, critiquant la méthode d'évaluation du préjudice adoptée par le tribunal en ce qu'elle ne prendrait pas en considération l'ensemble des éléments du litige, affirme que le choix du critère du fonds de roulement exclurait le préjudice patrimonial et qu'il conviendrait donc d'apprécier et de chiffrer de manière distincte la perte patrimoniale et les pertes d'exploitation imputables aux agissements de la société Ciba-Geigy, évaluant la perte en capital à 300 000 F et les pertes d'exploitation à 790 000 F ;

Attendu que constitue une pratique de conditions discriminatoires de vente au sens de l'article 37-1° alinéa 1 de la loi du 27 décembre 1973, le fait de ne pas communiquer à un seul des revendeurs l'ensemble des éléments, y compris les rabais et ristournes, permettant de déterminer le prix de revient d'un produit en vue d'en fixer le prix de vente pour ses clients;

Qu'il convient en l'espèce de rechercher si Ciba-Geigy, au cours de la campagne 1976-77, a respecté ou non à l'égard de la société Chazottes le principe susvisé selon lequel la communication de ses conditions de vente par un fabricant doit être intégrale et permettre ainsi d'assurer une égalité de traitement à ses différents revendeurs;

Attendu que les premiers juges ont pertinemment relevé à ce sujet que les produits de la société Ciba-Geigy, destinés aux cultures de la vigne et des céréales, étaient utilisés en hiver et au printemps pour les insecticides et que leur livraison en temps utile à l'utilisateur, dans le cadre d'une campagne de vente au détaillant opérée en été, supposait des commandes transmises aux fabricants en août et des livraisons faites au cours du quatrième trimestre ; que les grossistes tels la société Chazottes devaient pour pouvoir négocier les produits en fixer le prix de vente, ce qui ne leur était possible que dans la mesure où ils étaient eux-mêmes informés du prix consenti par le fabricant avec les mêmes remises possibles en fin de campagne ;

Attendu qu'il est constant en la circonstance que la société des Etablissements Chazottes, alors qu'elle réalisait habituellement 80 % de ses ventes entre octobre et décembre en fonction de commandes recueillies de juillet à septembre et sur la base des conditions de vente communiquées en juillet par Ciba-Geigy, a été tenue par celle-ci dans l'ignorance des dites conditions jusqu'au 30 septembre 1976 et que la communication effectuée à cette date des tarifs et conditions hors tarifs n'est donc intervenue qu'après l'expiration de la période au cours de laquelle Chazottes recueillait généralement ses commandes auprès de sa clientèle ; que la tardiveté de cette communication ne saurait trouver une justification admissible dans le fait, allégué par la société Ciba-Geigy, de difficultés d'imprimerie de ses tarifs qu'elle aurait dû subir ; que ne saurait davantage représenter une explication plausible le fait que Ciba-Geigy aurait pu s'abstenir légitimement de communiquer ses conditions de vente à Chazottes au motif qu'il lui restait redevable à l'ouverture de la campagne 1976-77 d'importants invendus remis à la disposition du fournisseur, alors en effet que l'arrêt de la Chambre d'Accusation de la Cour d'appel de Montpellier du 3 juillet 1986 laisse ressortir que l'existence de ces invendus constituait la conséquence de la concurrence des agences locales installées depuis peu par Ciba-Geigy et que cette dernière, tout au moins à l'ouverture de la campagne litigieuse, n'a exprimé aucune réserve quant à la situation financière des Etablissements Chazottes ou aux stocks invendus et n'a fait de leur restitution aucun préalable à la communication de ses conditions de vente ; que de plus, ce refus de communication, même si la société Chazottes était demeurée débitrice des stocks, aurait constitué sur la base des textes alors en vigueur un délit distinct de celui du refus de vente ;

Attendu qu'il ressort en second lieu des éléments du dossier que la société Ciba-Geigy, à l'époque même où lui étaient réexpédiés les stocks invendus finalement exigés par le fournisseur de la société Chazottes, s'est encore abstenue d'informer celle-ci en temps utile de l'évolution de ses conditions de vente, bien que dès la première quinzaine d'octobre 1976 d'autres revendeurs aient été informés d'une baisse de 2 F décidée sur les " Gesatopes " représentant avec le " Weedazol " 80 % des ventes globales de la société Chazottes en produits Ciba-Geigy ; que cette baisse, en effet, n'a pas été portée à la connaissance de ce grossiste à l'occasion d'une première commande de Gésatope faite le 13 octobre 1976, ne lui a pas davantage été révélée lors d'échanges écrits et verbaux postérieurs, et ne l'a été en fait que le 30 novembre 1976, soit à une date particulièrement tardive sur laquelle Ciba-Geigy ne fournit aucune explication plausible ;

Attendu en troisième lieu, quant aux réajustement de fin de campagne, qu'il apparaît établi qu'à la suite de l'entrée dans le domaine public des produits GEGE, une ristourne hors facture a pour la première fois lors de l'exercice 1975-76 été consentie par Ciba-Geigy à ses revendeurs en fin de campagne, pour compenser les remises supplémentaires accordées pour l'écoulement de ces produits, qui avaient alors perdu leur protection contre la concurrence résultant de ces brevEtablissements ; qu'en effet, au cours de la période durant laquelle Ciba-Geigy notifiait par une lettre du 30 novembre 1976 aux Etablissements Chazottes une nouvelle remise de 2 F sur le " Gésatope " en la présentant comme une adaptation exceptionnelle, anticipée par rapport à celle de la saison précédente, de ses prix de facturation, celle-ci s'entendant de manière nette mais aussi définitive, les représentants de Ciba-Geigy faisaient connaître en décembre 1976 à divers autres clients de cette entreprise, interrogés par le SRPJ, des conditions de prix inférieures à celles mentionnées dans la lettre du 30 novembre 1976 et par conséquent défavorables aux intérEtablissements de la société Chazottes, laquelle se voyait simplement enjoindre le 18 janvier 1977, soit après la décision de principe de réajustement des prix de fin de campagne, de retourner à Ciba-Geigy un exemplaire dûment signé de la lettre précitée " qui faisait le point exact de la situation " ; que de plus, l'examen de 13 000 factures saisies entre les autres revendeurs de Ciba-Geigy a révélé l'existence d'annotations à la main faisant état de la remise à intervenir en fin de campagne ;

Attendu que les Etablissements Chazottes, ayant réalisé sur l'exercice comptable clos au 30 septembre 1976 un chiffre d'affaires de 9 millions de francs en produits Ciba-Geigy, ont dû subir une chute importante de ce chiffre d'affaires tombé à un niveau de l'ordre de 500 000 F sur l'exercice clos au 30 septembre 1977, soit à une époque immédiatement postérieure à la commission des agissements fautifs retenus à l'encontre de la société Ciba-Geigy ; que les premiers juges, sans recourir à la notion de refus de vente, ont à bon escient estimé que l'absence de communication des conditions de vente était de nature à mettre dans l'impossibilité de fournir ses clients un revendeur tenu dans l'ignorance des conditions accordées par son fournisseur ou non informé ponctuellement des rabais ou ristournes consentis afin de permettre l'adaptation du prix de vente final des produits au niveau de la concurrence en cours de campagne ; que la société Chazottes, ainsi qu'il a déjà été précisé, ne peut valablement se voir reprocher d'avoir rendu elle-même impossible la commercialisation des produits Ciba-Geigy, et n'a pu par ailleurs prospecter sa clientèle pour recueillir des commandes, au risque de devoir les honorer ensuite à perte, alors qu'elle ne connaissait pas les conditions de prix exactes dont elle pourrait bénéficier et qu'il ne lui était pas permis de préjuger de la politique des prix envisagée par Ciba-Geigy ; que celle-ci, de plus, ne démontre pas que les changements de direction intervenus dans l'entreprise aient entravé sa gestion ou interdit d'assurer une continuité nécessaire ; qu'enfin, aucune régression du marché n'est survenue pour les produits phytosanitaires, susceptible d'expliquer la chute du chiffre d'affaires des Etablissements Chazottes, puisque selon l'avis de la Commission de la concurrence sa croissance a été au contraire continue au cours de la période 1970-1979 ; que l'existence d'un lien de causalité direct apparaît dès lors certaine entre les agissements fautifs de Ciba-Geigy pendant la campagne 1976-77 et le dommage subi par la société Chazottes, dont l'indemnisation est destinée à tomber dans le patrimoine de la société Procep ;

Attendu que la Cour, qui se trouve dépourvue des éléments comptables objectifs seuls de nature à lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur l'importance réelle du préjudice financier dont Ciba-Geigy doit réparation à la société Procep, ne peut que recourir sur ce point à une mesure d'instruction ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale, en dernier ressort, Chambres réunies sur renvoi de cassation ; Vu l'arrêt de la Cour de cassation, Chambre commerciale, économique et financière, du 19 mai 1992, En la forme, reçoit les appels ; Au fond, confirme le jugement en ce qu'il a déclaré la SA Ciba-Geigy responsable à l'égard de la société d'Exploitation des Etablissements Chazottes, devenue en 1978 société de Production et Commerce des Engrais et Phytos dite Procep, de pratiques de conditions discriminatoires de ses produits au sens de l'article 37-1° alinéa 1 de la loi du 27 décembre 1973, ce pour la campagne 1976-77 ; Avant dire droit sur l'indétermination du préjudice consécutif, ordonne une expertise comptable et commet pour y procéder MM. Henri-Marc Girard et Jean Raffeteau, experts comptables 98, rue de Courcelles 75017 Paris avec mission de : - recueillir les dires écrits des parties, prendre connaissance de tous documents comptables et études de consultants utiles au bon accomplissement de leurs opérations. - donner leur avis motivé, en l'évaluant, sur la nature et l'importance du préjudice subi par la société Chazottes du fait des pratiques discriminatoires de la société Ciba-Geigy comme du fait de son obligation de recourir à une procédure de suspension provisoire des poursuites. - procéder à toutes autres investigations par eux estimées utiles. - recueillir les observations écrites des parties sur leurs conclusions provisoires, à elles notifiées par leurs soins, et y répondre. Dit que l'expertise sera diligentée sous le contrôle de M. le conseiller Gerbet ; Fixe à la somme de 20 000 F le montant de la consignation à valoir sur la rémunération des experts qui devra être consignée au greffe de la Cour avant le 30 juin 1994 par la société Procep ; Dit que les experts déposeront au greffe de la Cour leur rapport définitif dans un délai de six mois à compter de leur saisine par l'avis de consignation ; Réserve les dépens.