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Décisions

CA Paris, 15e ch. A, 3 décembre 1996, n° 94-025843

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brun, BNP

Défendeur :

Esso (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chagny

Conseillers :

M. Le Fevre, Mme Giroud

Avoués :

Me Ribaut, SCP Taze-Bernard & Belfayol-Broquet, SCP D'Auriac-Guizard

Avocats :

Mes Jourdan, Beaussier, Berger-Perrin.

T. com. Paris, 2e ch., du 27 sept. 1994

27 septembre 1994

Maurice Brun a relevé appel du jugement rendu le 27 septembre 1994 par le Tribunal de Commerce de Paris qui:

- l'a condamné à payer à la Société Esso la somme de 260.706,12 F majorée des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 1992,

- a condamné la Banque Nationale de Paris, solidairement avec lui, à payer cette somme dans la limite de 229.122,67 F avec intérêts au taux légal à partir du 2 janvier 1992

sur 224.433,44 F et du 17 avril 1992 sur le surplus,

- l'a condamné à garantir la Banque Nationale de Paris de la condamnation prononcée contre elle en principal et intérêts,

- l'a débouté de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité du contrat du 6 juillet 1990 et de ses annexes, et à lui rembourser la somme de 250.000 F,

- a ordonné l'exécution provisoire,

- l'a condamné à verser l'indemnité de 10.000 F à la Société Esso sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Référence étant faite à cette décision pour l'exposé des faits et de la procédure, il est cependant utile de rappeler que :

- Maurice Brun, exploitant un fonds de commerce de station service, entretenait des relations contractuelles avec la Société Esso depuis 1972;

- dans le dernier état de leurs conventions, les parties étaient liées par un contrat de concessionnaire de marque signé le 6 juillet 1991 pour la distribution des carburants et par un contrat distinct pour la vente de lubrifiants;

- le 3 juin 1991, la Banque Nationale de Paris s'était portée caution solidaire envers la Société Esso du paiement des sommes pouvant être dues par Maurice Brun au titre de la non restitution des produits énergétiques, à concurrence de 257.200 F;

- par lettre du 8 novembre 1991, la Société Esso a notifié à Maurice Brun la résiliation des conventions en invoquant le non respect de la clause d'approvisionnement exclusif;

- le 30 novembre 1991, les deux parties ont signé un avenant de résiliation du contrat de commissionnaire de marque.

Dans un premier temps, Maurice Brun a soulevé la nullité des conventions au regard des dispositions des articles 1129, 1591 à 1174 du Code civil, et demandé la remise des parties dans l'état où elles se trouvaient avant leur conclusion, de telle sorte qu'aucune d'entre elles n'ait tiré profit ou souffert de leur fonctionnement; à cette fin, il a sollicité la désignation d'un expert, aux frais avancés par la Société Esso, avec mission

1°) d'établir le compte de restitution et voir porter à son crédit le déficit d'exploitation arrêté par

l'Association Gestion Entreprises Commerciales (ACEC) à 1.044.957 F sous réserve des résultats 1990-1991, ainsi que la valeur du service fourni par son entreprise par comparaison à ce que la Société Esso aurait dû supporter pour une gestion directe, soit la somme de 1.464.252 F pour la période de 1985 à 1989;

2°) de rectifier le compte des carburants et lubrifiants à prix coûtant pour la Société Esso;

3°) de ne prendre en compte que les quantités effectivement débitées par les volucompteurs à l'exclusion de toute autre chiffre non appuyé de documents probants.

L'appelant a réclamé la provision de 1.000.000 F, la condamnation de la Société Esso à rembourser en ses lieu et place l'intégralité du prêt de 250.000 F, outre intérêts et pénalités de retard, souscrit auprès de la Banque Nationale de Paris pour mettre la station service aux normes et couleurs de la Société Esso, et l'indemnité de 100.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Dans un second temps, Maurice Brun a soutenu que la Société Esso aurait commis un abus dans la fixation des prix; il a demandé réparation du préjudice en résultant pour lui par l'allocation à titre de dommages- intérêts des sommes précédemment réclamées; se fondant sur les prix de vente inférieurs consentis par la Société Esso aux grandes surfaces pour les lubrifiants, Maurice Brun lui a reproché des pratiques discriminatoires contraires aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986; faisant encore valoir que les grandes surfaces revendaient les lubrifiants Esso à des prix inférieurs à ceux consentis par la Société Esso, Maurice Brun a reproché à cette dernière d'accorder aux grandes surfaces des remises ne figurant pas sur les tarifs ou de les laisser revendre à perte.

La Société Esso réplique que les contrats sont parfaitement valables, et qu'elle n'a commis aucun abus dans la fixation des prix, elle conclut en conséquence au rejet de toutes les demandes de Maurice Brun et à la confirmation des dispositions du jugement le condamnant à lui payer la somme de 260.706,12 F majorée des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 1992, outre l'indemnité de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; elle lui réclame l'indemnité supplémentaire de 20.000 F pour ses frais de procédure devant la Cour.

Par appel incident, la Société Esso demande condamnation de la Banque Nationale de Paris à lui payer, solidairement avec Maurice Brun, la somme de 256.548,64 F avec intérêts au taux légal sur 224.433,44 F à compter du 2 janvier 1992 et à partir de l'assignation sur le surplus.

La Banque Nationale de Paris s'en rapporte à la décision de la Cour sur la validité des contrats; en cas d'annulation de ceux-ci, elle demande à être déchargée de son engagement de caution; subsidiairement, la banque soutient d'une part que le stock des carburants doit être estimé au prix coûtant et sa condamnation ramenée à son juste montant, d'autre part qu'elle est fondée à opposer la compensation des sommes qu'elle doit en vertu de son engagement de caution avec celles dues par la Société Esso à Maurice Brun; en tout état de cause, elle estime ne pas être tenue de payer au-delà de la somme de 257.200 F et demande à la Société Esso restitution du trop-perçu dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement; la banque réclame enfin l'indemnité de 20.000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à toute partie contestante ou qui succombera.

MOTIFS

1) Sur les demandes de Maurice Brun

Considérant que même s'il a signé un avenant de résiliation, Maurice Brun reste recevable à demander l'annulation des conventions ou à solliciter l'indemnisation de son préjudice résultant des conditions de leur exécution;

Considérant qu'aux termes du contrat de commissionnaire de marque Maurice Brun devait vendre pour le compte de la Société Esso les carburants exclusivement livrés par celle-ci et au prix par elle indiqués; que sa commission était composée d'une partie fixe et d'une partie variable en fonction du litrage vendu; que parallèlement, Maurice Brun était tenu de s'approvisionner exclusivement en lubrifiants auprès de la Société Esso aux tarifs de celle-ci au jour de la livraison; que pour prétendre à la nullité des conventions sur le fondement des articles 1129, 1591 et 1174 du Code Civil, Maurice Brun fait valoir que le prix et le montant de sa commission étaient indéterminés et dépendaient de la seule volonté de la Société Esso; qu'il ajoute que la clause de facturation des manquants au tarif du fournisseur entache également de nullité le contrat de commissionnaire de marque;

Considérant cependant que la partie variable de la commission calculée sur le litrage vendu ne dépendait pas seulement du prix de vente des carburants fixé par la Société Esso, mais également d'autres facteurs tels l'emplacement du point de vente et la qualité du service offert à la clientèle de la station service; que Maurice Brun était responsable de la conservation de carburants, propriété de la Société Esso, et qu'il doit répondre des manquants; que la clause de facturation des manquants au tarif du fournisseur n'affecte pas la validité de la convention;

Considérant que l'article 1129 du Code Civil n'est pas applicable à la détermination du prix; que l'article 1591 du Code Civil n'est applicable qu'au contrat de vente; que la clause de l'accord cadre relatif aux lubrifiants fixant leur prix au tarif en vigueur au jour de la livraison n'affecte pas la validité de cette convention, l'abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu'à résiliation ou indemnisation;

Considérant en conséquence que le moyen tiré de la nullité des contrats doit être rejeté; qu'il convient de rechercher si au cours de leur exécution, la Société Esso a manqué à son obligation de bonne foi et commis un abus dans la fixation du prix des carburants et des lubrifiants;

Considérant pour les carburants que Maurice Brun se plaint des prix " anti-concurrentiels " pratiqués par la Société Esso et de la baisse des ventes en résultant; qu'il dénonce la pratique consistant pour les compagnies pétrolières à vendre les carburants avec un différentiel de l'ordre de 30 à 40 centimes de plus par rapport aux prix constatés dans les grandes surfaces; mais considérant que vendant ses produits par l'entremise de Maurice Brun, la Société Esso n'avait pas intérêt à pratiquer un prix dissuasif pour la clientèle; qu'il n'est pas établi qu'elle a fixé le prix de vente de ses carburants uniquement en fonction de ses propres intérêts et au détriment de ceux de son cocontractant;

Considérant pour les lubrifiants que Maurice Brun expose que la Société Esso facture son produit Esso 15 W 40 41,84 F HT le bidon de 2 litres aux grandes surfaces et 32,29 F HT le litre, soit 64,58 F HT les deux litres aux stations service; qu'il s'agit selon lui de pratiques discriminatoires prohibées par l'ordonnance du 1er décembre 1986; mais considérant que la Société Esso fait justement valoir que la différence de prix s'explique par la différence dans les volumes commandés et les modes d'approvisionnement ; que Maurice Brun ne rapporte pas la preuve de ristournes irrégulièrement accordées par la Société Esso aux grandes surfaces

Considérant qu'en l'absence de faute imputable à la Société Esso, Maurice Brun est mal fondé en sa demande tendant à la voir condamner à supporter le coût du crédit souscrit pour les travaux exécutés dans sa station service;

2) Sur les demandes de la Société Esso

Considérant que la Société Esso réclame à Maurice Brun la somme de 260.706,12 F selon relevés de compte, l'un du 4 février 1992 pour 229.125,31 F, l'autre du 17 février 1992 pour 31.580,81 F; que Maurice Brun soutient avoir réglé cette dernière somme correspondant au prix de rachat du matériel de stockage; mais considérant que la Société Esso a porté cette somme par erreur au crédit du compte "mandat" de Maurice Brun sur le relevé du 4 février 1992, dont le solde débiteur a été réduit d'autant, au lieu de l'affecter au paiement de la facture correspondante; qu'il en résulte que Maurice Brun reste bien redevable de la somme de 260.706,12 F;

Considérant qu'en exécution de son engagement de caution, la Banque Nationale de Paris doit payer à la Société Esso la somme de 256.548,64 F, montant de la facture du 12 décembre 1991 correspondant à la valorisation du stock de carburant calculée par application des clauses contractuelles, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 2 janvier 1992 sur 224.433,44 F, et du 17 avril 1992, date de l'assignation, sur le surplus;

Considérant en équité qu'il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à la Société Esso et à la Banque Nationale de Paris;

Par ces motifs, Réforme le jugement déféré du chef des condamnations prononcées à l'encontre de la Banque Nationale De Paris; Statuant à nouveau, Condamne la Banque Nationale de Paris, solidairement avec Maurice Brun, à payer à la Société Esso la somme de 256.548,64 F avec intérêts au taux légal à compter du 2 janvier 1992 sur 224.433,44 F et du 17 avril 1992 sur le surplus ; Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions à l'exception de celle condamnant Maurice Brun à payer l'indemnité de 10.000 F à la Société Esso en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Déboute Maurice Brun de toutes ses demandes; Rejette les demandes de la Société Esso et de la Banque Nationale de Paris au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Condamne Maurice Brun aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.