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Décisions

Cass. com., 6 juin 2000, n° 97-12.260

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Brun

Défendeur :

Esso (SA) ; BNP (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Tric

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Boré, Xavier, Boré, SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Vincent, Ohl.

T. com. Paris, 2e ch., du 27 sept. 1994

27 septembre 1994

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 3 décembre 1996) qu'à la suite de la rupture des contrats de cette société commissionnaire de carburants et de vente de lubrifiants de sa marque consentis par la société Esso à M. Brun, cette société l'a assigné, ainsi que la Banque nationale de Paris qui s'était portée caution solidaire, en paiement de diverses sommes ; que M. Brun a formé une demande reconventionnelle en nullité des contrats et, subsidiairement, une demande en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par les pratiques de prix abusives dont il prétendait avoir été victime ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que M. Brun reproche à l'arrêt d'avoir écarté sa demande en paiement de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le contrat de concessionnaire de marque se distingue du contrat de commission ; qu'en vertu de ce dernier contrat, le commissionnaire n'est pas un revendeur mais un agent intégré à la société pétrolière travaillant pour le compte de cette dernière aux prix fixés par elle à la pompe ; que la cour d'appel constate que M. Brun devait vendre pour le compte de la société Esso les carburants exclusivement livrés par celle-ci aux prix par elle indiqués et que sa commission était en partie fixe ; d'où il suit qu'en déclarant par ailleurs que cette convention s'analysait en un contrat de concessionnaire de marque, la cour d'appel a entaché sa décision d'une violation des articles 12 du nouveau Code de procédure civile et 1er du décret du 22 décembre 1958 ; alors, d'autre part, que le commettant est tenu d'une double obligation de loyauté et de bonne foi envers son commissionnaire exclusif; qu'il est tenu de lui verser une commission ; que, lorsque cette dernière est fixée d'après le volume des ventes, elle ne saurait dépendre de la volonté unilatérale du commettant tendant à privilégier un circuit commercial sur un marché dont l'agent a été exclu ; qu'en toute hypothèse, il incombe au vendeur de prévenir l'agent d'une baisse prévisible du volume des affaires ; que, pour écarter les conclusions de l'agent invoquant le fait que la compagnie pétrolière avait adopté une politique discriminatoire de prix tendant à favoriser sa clientèle auprès des supermarchés, la cour d'appel déclare que "la société Esso n'avait pas intérêt à pratiquer un prix dissuasif pour la clientèle" ; qu'un tel motif est erroné dès lors qu'au regard du marché de référence, celui de la compagnie pétrolière, la pratique discriminatoire n'avait pas un effet dissuasif mais au contraire un effet incitatif puisque la clientèle de la compagnie Esso était incitée à se détourner de l'agent débiteur de l'obligation d'exclusivité pour se fournir auprès d'autres points de vente ; qu'en outre, un tel motif est inopérant dès lors que le résultat d'une telle politique commerciale, discriminatoire ne pouvait qu'entraîner une baisse incessante de la commission promise à l'agent exclusif; d'où il suit qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a entaché sa décision d'une violation des articles 1134 et 1135 du Code civil ; et alors, enfin, que le cocontractant tenu d'une obligation de loyauté et de bonne foi doit lui-même prouver qu'il s'est acquitté de son obligation ; qu'en mettant à l'agent, la charge de prouver que la compagnie pétrolière avait commis un abus dans la fixation du prix des carburants et qu'elle avait agi au détriment des intérêts de son cocontractant, la cour d'appel a méconnu l'existence de l'obligation de bonne foi qui incombait à la compagnie et a renversé la charge de la preuve après avoir perdu de vue l'objet de cette dernière ; d'où il suit que la cour d'appel a, à nouveau, entaché sa décision d'un manque de base légale au regard des articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'abstraction faite de l'erreur de plume que signale la première branche et qui est purement matérielle, la cour d'appel a tranché le litige en analysant la convention en un contrat de commissionnaire de marque ;

Attendu, en second lieu, qu'appréciant souverainement les faits et les éléments de preuve qui lui étaient soumis, l'arrêt retient d'abord que la société Esso n'avait aucun intérêt à pratiquer un prix dissuasif pour sa clientèle dans le point de vente de M. Brun ; qu'il constate ensuite qu'il n'est pas établi qu'elle aurait fixé ses prix uniquement en fonction de ses propres intérêts et au détriment de ceux de M. Brun ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision sans inverser la charge de la preuve ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen : - Attendu que M. Brun fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la clause d'approvisionnement exclusif imposée par la société pétrolière à un revendeur devient illégale et entrave la concurrence à partir de l'instant où le concédant met à profit la clause d'exclusivité pour imposer au distributeur des prix supérieurs à ceux qu'il réclame à des tiers concurrents du distributeur exclusif pour les mêmes produits ; que la cour d'appel constate que la société Esso facturait des lubrifiants qu'elle livrait aux grandes surfaces à un prix sensiblement inférieur à celui qu'elle réclamait à son propre distributeur exclusif ; que l'arrêt observe que cette discrimination était justifiée par la différence des volumes commandés et les modes d'approvisionnement; que, ce faisant, la cour d'appel a perdu de vue les conditions de validité de la clause d'exclusivité qui imposaient au concédant, notamment, une obligation de contrepartie exclusive de toute stratégie ayant pour effet de mettre le distributeur exclusif dans une position concurrentielle défavorable par rapport à celle qui était faite aux tiers ; d'où il suit que la cour d'appel a entaché son arrêt d'une violation de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, qu'il incombe au bénéficiaire d'une clause d'exclusivité d'établir qu'il a agi conformément aux conditions de validité de cette dernière, notamment, celle qui lui imposait de fournir une contrepartie à son cocontractant et de ne pas tirer un profit illicite d'une telle clause restrictive au regard du marché concurrentiel ; qu'en mettant à la charge du distributeur sous exclusivité l'obligation de prouver que la société Esso aurait consenti aux grandes surfaces des ristournes irrégulières, la cour d'appel a entaché à nouveau sa décision d'une violation de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que la différence de prix s'explique par la différence de volume des commandes et par le mode d'approvisionnement; que la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que l'avantage consenti aux grandes surfaces était justifié par des contreparties réelles pour la compagnie pétrolière, a pu retenir que la société Esso n'avait pas pratiqué des conditions discriminatoires de vente au préjudice de M. Brun;

Attendu, d'autre part, qu'ayant ainsi justifié la différence de traitement reprochée par M. Brun à la société Esso, la cour d'appel n'a pas inversé la charge de la preuve en décidant qu'il appartenait à M. Brun de prouver que la société Esso aurait consenti aux grandes surfaces des ristournes irrégulières ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.