CA Montpellier, 3e ch. corr., 17 janvier 1995, n° 1121-94
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ministère public
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jammet
Conseillers :
Mme Ilhe-Delannoy, M. Peiffer
Avocat :
Me Simon
Rappel de la procédure :
Le jugement rendu le 18 février 1994 par le Tribunal correctionnel de Narbonne a :
Sur l'action publique
déclaré P Yvon coupable :
- d'avoir à Narbonne (11), le 17 septembre 1992, en qualité de président directeur général du Y, effectué des reventes à perte de conserves alimentaires (ravioli pur boeuf Buitoni et ravioli riche Panzani) ;
Infraction prévue et réprimée par les articles 1er de la loi du 2 juillet 1963 et 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
En répression, l'a condamné à la peine de 50.000 F d'amende
Appels :
Les appels ont été interjetés par le prévenu et par le Ministère public, le 25 février 1994.
Décision :
LA COUR, après en avoir délibéré,
Attendu que P Yvon est représenté de son conseil ; qu'il sera statué par arrêt contradictoire à son égard ;
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des débats les faits suivants : le 17 septembre 1992, les agents du service de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes constataient à l'hypermarché X à Narbonne, quartier Saint Jean Saint Pierre, exploité par la SA Y dont le président directeur général était Yvon P, la mise en vente en rayon des conserves de :
- ravioli pur boeuf Buitoni le lot 2 x 800 grammes au prix de 14,50 F, le lot de 2,
- ravioli riches Panzani 800 grammes au prix de 10,55 F l'unité.
Ces produits ayant été achetés suivant factures du 8 septembre 1992 et du 5 août 1992, pour les ravioli Buitoni au prix de 14,92 F le lot (36 unités livrées) et pour les ravioli Panzani au prix de 12,26 F l'unité (120 unités livrées).
Il apparaissait que ces produits étaient donc revendus à perte.
Demandes et moyens des parties :
Yvon P sollicite au principal sa relaxe et subsidiairement invoque l'indulgence de la Cour en faisant état de l'exception d'alignement prévue par la réglementation pour le produit " ravioli Buitoni " en lot de 2 boîtes dont le prix de vente aurait été aligné sur celui pratiqué le même jour par le supermarché " Intermarché " de Narbonne soit 13,95 F ; qu'il fait valoir pour le produit " ravioli riches Panzani " que doivent être intégrés dans le calcul du prix d'achat, le montant des factures de coopération commerciale acquittées par la firme Panzani, déterminant une ristourne complémentaire qui aurait dû figurer sur la facture de vente.
Le Ministère public conclut à la confirmation du jugement dans son principe de culpabilité mais ne s'oppose pas, compte tenu de la quantité relativement minime des produits sur lesquels la vente à perte a porté à une diminution du montant de l'amende.
Le représentant de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a été entendu dans ses observations.
Sur quoi
Attendu que les appels réguliers en la forme et dans les délais doivent être déclarés recevables.
Sur l'action publique
Attendu que par des motifs précis, pertinents et multiples qui méritent expressément adoption et que la Cour fait siens, les premiers juges ont effectué une bonne appréciation des circonstances de la cause.
Attendu en effet que la preuve n'est pas rapportée que les ravioli pur boeuf Buitoni aient été mis en vente sous le même conditionnement, lot de 2 boîtes, par les responsables du magasin concurrent " Intermarché " à un prix inférieur à 14,91 F au jour même du contrôle, l'enquête ayant démontré au contraire que le prix de 13,95 F allégué avait été pratiqué par Intermarché au mois d'octobre 1992, soit environ 1 mois après la date du contrôle, que de plus, le 17 septembre 1992, jour du contrôle, le magasin Intermarché offrait à la vente la boîte de 800 grammes de ravioli Buitoni au prix de 9,65 F alors que l'Hypermarché X vendait ce produit au prix de 14,50 F les 2 boîtes, présentées sous un conditionnement différent; que l'exception invoquée ne peut être retenue.
Attendu, sur le produit " ravioli riches Panzani " pour lequel le prévenu fait valoir que doivent être intégrés dans le calcul du prix d'achat, le montant des factures de coopération commerciale acquittées par la firme Panzani, qu'il s'agit en effet selon lui d'une fausse coopération commerciale déguisant une ristourne complémentaire qui aurait dû figurer sur la facture de vente ; que si dans certains cas, une facture de coopération commerciale excessive sans référence à la juste valeur marchande du service rendu peut montrer la volonté du fournisseur d'accorder une remise supplémentaire classique, il n'est possible d'intégrer ces factures de service dans le calcul du seuil de revente à perte que si elles sont individualisables au niveau de chaque produit vendu ; qu'en l'espèce, les factures de coopération commerciale produites qui portent entre autre la mention " plats cuisinés " ne sont pas suffisamment précises pour qu'on puisse les considérer comme constituant des remises complémentaires sur les boîtes de ravioli de 800 grammes en particulier.
Attendu que les faits sont établis par les éléments du dossier, que le montant de la vente à perte s'élève respectivement à 0,41 F et à 0,69 F en ce qui concerne les deux produits en cause.
Attendu que la vente à perte constitue une pratique concurrentielle contestable dans la mesure où elle peut entraîner une inégalité parmi les commerçants, entre ceux respectant la réglementation économique en vigueur et ceux ne la respectant pas et même le cas échéant, permettre d'évincer un concurrent ; que le procédé commercial peut également aboutir pour un commerçant à accaparer un marché ainsi qu'à capter artificiellement une clientèle, et une fois ces buts atteints à vendre à nouveau au prix normal et même au dessus ; que cette pratique anticoncurrentielle est aussi préjudiciable aux intérêts réels des consommateurs, la perte supportée par le commerçant, sur quelques articles étant nécessairement compensée par les marges réalisées sur d'autres produits ; que cette pratique implique manifestement la conscience par le prévenu de la fraude.
Attendu que les circonstances de la cause ont été exactement appréciées par le tribunal dont la décision doit être confirmée dans son principe de culpabilité, sauf à être modifiée dans son quantum, eu égard au caractère limité en l'espèce de l'infraction.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de P Yvon ; et en matière correctionnelle. En la forme : Reçoit les appels réguliers et dans les délais. Au fond, Sur l'action publique : Confirme en son principe de culpabilité la décision déférée. Emendant sur la peine, condamne Yvon P à la peine de 10.000 F d'amende. Fixe comme de droit la durée de la contrainte par corps s'il y a lieu de l'exercer. Le tout par application des textes visés au jugement et à l'arrêt, des articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.