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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 24 février 1994, n° 590-93

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Seine Maritime

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Solle Tourette

Conseillers :

Mme Valantin, M. Cardon

Avocat :

Me Breton-Duthoit

TGI Rouen, ch. corr., du 14 mai 1993

14 mai 1993

M. B Alain par exploit du 2 mars 1993 délivré à domicile (accusé-réception signé le 4 mars 1993) et M. G Hervé par exploit du 12 février 1993 délivré à domicile (accusé-réception signé le 16 février 1993) ont été cités à la requête du Ministère Public pour avoir à Barentin le 3 juillet 1992 étant vendeurs ou prestataires de service revendu 8 espèces de produits lessiviers en l'état à un prix inférieur au prix d'achat effectif.

Faits prévus et réprimés par l'article 1er de la loi 63-628 du 2 juillet 1963 modifié par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Le tribunal par jugement contradictoire du 14 mai 1993 renvoyé les prévenus des fins de la poursuite.

Le 17 mai 1993 le Ministère Public par déclaration au greffe du tribunal a interjeté appel de cette décision.

Le Ministère Public requiert l'infirmation du jugement déféré et la condamnation de chacun des prévenus à une amende de 10 000 F. Il considère que le tribunal a commis une erreur de droit dans la mesure où c'est au mis en cause de démontrer qu'il s'est aligné sur les prix des concurrents.

Le directeur de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la Seine-Maritime par la voie de son représentant dépose des conclusions tendant également à l'infirmation du jugement en soulignant le caractère tardif qui ne l'a pas mis en mesure d'en vérifier le bien fondé mais qui est en tout cas insuffisamment démontré, de l'argument en défense soulevé par les mis en cause.

Ceux-ci qui ont donné pouvoir régulier à leur conseil de les représenter font plaider la confirmation de la décision attaquée en prétendant qu'ils justifient que le prix de revente des produits incriminés a été aligné sur le prix légalement pratiqués pour les mêmes produits par d'autres commerçants (magasins Leclerc et Intermarché) dans la même zone d'activités (comme Yvetot). Ils estiment qu'il n'existe aucun délai pour rapporter cette preuve d'alignement qui a été invoquée par eux dès que l'administration les a invités à faire valoir leurs arguments de défense.

Il résulte de la procédure et des débats que le 3 juillet 1991 à 14 heures un commissaire et un adjoint de contrôle principal des services extérieurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes en résidence administrative à Rouen et dûment commissionnés, se présentaient à l'hypermarché " X " sis Centre Commercial à Barentin dont le directeur était M. B Alain et reçus par M. G Hervé ils constataient une pratique de vente à perte pour 8 produits de consommations courante.

Compte tenu des prix de vente pratiqués le jour du contrôle et non contestés par les prévenus qui d'ailleurs n'en ont jamais dénié la réalité ainsi que des abattements ou correctifs divers dont les prix des produits étaient bénéficiaires, les contrôleurs ont affirmé que les infractions afférentes aux 8 produits incriminés devaient faire l'objet du tableau synthétique suivant :

EMPLACEMENT TABLEAU

Dans son audition recueillie le jour même du contrôle M. G s'engageait à fournir pour le 9 juillet 1991 au plus tard les documents d'achat de l'ensemble des produits contrôlés (16 au total) en précisant aux contrôleurs le dépôt régional ou national qui les avaient fournis. Une première liste était remise en ce sens dès le 8 juillet 1991 mais devant son caractère incomplet l'administration sollicitait sous 10 jours la délivrance de documents complémentaires demande à laquelle il était satisfait par C le 17 juillet 1991.

Cependant le 28 août 1991, l'administration désirait obtenir pour le 13 septembre 1991 les accords de coopération commerciale ou tout autre élément susceptible d'abaisser le seuil de revente à perte des produits litigieux. A la date retenue les services de la Direction invitaient MM. B et G à assister le 28 octobre 1991 à la clôture du procès-verbal d'infraction et à présenter leurs arguments de défense ; M. B ne déférait pas et M. G se faisait représenter par M. Vettier qui s'engageait à remettre un mémoire en défense sous 15 jours.

Enfin, le 31 octobre 1991, l'Administration informait M. B de la clôture du procès-verbal et l'invitait à nouveau sous 15 jours à formuler ses arguments.

L'ensemble de la procédure était transmis au Parquet le 22 novembre 1991.

C'est le 26 novembre 1991 que l'Administration recevait du directeur du magasin un mémoire aux termes duquel M. B invoquait un alignement sur les prix pratiqués par le magasin Centre Leclerc sis à Yvetot qui avait ouvert le jour même du contrôle.

A l'appui de ses dires, M. B fournissait un document publicitaire diffusé par le Centre Leclerc faisant référence à des produits sur lesquels des prix présentés comme réduits étaient pratiqués mais parmi lesquels ainsi que le soulignait l'administration dans une note à l'adresse du Parquet, les produits de lessive incriminés ne figuraient pas.

M. B entendu le 6 juillet 1992 ne contestait pas cette observation mais persistait à soutenir qu'il avait procédé à un alignement des prix tout en reconnaissant que l'infraction de revente à perte était constituée.

M. G Hervé pour sa part se déclarait en parfaite conformité avec les déclarations de son supérieur précisant qu'il était chef du secteur épicerie et que les 3 chefs de rayons (M. Soulard épicerie sèche, M. Godergues droguerie, M. Chong-Kour liquides) étaient responsables de la fixation des prix.

La réalité de l'infraction est établie et reconnue dans sa matérialité étant simplement observé que dans le tableau récapitulatif de l'administration il faut lire Axion-2 5 kgs et non Axion 2 kgs.

Il n'est pas de même contesté, ni contestable au regard de la législation en vigueur que le responsable du magasin peut justifier la revente à perte de ses prix sur ceux pratiqués par un autre commerçant dans une même zone d'activités qui est ici la commune d'Yvetot.

Il appartient alors à l'administration de démontrer le caractère illégal du prix de référence invoqué.

En conséquence la preuve de l'alignement appartient au prévenu et lorsque cette exception s'avère fondée en son élément matériel il incombe à la partie poursuivante d'en établir l'irrégularité.

En d'autres termes, en cas de revente d'un produit à perte il appartient au prévenu qui invoque l'exception prévue à l'article 1er paragraphe II dernier alinéa de la loi du 2 juillet 1963 de rapporter la preuve du prix pratiqué par la concurrence sur lequel il prétend s'être aligné et l'administration n'est donc tenue de répondre à cet argument que si la réalité de celui-ci a été préalablement démontrée par le commerçant incriminé.

Or sur l'exception d'alignement invoquée il apparaît :

- qu'aucun des produits en revente à perte ne figurait sur le document publicitaire distribué par le magasin Leclerc d'Yvetot qui ne pouvait ainsi servir de référence.

- que les relevés fournis ultérieurement à l'appui du mémoire en défense et délivrés par la société X à Pissy Poville concernaient les prix pratiqués le 4 juillet 1991 par le magasin Leclerc, donc le lendemain du contrôle et le 25 juin 1991 par le magasin Intermarché d'Yvetot et Leclerc de Houlme soit une semaine avant ce même contrôle.

Force est donc de constater qu'indépendamment du fait qu'il n'est pas démontré que la commune du Houlme même en tenant compte des moyens de déplacement modernes soit dans la même zone d'activités que le magasin X d'Yvetot, il n'est pas établi la réalité d'un alignement au jour précis du contrôle. S'il n'existe pas de délai pour soulever l'exception d'alignement quoiqu'il soit souhaitable d'y procéder rapidement pour prévenir un dépérissement des preuves, encore faut-il que l'alignement lui-même des prix soit en son exécution matérielle préalable au contrôle de l'administration du moins à la mise en vente des produits concernés.

Or, dans un marché en constante évolution et face à une concurrence acharnée en matière de prix entre les magasins notamment les grandes surfaces, la preuve de l'alignement doit être rapportée sans aucune équivoque possible ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

- qu'au demeurant les relevés fournis montrent que l'alignement s'il était établi ne serait que partiel puisque seulement 5 des produits vendus par X avaient des prix identiques à ceux du magasin Leclerc à la date du 4 juillet 1991 (ce qui n'interdit pas de penser que ce serait alors le second qui se serait aligné sur le premier) et 6 des produits vendus par le même X avaient des prix identiques à ceux de Leclerc du Houlme et d'Intermarché d'Yvetot à la date du 25 juin 1991.

Orrien ne permet d'affirmer en ce qui concerne ceux-ci qu'au jour du contrôle les prix de ces 2 derniers nommés soient demeurés identiques à ceux proposés une semaine avant.

- qu'au surplus, le mot " alignement " suppose de par sa définition même le souci de se mettre en conformité avec un événement préexistant ce qui impose une étude préalable de celui-ci. Or le magasin Leclerc ouvrant ses portes le 4 juillet 1991 il est peu probable que Carrefour ait eu le temps de modifier aussi rapidement ses tarifs.

En tout état de cause l'exception d'alignement avancée n'étant pas prouvée par les prévenus, il n'y a pas lieu d'examiner les arguments des parties afférents à l'illégalité du prix qui a prétendument servi de référence à la fixation des prix dans le magasin du prévenu.

Sur l'imputation de l'infraction :

Il est subsidiairement déposé à la barre une délégation de pouvoir de M. B directeur du magasin X d'Yvetot au bénéfice du chef de secteur épicerie M. G.

Il est fourni en ce sens un organigramme non daté du magasin ainsi qu'un " schéma du management X " ici encore non daté et qui n'est en fait qu'un exposé des objectifs et de la politique économique suivis ou à suivre dans l'intérêt du groupe accompagnés d' " exemples d'éléments de mesures possibles pour le poste de chef de secteur ".

Plus sérieusement il est remis une " subdélégation partielle " dans la mesure où le directeur du magasin de Barentin qui l'avait délivrée bénéficiait déjà lui-même d'une délégation du directeur commercial. Cette subdélégation était en faveur du chef de secteur épicerie et stipulait que celui-ci avait " tous pouvoirs " pour " administrer les affaires courantes ", et " s'assurer du respect des règles applicables pour la fixation des prix de vente aux consommateurs ... le droit de la concurrence et les campagnes de publicité ou d'information concernant les produits du secteur ".

Si le délégant prévoyait à cette fin que le délégataire disposait du pouvoir disciplinaire et avait la compétence, l'autorité et les pouvoirs nécessaires pour assurer les responsabilités découlant de la subdélégation partielle à lui consentie, il était toutefois précisé qu'il ne pouvait voir sa responsabilité engagée dans " l'exécution des décisions prises en application des ordres qui lui sont transmis par le siège de la société Sogramo, la direction régionale et celle du magasin ".

Enfin cette délégation demeurait valable même si l'autorité qui l'avait consentie venait à cesser ses fonctions et son successeur n'aurait donc pas à la renouveler.

Ce dernier paragraphe permet d'admettre que le remplacement de M. M par M. B le 1er janvier 1989 avait laissé subsister la délégation.

Toutefois il est pour le moins contestable que ces délégations de pouvoirs ne soient aucunement délivrées intuitu personae et plus précisément en considération des qualités compétences, voire des simples relations réciproques liant le délégant et le délégataire.

Il n'est en outre pas démontré que M. B ait eu le pouvoir de déléguer une partie de ses activités puisque la délégation dont il a lui-même pu bénéficier n'est pas produite ce qui ne permet de vérifier la validité de la subdélégation invoquée.

Celle-ci est au demeurant en contradiction avec les propos de M. G qui a déclaré que les chefs de rayons avaient toutes qualités pour déterminer les prix.

Enfin, s'il est vrai que l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence qui fixe les conditions de constatation, de poursuites et de répression des infractions à la loi du 2 juillet 1963, n'édicte aucune présomption de responsabilité contre le dirigeant de l'entreprise où les pratiques de vente de plusieurs produits à des prix inférieurs au prix d'achat sont constatés, ce dernier ne saurait s'exonérer en invoquant une délégation de pouvoir dès lors que comme en l'espèce les faits incriminés relèvent des fonctions de direction qu'il assure personnellement.

Une fonction de direction implique nécessairement de la part de celui qui l'exerce un rôle d'animation, d'orientation, d'exécution des instructions de la direction régionales ou du siège de la société Y et ne saurait se limiter comme le laisse entendre la subdélégation à s'assurer simplement de la bonne application de la législation sociale et du travail, des règles d'hygiène et de sécurité, des règles de fonctionnement des institutions représentatives du personnel et de la responsabilité d'ester en justice.

Il incombe au directeur de s'assurer que son magasin est en harmonie avec la politique économique du groupe dont il fait partie et si les chefs de secteur ou de rayons peuvent fixer les prix il ne peuvent agir qu'en fonction des ordres qui leurs sont transmis en ce sens notamment en ce qu'elles portent sur les règles de concurrence applicables.

Dans ces conditions la délégation de pouvoir invoquée ne peut être acceptée et M. B Alain sera retenu dans les liens de la prévention.

Par voie de conséquence, M. G simple exécutant des instructions de son supérieur sera renvoyé des fins de la poursuite.

Au regard des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu une peine de 10 000 F doit être prononcée contre M. B Alain.

Il n'apparaît pas opportun d'ordonner la publicité du présent arrêt.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, en la forme, reçoit l'appel, au fond, infirmant le jugement déféré, retient M. B Alain dans les liens de la prévention, en répression, le condamne à une amende de 10 000 F, dit n'y avoir lieu à publicité de la présente décision. Dit n'y avoir lieu à déclarer la société Y civilement responsable en l'absence de citation à son égard. La présente procédure est assujettie à un droit fixe d'un montant de 800 F dont est redevable B. Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à l'article 750 du code de procédure pénale.