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Décisions

CA Rennes, ch. corr., 19 avril 1990, n° 570-90

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Procureur de la République

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Casorla

Conseillers :

MM. Ploux, Le Quinquis

Avocat :

Me Menard

TGI Nantes, ch. corr., du 21 sept. 1989

21 septembre 1989

Statuant sur les appels interjetés le 27 septembre 1989 par M. P et M. E, prévenus et par le Ministère Public, d'un jugement contradictoirement rendu le 21 septembre 1989 par le Tribunal Correctionnel de Nantes qui, pour vente de produit par un commerçant, à un prix inférieur à son prix de revient, défaut d'étiquetage régulier de cinq produits, a condamné chacun des prévenus à une amende de 50 000 F pour le délit et 5 amendes de 1 000 F chacune pour les contraventions, et a condamné solidairement la SA X aux paiements des amendes ;

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Considérant qu'il est fait grief aux prévenus d'avoir, ensemble et de concert, à Orvault, le 20 novembre 1987, en tout cas depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, pour E Jean-Jacques, ès-qualité de directeur du magasin Hypermarché Y de la Conraie et pour P Michel ès-qualité de PDG de la SA X, et en leur qualité de commerçant, revendu les produits suivants à un prix inférieur à son prix d'achat effectif :

EMPLACEMENT TABLEAU

Faits prévus et réprimés par les articles 1 et 4 de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 modifiée par l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 et 55 de ladite ordonnance 86-1243 ;

D'avoir à Orvault, le 13 novembre 1987, en tout cas depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, omis de procéder par voie de marquage, étiquetage, affichage, ou tout autre procédé approprié à l'information du consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente, selon des modalités fixées par l'article 1er de l'arrêté du Ministère de l'Economie en date du 10 novembre 1982 (arrêté min. 82/105/1) et ce en l'espèce en omettant de marquer les produits suivants :

- Coqueline fourrée à la fraise Lu

- Yes noisette Nestlé

- Tilleul menthe La Tisannière 25 sachets

- Spaghettini Ducros

- Crépettes cocktail Michellier fromage

Faits prévus et réprimés par les articles 33 alinéa 2 I du décret 1309 du 29 septembre 1986, 28 de l'ordonnance 1243 du 1er décembre 1986, ordonnance 1483 du 30 juin 1945 ;

Considérant que le 13 novembre 1987 deux fonctionnaires du service de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes se présentaient à l'Hypermarché Y à Orvault ; qu'ils procédaient à des vérifications à l'issue desquelles ils dressaient un procès-verbal en date du 25 janvier 1988 ; qu'ils relevaient dans ce procès-verbal que 5 produits n'étaient pas munis d'une étiquette indiquant le prix de vente à l'unité de mesure :

- Coqueline fourrée à la fraise Lu

- Yes noisette Nestlé

- Tilleul menthe La Tisannière 25 sachets

- Spaghettini Ducros

- Crépettes cocktail Michellier fromage

Qu'ils constataient en outre, après s'être fait communiquer toutes justifications utiles, que le prix de revente à la caisse de 11 produits était inférieur à leur prix d'achat effectif ; qu'ultérieurement les précisions apportées sur le prix d'achat de l'un de ces 11 produits étaient tenus pour suffisamment probantes d'un prix de vente compatible avec la réglementation ; qu'au contraire 10 produits étaient considérés comme revendus à perte ;

- Café moulu sous vide arabica d'altitude philtre d'or 250 gr ;

- Banania Poudre 500 gr ;

- Yes noisette Nestlé 3 x 38 gr ;

- Galettes Saint-Michel 2 x 130 gr ;

- Tartelette abricot pur beurre 150 gr ;

- Coqueline fourrée à la fraise 150 gr

- Rex citron liquide 750 ml ;

- Poudre à laver Mir Express E 3650 g

- Paic citron 750 ml

- Fido pâté morceaux ouf carottes riz - 1220 g

Considérant qu'il n'est pas contesté que les cinq produits préemballés suivants ont été présentés à la vente alors qu'ils étaient dépourvus d'étiquettes indiquant le prix de vente au kilogramme ou à l'hectogramme :

- Coqueline fourrée à la fraise Lu

- Yes noisette Nestlé

- Tilleul menthe La Tisannière 25 sachets

- Spaghettini Ducros

- Crépettes cocktail Michellier fromage

Que les cinq contraventions sont établies par les constatations des enquêteurs ;

Considérant que, sur le délit de revente à perte, il est fait valoir :

- pour les produits Yes, Nestlé, Galette St-Michel, Rex Citron liquide, poudre Mir Express, Paic Citron, que les prix de vente correspondent à ceux pratiqués par les distributeurs concurrents, des relevés étant effectués chaque mois pour aligner les prix de l'hypermarché Y sur ceux des magasins comparables,

- pour les produits Café moulu philtre d'or, Banania, Galette St-Michel, Tartelette Abricot, Coqueline, Fido, que les justifications apportées établissent que le prix de vente est supérieur au prix d'achat effectif après application de ristournes à ce prix ;

Considérant qu'aux termes de l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, est punissable le commerçant, qui revend un produit en l'état, à un prix inférieur à son prix d'achat effectif, ce dernier étant présumé être le prix porté sur la facture d'achat, majoré des taxes sur le chiffre d'affaires des taxes spécifiques afférentes à cette revente et le cas échéant des prix du transport ;

Considérant en outre que l'article 31 alinéa 3 de l'ordonnance de 1986 prescrit que la facture doit mentionner le prix unitaire hors TVA des produits vendus ainsi que tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service, quel que soit la date de règlement ;

Considérant enfin qu'en vertu de l'article 1-II de la loi du 2 juillet 1963, toujours applicable, la revente à perte est autorisée pour les produits dont le prix de revente est aligné sur le prix légalement pratiqué pour les mêmes produits par un autre commerçant dans la même zone d'activité ;

Considérant qu'il appartient aux prévenus d'établir pour la première catégorie de produits, que les distributeurs concurrents pratiquaient un prix égal à celui qu'ils pratiquaient eux-mêmes à la date du contrôle et que ce prix était légal;

Considérant que les prévenus produisent un relevé de prix pratiqués à la date du 6 novembre 1987 dans les magasins Carrefour, Continent et Euromarché de la Région de Nantes pour les cinq produits concernés ;

Mais considérant que ce relevé est dépourvu de toute force probante; qu'il n'établit pas que les prix pratiqués étaient conformes à la loi dans le magasin dont les prévenus disent avoir relevé le prix qu'ils ont adopté;

Quedans deux cas sur cinq ils ont affiché un prix supérieur au prix le plus faible constaté selon le relevé, en sorte qu'ils ne peuvent sérieusement soutenir qu'ils étaient tenus, pour résister à la concurrence, de calquer leurs propres prix sur les prix les plus faibles constatés dans la zone commerciale où ils exercent leur activité ; qu'enfin l'argument tiré des pratiques des concurrents a été invoqué seulement le 7 juin 1988 par M. E, lors de son audition par les services de police ; qu'il ne s'en est pas prévalu au cours de l'enquête administrative ;

Considérant dès lors que les prévenus ne peuvent se prévaloir de la catégorie de revente à perte autorisée par la loi à laquelle ils se réfèrent ;

Considérant qu'il est ainsi établi par les factures d'achat versées aux débats que le prix des produits Yes, Nestlé, Galettes St-Michel, Rex Citron, Poudre Mir et Paic Citron, était inférieur au prix d'achat effectif ; que les prévenus n'apportent pas la preuve d'une exonération légale, que le délit est établi en ce qui concerne ces cinq produits ;

Considérant que pour le produit Café Moulu philtre d'or, à la date du contrôle la facture de livraison du produit du 25 août 1987, laisse apparaître un prix d'achat effectif de 12,765 F alors que le prix constaté le 13 novembre 1987 était de 12,55 F ;

Considérant qu'à la date du 7 juin 1988, M. E a fait valoir que du prix d'achat effectif devait être déduit une ristourne permanente et complémentaire de 4 %, à retrancher du chiffre d'affaire réalisé et que l'incorporation de cette ristourne dans les éléments du prix d'achat effectif avait pour conséquence de l'abaisser à une somme inférieure au prix de vente constaté ;

Mais considérant que la facture du 25 août 1987 ne mentionne pas la ristourne de 4 % à calculer sur le chiffre d'affaires réalisé alors qu'elle énumère d'autres ristournes ; que cette précision n'a été fournie que le 7 juin 1988 bien que les prévenus eussent été mis en mesure de fournir toutes les indications utiles pendant l'enquête de l'administration ; que Jean-Jacques E a successivement fait état d'une remise mensuelle, puis trimestrielle, ces variations conduisant à douter de cette remise ;

Considérant ainsi que les prévenus ne remettent pas sérieusement en cause la présomption qui s'attache aux indications de la facture d'achat du 25 août 1987 ; qu'il est dès lors établi qu'à la date du 13 novembre 1987 le prix de revente du Café moulu philtre d'or était inférieur au prix d'achat ;

Considérant que pour le produit Banania, à la date du contrôle, la facture de livraison de la marchandise par la société Centrale d'approvisionnement SCA Ouest, en date du 6 novembre 1987, laisse apparaître un prix d'achat effectif de 8,872 F TTC alors que le prix constaté le 13 novembre 1987 était de 8,00 F ;

Considérant que pour justifier le prix, les prévenus ont fait valoir que la SA X avait édité le 2 octobre 1987 une facture à l'ordre de " Nutrical Banania " à la suite d'un " accord promotionnel agrandissement " pour un montant de 1,186 F TTC, comprenant pour partie la facture du 6 novembre 1987 ;

Mais considérant que si cette dernière facture, exprimant une coopération commerciale entre deux partenaires est susceptible d'être prise en compte pour l'atténuation du prix d'achat effectif, encore faut-il qu'elle présente des caractéristiques permettant de la tenir pour probante d'un tel accord ; qu'en l'espèce, la facture, manuscrite, à l'orthographe douteuse, ne porte aucune en-tête ; qu'elle apparaît aussi dépourvue de toute valeur probante pour écarter la présomption légale qui s'attache à la facture d'achat du 6 novembre 1987 ; qu'au surplus elle est établie au nom d'un tiers étranger au contrat de vente des marchandises concernées ;

Considérant qu'il est dès lors établi qu'à la date du 13 novembre 1987 le prix de revente du produit Banania était inférieur aux prix d'achat ;

Considérant que pour la tartelette abricot pur beurre, à la date du contrôle, la facture de livraison du produit par la société Andros, en date du 23 octobre 1987, laisse apparaître un prix d'achat effectif de 3,873 F TTC alors que le prix de vente constaté le 13 novembre 1987 était de 3,80 F ;

Considérant que le 7 juin 1988, pour la première fois, les prévenus ont produit un télex de la société Andros confirmant que la facture avait fait l'objet d'un avoir du 13 janvier 1988 d'un montant de 8 % ; qu'ils ont précisé que cet avoir avait été convenu lors des négociations d'achat et avait fait l'objet d'une lettre de réclamation en date du 30 octobre 1987 ; qu'ils n'avaient pas été en mesure de produire les justificatifs plus rapidement en raison du litige qui les opposait au fournisseur ;

Mais considérant que si le télex de la société Andros établit que la SA X bénéficie d'un avoir, il n'est nullement démontré qu'à la date du contrôle cet avoir lui était acquis ; qu'au contraire il résulte de l'argumentation même des prévenus qu'un litige les opposait à la société Andros ; que la réduction de 8 % ne pouvait dès lors être tenue pour certaine ; qu'ainsi les prévenus ne s'affranchissent pas de la présomption qui fait du prix porté sur la facture du 23 octobre 1987 le prix d'achat effectif ;

Considérant qu'il est dès lors établi qu'à la date du 13 novembre 1987, le prix de revente des tartelettes abricot était inférieur au prix d'achat ;

Considérant que pour les coquelines fourrées à la fraise, à la date du contrôle, la facture de livraison du produit par le grossiste la société Centrale d'Approvisionnement, fait apparaître un prix d'achat effectif de 4,462 F alors que le prix de vente constaté était de 4,40 F TTC ;

Considérant que les prévenus font valoir que le prix de base hors taxe doit être réduit par application d'une remise de fin d'année de 1,65 % ;

Mais considérant que le document justificatif produit concerne la ristourne consentie par le fournisseur au grossiste et non au détaillant ; que les prévenus n'établissent pas que cette ristourne était exclue du prix facturé à la société X par la société Centrale d'approvisionnement ;

Considérant dès lors qu'il convient d'appliquer le prix résultant de la facture d'achat ; qu'il est établi qu'à la date du 13 novembre 1988 le prix de revente des coquelines fourrées était inférieur au prix d'achat ;

Considérant enfin pour le produit Fido qu'à la date du 13 novembre 1987 la facture de livraison du produit par la société Centrale d'approvisionnement fait apparaître un prix d'achat effectif de 7,839 F TTC pour un prix de vente constaté de 7,80 F TTC ;

Considérant que les prévenus font valoir que le prix de base hors taxe doit être réduit d'une remise de fin d'année de 0,5 % ;

Mais considérant que, comme dans le cas précédent, le document justificatif concerne la ristourne consentie par le fournisseur au grossiste, et non au détaillant ; que les prévenus n'établissent pas que cette ristourne était exclue du prix facturé à la société X par la société Centre d'approvisionnement ;

Considérant dès lors qu'il convient d'appliquer le prix résultant de la facture d'achat ; qu'il est ainsi établi qu'à la date du 13 novembre 1987, le prix de revente du produit Fido était inférieur au prix d'achat ;

Considérant que le délit est établi en ce qui concerne les produits Philtres d'Or, Banania, Tartelette abricot, Coqueline fourrée à la fraise et Fido ;

Considérant que Michel P fait valoir qu'il n'exerce pas les fonctions de PDG de la société X mais qu'il en est seulement Directeur Général ; qu'il a expressément donné à Jean-Jacques E délégation de pouvoir notamment pour l'application de la législation commerciale ; qu'il doit dès lors être relaxé des fins de la poursuite ;

Mais considérant qu'il n'est produit aucune pièce, telle une délibération du conseil d'administration de la SA X ou un extrait du registre du commerce établissant que Michel P n'est pas PDG de la société ; qu'au contraire le contrat de travail de M. E en date 1er septembre 1985 signé par " Michel P, Président Directeur Général " est joint au dossier ; qu'invité par lettre du 11 janvier 1988 es-qualité de PDG de la SA X, à assister à la clôture du procès-verbal relatant les faits constatés par les agents chargés du contrôle, Michel P n'a pas protesté contre l'inexactitude des fonctions qui lui étaient attribuées et au contraire a donné pouvoir à Jean-Jacques E pour le représenter ; qu'en outre, non comparant devant le Tribunal Correctionnel, Michel P avait donné pouvoir à son avocat pour le représenter à l'audience en mentionnant sa qualité de " Président-Directeur-Général du Y 42 La Conraie - Orvault " ; qu'enfin Michel P n'a pas contesté cette qualité devant les premiers juges ;

Considérant qu'il apparaît que Michel P a la qualité de chef d'entreprise de la SA X ;

Considérant qu'en matière d'infraction à la législation économique, le chef d'entreprise ne peut se prévaloir d'une délégation de pouvoir donnée à un subordonné; qu'il lui appartient de veiller personnellement à l'application de cette législation;

Que l'étiquetage insuffisant et la revente à un prix inférieur au prix d'achat de plusieurs produits révèlent que Michel P a au moins commis une faute de surveillance qui justifie qu'il soit déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés ;

Considérant que Jean-Jacques E était, aux termes de son contrat de travail, chargé de la direction de l'hypermarché, qu'il lui appartenait notamment de veiller au respect de la réglementation portant sur les prix de vente ainsi que l'étiquetage des produits ; qu'en proposant à la vente des marchandises dont l'étiquetage était insuffisant et encore à un prix inférieur au prix d'achat, il a commis une faute qui justifie qu'il soit déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés ;

Considérant dès lors qu'il convient de confirmer le jugement sur la qualification des faits et sur la culpabilité des deux prévenus ;

Considérant que les sanctions prononcées pour le délit et pour les cinq contraventions apparaissent justifiées et seront confirmées ;

Considérant enfin qu'il convient de confirmer le jugement en ses dispositions où il a condamné solidairement la SA X au paiement des amendes par application de l'article 54 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; par défaut à l'égard de la SA X ; En la forme : Reçoit les appels ; Au fond : Confirme en toutes ses dispositions le jugement ; Condamne MM. P Michel et E Jean-Jacques aux dépens de première instance et d'appel liquidés à la somme de mille trente trois francs trente trois (1 033,33 F) ; En ce compris le droit fixe du présent arrêt, le droit de poste et non compris les frais postérieurs éventuels, ni le montant des amendes prononcées ; Prononce la contrainte par corps. Le tout en application des articles : 1 et 4 de la loi 63-628 du 2 juillet 1963 modifiée par l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 et 55 de ladite ordonnance 86-1243 ; 473, 749 et 750 du Code de Procédure Pénale.