Cass. crim., 11 mars 1991, n° 90-83.855
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tacchella
Rapporteur :
M. Souppe
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Tiffreau, Thouin-Palat
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par P Michel, E Jean-Jacques, la société X, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 19 avril 1990, qui les a condamnés les deux premiers pour revente de produits à perte à 50 000 francs d'amende, et pour contraventions à la réglementation relative à l'information du consommateur à 5 amendes de 1 000 francs, et a déclaré la société tenue solidairement au paiement de ces amendes.
I. Sur le pourvoi formé par la société X : - Sur la recevabilité du pourvoi : - Vu les articles 487, 493, 567 et 568 du Code de procédure pénale ; - Attendu que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire, ouverte seulement contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort, qui ne sont pas susceptibles d'être attaqués par les voies ordinaires au moment où le recours est formé ;
Attendu que la société X s'est pourvue en cassation contre l'arrêt qui avait été rendu par défaut à son égard alors que seule la voie de l'opposition lui était ouverte ; que, dès lors, le pourvoi n'est pas recevable ;
II. Sur le pourvoi formé par les deux autres demandeurs : - Vu le mémoire produit en commun ; - Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 1 et 4 de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 modifiée par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 28, 32, 54 et 55 de ladite ordonnance, 33 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, 6, 7 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 485, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
"en ce que la cour d'appel déclare les prévenus coupables des délits de revente à un prix inférieur au prix d'achat effectif et de contravention de défaut d'étiquetage régulier de produits, les condamne solidairement avec l'entreprise au paiement de peines d'amendes ;
"aux motifs qu'il appartient aux prévenus d'établir pour la première catégorie de produits que les distributeurs concurrents pratiquaient un prix égal à celui qu'ils pratiquaient eux-mêmes à la date du contrôle et que ce prix était légal, ce qu'ils ne démontrent pas ; que dans deux cas sur cinq, ils ont affiché un prix supérieur au prix le plus faible constaté selon le relevé, en sorte qu'ils ne peuvent sérieusement soutenir qu'ils étaient tenus, pour résister à la concurrence, de calquer leurs propres prix sur les prix les plus faibles constatés dans la zone commerciale où ils exercent leur activité ; qu'enfin l'argument tiré des pratiques des concurrents a été invoqué seulement le 7 juin 1988 par Exmelin lors de son audition par les services de police ; qu'il ne s'en est pas prévalu au cours de l'enquête administrative ; que dès lors les prévenus ne peuvent se prévaloir de la catégorie de revente à perte autorisée par la loi à laquelle ils se réfèrent ; que s'agissant des autres produits, les documents produits ne renversent pas la présomption s'attachant aux indications de la facture d'achat ;
"alors que 1°) il incombait à la partie poursuivante de rapporter la preuve de ce que les prévenus avaient eu, lors de la revente des produits, connaissance de l'illicéité des prix pratiqués par la concurrence ; que, dès lors, en retenant la culpabilité des prévenus sans avoir constaté cette connaissance, qu'ils ne pouvaient d'ailleurs avoir en raison de l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient d'accéder aux accords de coopération commerciale passés par leurs concurrents, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que 2°) s'agissant du Café Moulu Philtre d'Or, en dénaturant par omission la facture n° 706126 du 28 août 1987, émanant du fournisseur Vaudour Sanon SA, et faisant état de l'avoir ristourne de 4 % dont elle contestait la réalité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que 3°) s'agissant des tartelettes abricot Andros, en écartant la remise de 8 % au motif erroné tiré de l'existence d'un litige à l'époque de la constatation des faits, alors qu'il ne s'agissait que d'une erreur de facturation imputable au fournisseur, qui l'avait rectifiée au vu de la réclamation de remise promo de 8 % omise formulée par la société X quelques jours après la première facturation, sans qu'il importât que cette régularisation fût reçue 2 mois après la réclamation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que 4°) s'agissant des coquelines fourrées à la fraise et du produit Fido, en écartant la remise de fin d'année au motif erroné qu'elle aurait été consentie par le fournisseur au grossiste, alors qu'il ne s'agissait pas d'un grossiste mais de la centrale d'achat du groupe Leclerc à laquelle adhère le centre distributeur exploité par la société X, la cour d'appel a dénaturé l'accord fournisseur et violé les textes susvisés ;
Attendu que Michel P et Jean-Jacques E sont poursuivis notamment pour avoir offert à la vente dans le magasin de la SA X, dont ils sont les dirigeants, divers produits à des prix inférieurs à leurs prix d'achat effectifs ; Attendu que, pour répondre aux conclusions des prévenus qui, pour certains produits, prétendaient déduire, dans le calcul des prix d'achat effectifs, diverses ristournes et remises et, pour d'autres marchandises, invoquaient l'alignement des prix pratiqués sur ceux de la concurrence, et pour déclarer constitués l'ensemble des faits délictueux visés à la prévention, la cour d'appel énonce, en ce qui concerne la première catégorie de produits, que la facture, qui est présumée exprimer le prix d'achat effectif, doit, aux termes de l'article 31, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, mentionner tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service, quelle que soit la date du règlement ; que l'arrêt constate ensuite pour chaque produit incriminé qu'eu égard à la prescription susrappelée et compte tenu de diverses circonstances de fait que les juges exposent, les prévenus n'apportent pas la preuve contraire à la présomption qui s'attache à la facture d'achat ; qu'en ce qui concerne la seconde catégorie de produits au nombre de cinq, les juges du fond, après avoir énoncé que la preuve des prix légalement pratiqués par un autre commerçant incombe aux prévenus, relèvent qu'il n'est pas établi que les prix de revente incriminés aient été fixés en considération des prix plus faibles figurant sur le relevé dont il est fait état, dès lors que, d'une part, dans deux cas sur cinq, les prévenus ont affiché un prix supérieur, ce qui exclut qu'ils aient été contraints à revendre à perte par la nécessité de s'aligner sur la concurrence, et que, d'autre part, ils n'ont invoqué l'exception que tardivement alors que les éléments justificatifs étaient nécessairement contemporains des faits auxquels ils prétendaient les appliquer ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations et constatations relevant de leur pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve contradictoirement débattus, les juges du fond ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués; que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1 et 4 de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 modifiée par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 28, 32, 54 et 55 de ladite ordonnance, 33 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, 6, 7, 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 485, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
"en ce que la cour d'appel déclare P coupable des chefs de délit de revente à un prix inférieur au prix d'achat effectif et de contravention de défaut d'étiquetage régulier de cinq produits et le condamne au paiement de peines d'amende ;
"aux motifs que Michel P a la qualité de chef d'entreprise de la SA X ; qu'en matière d'infraction à la législation économique le chef d' entreprise ne peut se prévaloir d'une délégation de pouvoir donnée à un subordonné ; qu'il lui appartenait de veiller personnellement à l'application de cette législation ; que l'étiquetage insuffisant et la revente à un prix inférieur au prix d'achat de plusieurs produits révèlent que Michel P a au moins commis une faute de surveillance qui justifie qu'il soit déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés (v. arrêt attaqué p. 9 in fine) ;
"alors que 1°) le chef d'entreprise peut s'exonérer de la responsabilité pénale encourue à raison d'infractions à la réglementation économique en démontrant qu'il a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui de la compétence et de l'autorité nécessaires pour veiller efficacement à l'observation de la loi ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que 2°) en retenant la responsabilité pénale du chef d'entreprise au motif général et absolu qu'il avait au moins commis une faute de surveillance, sans avoir constaté en fait que le prévenu aurait commis lui-même les faits poursuivis ou les aurait laissé commettre en connaissance de cause, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Attendu que, pour rejeter les conclusions de P qui invoquait la délégation de pouvoirs par lui consentie à E, directeur commercial, notamment pour l'application de la législation spécifique, les juges du second degré, après avoir relevé que le prévenu était président-directeur général de la SA X, énoncent qu'en matière d'infraction à la législation économique, le chef d'entreprise ne peut se prévaloir d'une délégation de pouvoirs donnée à un subordonné et qu'il lui appartient de veiller personnellement à l'application de la législation ; qu'ils retiennent que l'étiquetage insuffisant et la vente de plusieurs produits à un prix inférieur au prix d'achat révèlent à la charge de P une faute de surveillance justifiant la déclaration de culpabilité de ce prévenu ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet, dès lors qu'est caractérisé l'élément matériel de l'infraction poursuivie, les juges répressifs, pour en imputer la responsabilité au prévenu, ont toute liberté de fonder leur conviction sur les faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus ; que s'il est vrai que l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, qui fixe les conditions de constatation, de poursuites et de répression des infractions à la loi du 2 juillet 1963, n'édicte aucune présomption de responsabilité contre le dirigeant de l'entreprise où les pratiques illicites sont constatées, ce dernier ne saurait s'exonérer en invoquant une délégation de pouvoirs dès lors que, comme en l'espèce, les faits incriminés relèvent des fonctions de direction qu'il assume personnellement; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Déclare irrecevable le pourvoi de la SA X ; rejette le pourvoi de Michel P et de Jean-Jacques E.