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Décisions

CA Pau, 2e ch., 22 juin 1995, n° 94001498

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Stéphan

Défendeur :

Desmazières (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Biecher

Conseillers :

M. Roux, Mme Grenier

Avoués :

SCP Piault-Lacrampe-Carraze, SCP Longin

Avocat :

Me Ben Soussen

T. com. Pau, du 8 déc. 1993

8 décembre 1993

Par jugement en date du 8 décembre 1993 le Tribunal de commerce de Pau déboute Mme Marianne Stéphan de sa demande en nullité de contrats de franchise, et de sa demande de résiliation desdits contrats, ainsi que de sa demande d'octroi de délais de paiement pour apurer sa dette vis-à-vis de la SA Desmazières ;

- la condamne à payer à la SA Desmazières la somme principale de 184 356,10 F au titre des marchandises impayées,

- celle de 10 000 F à titre de dommages-intérêts,

- la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 Nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Mme Stéphan a interjeté appel de ce jugement.

Elle expose que début 1987 elle a conclu avec la SA Desmazières un contrat de franchise en vue de l'exploitation d'une boutique à Gien, sous l'enseigne " Petit Boy ", puis en 1988 une seconde convention pour l'exploitation d'une boutique à Montargis ;

- qu'elle a toujours respecté son obligation d'approvisionnement exclusif en produits " Petit Boy " mais qu'en revanche la SA Desmazières vendait les mêmes produits dans des points de vente situés sur le territoire concédé à Mme Stéphan ; que celle-ci n'avait pas la possibilité de modifier le prix de revente des marchandises qui lui était imposé ; que la Sté Desmazières n'a pas fourni la formation et l'assistance contractuellement dûes, que Mme Stéphan en proie à des difficultés a du cesser son activité ;

L'appelante soulève la nullité du jugement du Tribunal de commerce qui n'est pas signé et qui est dépourvu de motivation ;

A titre subsidiaire elle demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et prononce la nullité des contrats de franchise, faisant valoir l'indétermination des prix et l'impossibilité qu'ils soient librement débattus ;

- le fait que les prix étaient imposés, sous le biais de " prix conseillés ",

- l'abus de dépendance économique, Marianne Stéphan étant liée par une clause d'approvisionnement exclusif,

- le défaut de cause, les trois éléments constitutifs du contrat de franchise : savoir-faire, assistance, enseigne possédant une notoriété certaine, n'étant pas réunis.

Elle demande en conséquence à la Cour la restitution des sommes versées au titre des contrats de franchise annulés, soit 50.000, 00 F au titre du droit d'entrée, 55.122, 58 F au titre des redevances de publicité, 374.847, 91 F au titre des installations,

- la somme de 1.453.000, 00 F à titre de dommages intérêts correspondant au préjudice subi,

- les marges bénéficiaires concernant la vente des produits ; elle demande à ce titre une provision de 500.000,00 F et l'organisation d'une mesure d'expertise afin de les déterminer et faire les comptes entre les parties.

A titre subsidiaire, elle demande que soit prononcée la résiliation des contrats de franchise aux torts exclusifs de la SA Desmazières qui sera condamnée à lui payer la somme de 1.912.970,40 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Enfin, en toute hypothèse :

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme Stéphan à payer la somme de 58.304,09 F au titre de la clause pénale et voire réduire cette clause pénale à 1,00 F de dommages-intérêts,

- dire et juger que Mme Stéphan n'a commis aucun abus de droit dans le cadre de l'exercice de ses droits à la défense,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme Stéphan à payer 10.000,00 F au titre de dommages intérêts pour procédure abusive,

- ordonner la compensation judiciaire des sommes mises à la charge des parties,

- accorder en toute hypothèse les plus larges délais à Mme Stéphan afin d'apurer sa dette conformément aux dispositions de l'article 1244-1 du Code civil,

- condamner la Sté Desmazières à verser à Mme Stéphan la somme de 30.000,00 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- condamne la Sté Desmazières aux entiers dépens.

La SA Desmazières intimée, conteste la nullité du jugement, Mme Stéphan n'ayant reçu qu'une copie signifiée de telle sorte que le moyen invoqué manque en droit ; qu'en tout état de cause la Cour statuera par l'effet dévolutif de l'appel ;

Elle soutient que les contrats de franchise ne créent que des obligations de faire et non de donner, ces dernières étant seules soumises à l'article 1129 du Code Civil, que les contrats litigieux ne font aucune obligation d'achats minimum et ne comportent aucune fixation de prix,

- que l'étiquette comportant un prix consommateur conseillé ne crée pas d'obligation pour le franchisé qui conserve sa liberté d'action au regard de sa politique de prix clients,

- que Mme Stéphan connaissait obligatoirement le prix d'achat des marchandises livrées avec facture en fonction de laquelle elle déterminait son prix de vente et sa marge,

- que le grief d'abus de dépendance économique n'est pas fondé ni justifié, que l'existence d'une clause d'approvisionnement exclusif ne peut en soi être constitutif d'un abus de dépendance économique,

- qu'enfin, la SA Desmazières assure le suivi des franchisés et leur transmet tout son savoir-faire ainsi que le démontrent les correspondances échangées entre les parties ;

- que la demande en résiliation des contrats de franchise aux torts du franchiseur est paradoxale alors que Mme Stéphan a pris unilatéralement la décision de ne pas reconduire les contrats.

Sur le préjudice invoqué, l'intimée soutient qu'il est inexistant ; que l'appelante réclame des sommes importantes sans s'expliquer de façon détaillée sur chacun des postes de préjudice.

La SA Desmazières sollicite en conséquence la confirmation de la décision entreprise, en toutes ses dispositions, et réclame la somme de 30.000,00 F à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, et celle de 15.000,00 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile, ainsi que la condamnation de Mme Stéphan aux entiers dépens.

Motifs :

Sur la nullité du jugement.

Attendu que le jugement du Tribunal de commerce de Pau frappé d'appel figure au dossier ; qu'il est signé tant par le président que par le greffier ;

Qu'il est longuement motivé sur chaque point soulevé par les parties ;

Que le moyen de nullité invoqué par l'appelante doit être rejeté ;

Sur l'indétermination du prix des marchandises vendues par Desmazières à Mme Stéphan et le prix de revente " conseillé ".

Attendu que les contrats de franchise conclus entre les parties contiennent une clause d'approvisionnement exclusif à la charge de Mme Stéphan qui a respecté son engagement ;

Attendu que le contrat litigieux n'impose pas au franchisé de procéder à des achats minimums, qu'il n'existe donc aucune obligation de quota, qu'en revanche, il ne contient aucune fixation du prix des marchandises ;

Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que Mme Stéphan établissait ses commandes lors de showrooms organisés par le franchiseur, selon les catalogues et tarifs qui lui étaient remis ; que les tarifs communiqués établis unilatéralement par le franchiseur étaient les " tarifs-consommateurs " ;

Que le prix d'achat de ses commandes à Desmazières ne lui était connu que lors de l'envoi des factures, postérieurement à la livraison ; que le franchisé n'avait aucune possibilité de discuter le prix d'achat avec le franchiseur ;

Attendu que tout en stipulant que le franchisé demeure libre de ses prix de revente, le contrat indique que tous les articles seront livrés avec un prix consommateur conseillé marqué, " afin d'accroître la cohérence entre les magasins " ;

Que Desmazières informait son franchisé qu'il avait toute liberté de vente au-dessus ou au-dessous du tarif " conseillé " maisque celui-ci figurait sur l'étiquette agrafée sur le vêtement; que le client consommateur, en cas d'articles défectueux, devait présenter obligatoirement l'étiquette afin d'obtenir la garantie du franchiseur; qu'il était donc impossible de la modifier;

Qu'il s'ensuit que le franchisé se trouvait, en fait, dans l'obligation d'appliquer le tarif déterminé et transmis par le franchiseur, et que cette tarification, généralisée à l'ensemble du réseau, conduit à l'établissement de prix uniformes, le distributeur étant lié par la politique des prix établie par le franchiseur et perdant, de ce fait, la maîtrise de ses marges;

Qu'au surplus le contrat de franchise prend le soin d'interdire au franchisé en son article 4, dernier alinéa, de pratiquer des remises ou ristournes " abusives " pouvant discréditer l'image des produits de la chaîne et affaiblir sa notoriété;

Qu'ainsi, dans le cadre de l'exécution de la clause d'approvisionnement exclusif figurant au contrat, il est établi que les prix n'étaient pas librement débattus et acceptés par les parties ; que de tels agissements sons contraires aux dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu que l'appelante, dans la mesure où elle était liée à la société Desmazières par une clause d'approvisionnement exclusif et où la société Desmazières déterminait seule le prix des marchandises vendues à son franchisé et le prix de revente desdites marchandises, se trouvait sous la dépendance économique du franchiseur en violation des article 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu que la résiliation amiable du contrat pour l'avenir ne fait pas obstacle à sa remise en cause pour la période antérieure correspondant à la durée du contrat ;

Qu'il convient en conséquence de faire droit à l'appel de Mme Stéphan et de prononcer la nullité des contrats en date des 6 mai 1987 et 29 avril 1988; que l'examen des autres moyens soulevés par l'appelante devient sans objet ; qu'il échet toutefois de constater, au vu des pièces du dossier, que Petit Boy a fourni au franchisé une enseigne possédant une notoriété certaine, une assistance sous forme de publicités à l'échelon national et local, un savoir-faire sous forme de conseils tels que justifiés par la correspondance produite et les réunions d'information dont il y aura lieu de tenir compte lors de l'établissement des comptes entre les parties ;

Sur les conséquences de la nullité.

Attendu que la nullité des conventions impose que chacune des parties soit replacée dans la situation dans laquelle elle se trouvait antérieurement au contrat ;

Qu'il y a compte à faire entre les parties, les éléments du dossier étant insuffisants pour permettre de chiffrer de façon précise les restitutions auxquelles chacune peut prétendre, au regard des marchandises et prestations fournies par Petit Boy d'une part, et des frais déboursés par Mme Stéphan notamment au titre du droit d'entrée et des redevances versées au franchiseur d'autre part, ainsi que les pertes de gains et de marges bénéficiaires que le franchisé a pu subir ;

Qu'il convient en conséquence d'ordonner une mesure d'expertise et de surseoir à statuer sur les demandes formulées par l'une et l'autre des parties ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, et en dernier ressort ; Déclare régulier et recevable en la forme l'appel interjeté ; Déboute l'appelante de sa demande en nullité du jugement du Tribunal de commerce de Pau en date du 8 décembre 1993 ; Au fond, réforme le jugement du Tribunal de commerce de Pau du 8 décembre 1993 ; Prononce la nullité des contrats de franchise intervenus entre la SA Desmazières et Mme Stéphan, les 6 mai 1987 et 29 avril 1988 ; Sursoit à statuer sur l'ensemble des demandes des parties et avant-dire droit ordonne une mesure d'expertise aux frais avancés de la SA Desmazières ; Donne commission rogatoire à M. le Président du Tribunal de grande instance de Montargis aux fins de désignation d'un expert ayant pour mission, après avoir pris connaissance du dossier et entendu contradictoirement les parties : - d'examiner les factures litigieuses relatives aux marchandises livrées par la SA Desmazières à Mme Stéphan, en indiquer le montant, rechercher si elles ont été réglées en totalité ou partiellement ; dire le solde du prix pouvant rester dû à la SA Desmazières ; - rechercher les sommes déboutées par Mme Stéphan au titre des droits d'entrée et agencements de magasins pour mise en conformité à la franchisé ; - fournir tous éléments techniques et de fait permettant de déterminer les marges bénéficiaires brutes réalisées par la SA Desmazières sur chacune de ses livraisons et chiffrer la valeur des prestations que cette société a fournies à Mme Stéphan pendant l'exécution du contrat, dont le franchiseur pourrait demander qu'elle soit déduites de sa marge bénéficiaire brute ; - fournir tous éléments techniques et de fait permanent de déterminer les marges bénéficiaires brutes réalisées par Mme Stéphan sur la vente des vêtements commandés à la SA Desmazières, la rémunération à laquelle elle peut prétendre pour services rendus, ainsi que les frais dont elle serait justifiée à demander le remboursement ; - au vu de l' ensemble de ces éléments, de proposer un état des comptes entre les parties ; Fixe la somme de 5 000 F le montant de la provision à valoir sur le rémunération de l'expert et à consigner au greffe de la Cour par la SA Desmazières dans le délai maximum de un mois du présent arrêt à peine de caducité de la désignation de l'expert ; Dit que l'expert devra dresser un rapport écrit de ses travaux comprenant toutes annexes explicatives utiles à déposer au greffe de la Cour dans un délai maximum de trois mois à compter de la date figurant sur l'avis de consignation de la provision, sauf propagation demandée au magistrat de la mise en état ; Dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement, d'office ou sur simple requête de la partie la plus diligente par ordonnance du magistrat de la mise en état ; Ordonne le renvoie de la procédure à la mise en état ; Réserve les dépens.