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Décisions

CA Douai, 2e ch. civ., 5 décembre 1991, n° 6203-90

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Daubresse

Défendeur :

Les Fils de Louis Mulliez (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bononi

Conseillers :

Mme Giroud, M. Delaude

Avoués :

SCP Le Marc'Hadour Pouille Groulez, Me Cocheme

Avocats :

Mes Gast, Duras

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 25 juill. …

25 juillet 1990

Faits et procédure

Depuis 1955, la société les Fils de Louis Mulliez exploite un concept de distribution de franchise sous l'enseigne Phildar dans le secteur du fil à tricoter, des bas, collants, chaussettes et produits annexes, auxquels sont venus s'ajouter récemment articles de lingerie féminine et pulls prêts à porter.

En 1967, Madeleine Daubresse qui exploite un magasin à Saint André a conclu un contrat de client privilégié avec la société Les Fils de Louis Mulliez.

Puis, le 29 avril 1985, elle a signé avec cette même société une convention intitulée " contrat de franchise Phildar " pour une durée de 4 ans expirant le 31 mars 1989. Le même jour, un avenant a été régularisé aux termes duquel la franchisée s'engageait à réaliser, dans le délai de 4 ans, les travaux nécessaires à la mise aux nouvelles normes du magasin type 1985 ; Madame Daubresse a exécuté ces travaux pour un coût de 200 000 F.

A cette époque, la société Les Fils de Louis Mulliez avait établi un compte d'exploitation prévisionnel sur 3 années, prévoyant l'évolution du chiffre d'affaires comme suit :

- 870 000 F en 1986,

- 957 000 F en 1987,

- 1 000 000 F en 1988.

En réalité, Madeleine Daubresse n'a réalisé que les chiffre d'affaires suivants :

- 754 249 F en 1986,

- 744 920 F en 1987,

- 613 322 F en 1988.

Le contrat de franchise imposait à la franchisée de ne vendre dans son magasin que les produits de la marque Phildar ; après avoir vainement sollicité de la société Les Fils de Louis Mulliez l'autorisation de vendre d'autres produits, Madeleine Daubresse a passé outre son refus et a vendu des vêtements de la marque Naf Naf (constat d'huissier du 16 novembre 1988). Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er décembre 1988, le franchiseur l'a mise en demeure de cesser de vendre des produits concurrents en lui rappelant la clause résolutoire contractuellement prévue.

Exposant que la société Les Fils de Louis Mulliez était responsable de son manque à gagner et que la chute du chiffre d'affaires était due aux carences et erreurs du service marketing du franchiseur, Madeleine Daubresse l'a fait assigner le 11 avril 1989 en réparation de son préjudice.

La société Les Fils de Louis Mulliez a conclu au rejet des demandes formées à son encontre et, à titre reconventionnel, a réclamé condamnation de Madeleine Daubresse à lui payer le prix de fournitures non réglées ainsi que des dommages-intérêts.

Par jugement rendu le 25 avril 1991, le Tribunal de commerce de Roubaix Tourcoing :

1) a débouté Madeleine Daubresse de toutes ses demandes,

2) a condamné celle-ci à payer à la société Les Fils de Louis Mulliez la somme de 137.351,24 F pour fournitures impayées avec intérêts de droit à compter du 11 avril 1989, jour de la mise en demeure,

3) débouté la société Les Fils de Louis Mulliez du surplus de ses demandes,

4) ordonné l'exécution provisoire de la condamnation en principal.

Madeleine Daubresse qui a relevé appel, a obtenu la suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement par ordonnance de Monsieur le Premier Président du 26 octobre 1990.

Moyens et prétentions

Par conclusion du 23 janvier 1991, l'appelante demande à la Cour :

1) de déclarer son appel recevable et bien fondé,

2) de prononcer la nullité du contrat de franchise ou, à défaut, sa résolution ou sa résiliation avec toutes conséquences de droit,

3) de condamner la société Les Fils de Louis Mulliez à lui payer les sommes de :

906 116 F avec intérêts de droit à compter de l'assignation,

20 000 F à titre de dommages-intérêts complémentaires,

10 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

4) de rejeter toutes les demandes de la société Les Fils de Louis Mulliez.

Madeleine Daubresse invoque comme causes de nullité du contrat de franchise :

1) l'abus de position dominante du franchiseur à son encontre et son état de dépendance économique,

2) l'indétermination du prix et de la quotité de la chose livrée,

3) la pratique du prix imposé,

4) le dol,

5) la nullité de la clause d'approvisionnement exclusif au regard des dispositions de l'article 85 du Traité de Rome.

L'appelante fait encore valoir que cette clause d'approvisionnement exclusif, à la supposer valable, serait inapplicable en raison de l'inexécution par le franchiseur de ses obligations (manquements à ses obligations de réussite, de conseil, d'approvisionnement et pratiques tendant à l'avertissement du franchisé) inexécution devant entraîner la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Les Fils de Louis Mulliez.

Selon écritures du 19 juin 1991, l'intimée conclut :

- à la confirmation du jugement déféré,

- au rejet de toutes les demandes de l'appelante,

- à la condamnation de Madeleine Daubresse à lui payer les sommes de :

80 000 F en réparation du préjudice subi par sa résistance abusive et sa mauvaise foi,

100 000 F en réparation de l'atteinte portée à la marque et à l'enseigne Phildar,

20 000 F pour frais irrépétibles.

Aux moyens soulevés par l'appelante, la société Les Fils de Louis Mulliez réplique :

- que le contrat de franchise n'est entaché d'aucune nullité,

- qu'elle a rempli toutes ses obligations de franchiseur, alors que Madeleine Daubresse a gravement méconnu celles incombant au franchisé.

Motifs

1) Sur la validité du contrat de franchise

a) Sur le dol

La franchisée reproche à la société Les Fils de Louis Mulliez de lui avoir présenté des comptes de résultat prévisionnels manifestement irréalistes compte tenu de l'état du marché qui était en régression (baisse de 30 à 40 % du chiffre d'affaires du franchiseur), tout en lui imposant de faire des travaux d'agrandissement dans son magasin.

Mais elle ne démontre pas les manœuvres dolosives qui auraient été commises par le franchiseur et l'auraient déterminée à signer le contrat de franchise du 29 avril 1985 ; en effet :

- après plus de 22 ans d'activité sous l'enseigne Phildar, Madeleine Daubresse avait une connaissance suffisante du marché pour apprécier les comptes prévisionnels établis par le franchiseur et en tempérer l'optimisme, étant observé que celui-ci n'en garantissait pas juridiquement la réalisation;

- de surcroît, le rôle du franchiseur tel que défini au contrat est d'aider le franchisé pour l'étude du marché local et de ses potentialités commerciales, sans se substituer à celui-ci, qui demeure un commerçant indépendant et responsable.

Le moyen tiré de la nullité du contrat pour dol doit en conséquence être écarté.

b) Sur l'indétermination du prix et de la quotité livrée

Le contrat de franchise Phildar fait peser sur la franchisée une obligation d'approvisionnement exclusif auprès du franchiseur (article IV-4-8) qui est mentionnée comme étant la condition déterminante de la convention.

Ainsi, indépendamment des autres obligations de faire mise à la charge de chacune des parties, l'obligation essentielle pesant sur elles est une obligation de donner ; le contrat litigieux est dès lors soumis aux dispositions de l'article 1129 du Code civil : la chose et le prix doivent être déterminés ou déterminables.

- La chose est déterminée puisqu'il s'agit de produits Phildar ; la quotité est déterminable : la franchisée achetant les produits sous sa responsabilité et devant disposer d'un choix suffisamment large d'articles de manière à être en mesure de présenter à la clientèle la collection de produits adaptés aux consommateurs locaux (article IV-4-9) ; contrairement à ce que soutient l'appelante, la preuve n'est pas rapportée que la société les Fils de Louis Mulliez lui ait imposé le choix des produits.

- Les stipulations contractuelles sur la détermination du prix (article III-3-6) peuvent se résumer ainsi :

le tarif de facturation des marchandises est déterminé au moment de la signature du contrat par les tarifs du franchiseur,

le franchiseur sera amené dans l'avenir à modifier en hausse ou en baisse le prix des produits pour suivre les tarifs de ses propres fournisseurs et fabricants, les prix et cours du marché et le jeu de la concurrence,

dans le cas d'une contestation par le franchisé d'une modification importante du prix, le Tribunal de commerce saisi par la partie la plus diligente devra, dans les 3 mois de sa saisine, désigner deux arbitres ayant pour mission d'établir une proposition de prix qu'ils soumettront aux parties pour accord,

dans le cas où l'une ou l'autre des parties ne voudrait pas accepter et appliquer la proposition de prix ainsi établie, le contrat se trouverait résilié sans aucune indemnité de part et d'autre.

- La clause à dire d'expert ainsi convenue est valable, les arbitres désignés par le Tribunal de commerce présentant toute garantie d'indépendance vis-à-vis des parties et devant fixer le prix en dehors de tout arbitraire.

- Le prix et la quotité sont ainsi déterminables hors l'arbitraire du franchiseur.

c) Sur les prix imposés

La franchisée fait grief à la société Les Fils de Louis Mulliez d'imposer les prix de revente des produits qui sont théoriquement conseillés.

Le contrat de franchise prévoit en son article III-3-4 que les prix de vente aux consommateurs sont fixés de façon libre par le franchisé qui peut faire bénéficier ses clients de conditions plus avantageuses, les prix communiqués n'ayant qu'un caractère indicatif maximal.

Madeleine Daubresse ne prouve pas que le franchiseur ait adopté une politique de prix différente de celle contractuellement prévue.

Les attestations versées par elle aux débats rédigés par d'autres franchisés et deux anciens salariés de la société Les Fils de Louis Mulliez tendent certes à établir que des pressions auraient été exercées pour que soient respectés les tarifs communiqués par la société Les Fils de Louis Mulliez.

Mais il n'est nullement démontré qu'à un moment ou à un autre, le franchiseur ait contesté la politique de prix de la franchisée en la mettant en demeure de respecter les tarifs par lui communiqués.

d) Sur l'abus de position dominante du franchiseur et l'état de dépendance économique allégué par le franchisé

L'appelante reproche à la société Les Fils de Louis Mulliez d'avoir exploité abusivement son état de dépendance économique en l'ayant contrainte à faire des travaux d'aménagement inadaptés dans son magasin et en lui ayant refusé la vente de produits nouveaux, en contravention aux articles 8 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

En fait, les refus de vente allégués ne sont pas caractérisés ; il apparaît au contraire des pièces produites :

- que le 8 mai 1988, Madeleine Daubresse a renvoyé certaines de ses commandes au motif qu'elle souhaitait " faire de la trésorerie et non du stock ",

- qu'en mars 1989, elle a annulé des bons de commandes restés en attente ; le procès-verbal d'huissier qu'elle a fait dresser à cette dernière date pour voir constater le peu de marchandises Phildar dans les rayons de son magasin est ainsi dépourvu de force probante.

La Cour relève en outre que Madeleine Daubresse aurait pu, en 1985, refuser d'aménager son magasin et ne pas signer le nouveau contrat de franchise ; n'étant tenue d'aucune clause de non-concurrence après la fin de ses relations commerciales avec la société Les Fils de Louis Mulliez, il lui était loisible d'adhérer à un autre réseau de distribution.

En droit, l'article 8-2° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise client ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente ; mais cette exploitation abusive, doit pour être sanctionnée, constituer une entrave à la concurrence (article 7 de l'ordonnance précitée) ; or en l'espèce, la franchisée n'établit pas que le comportement imputé au franchiseur affecte ou est susceptible d'affecter la concurrence sur le marché.

Le moyen tiré de l'abus de position dominante du franchiseur ne peut être retenu.

e) Sur la validité du contrat au regard des dispositions de l'article 85 du Traité de Rome

C'est en vain que l'appelante fait valoir que cette clause est prohibée par l'article 85 du Traité de Rome et que le contrat de franchise, non notifié à Bruxelles, est nul de plein droit.

Il apparaît en réalité que le contrat de franchise Phildar a fait l'objet d'une notification auprès des services de la Commission des Communautés européennes de Bruxelles le 4 octobre 1988.

L'article 85 du Traité de Rome prohibe en son paragraphe 1 certains accords entre entreprises susceptibles d'affecter le commerce entre états membres et de nature à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ; mais en son paragraphe 3 il stipule que ces dispositions peuvent être déclarées inapplicables notamment à toute pratique qui contribue à améliorer la production ou la distribution des produits.

Par son règlement d'exemption n° 4087-88 du 30 novembre 1988 la Commission des Communautés européennes a décidé :

- article 1 : que l'article 85 paragraphe 1 du Traité de Rome est inapplicable aux accords de franchise auxquels ne participent que deux entreprises et qui comportent une ou plusieurs des restrictions de concurrence prévues à l'article 2,

- article 3 : que l'obligation de fourniture exclusive imposée au franchisé ne fait pas obstacle à l'application de l'article 1 du règlement dans la mesure où elle est nécessaire pour maintenir l'identité commune et la réputation du réseau franchisé.

L'obligation de fourniture exclusive imposée au franchisé Phildar est valable dans la mesure où elle est nécessaire pour préserver l'identité et la réputation du réseau de franchise Phildar ; elle relève de la nature même de la formule de distribution en cause.

Madeleine Daubresse ne peut pas plus valablement invoquer les dispositions de l'article 3-1-a visant la vente de produits répondant aux spécifications minimales de qualité fixées par le franchiseur, pour en tirer la conséquence qu'elle pouvait vendre des produits autres que les produits Phildar mais de qualité équivalente ; en effet, ces dispositions visent, pour la légaliser, l'obligation faite au franchisé de ne vendre exclusivement que des produits répondant à cette définition ; tel n'est pas le cas en l'espèce, l'obligation incombant à la franchisée étant de vendre uniquement des produits Phildar.

2) Sur la résiliation du contrat de franchise

S'agissant d'un contrat à exécution successive, seule la résiliation et non la résolution peut être prononcée.

La franchisée qui a violé la clause d'approvisionnement exclusif valablement stipulée prétend que le franchiseur ne peut de bonne foi invoquer cette violation à raison de ses propres manquements contractuels.

Mais c'est sans fondement que l'appelante reproche à la société Les Fils de Louis Mulliez de n'avoir pas satisfait à son obligation de réussite ; il suffit de constater que le réseau de franchise Phildar fonctionne sur la base de nombreux points de vente (2 000 en France selon le chiffre avancé par la société Les Fils de Louis Mulliez) et que le franchiseur n'est pas garant juridiquement de la réussite commerciale des franchises.

Pour les raisons déjà analysées, il ne peut être considéré que le franchiseur a maintenu le franchisé dans un état de dépendance économique incompatible avec le statut de la franchise ni qu'il a imposé illégalement un barème de prix.

Il n'est pas non plus démontré que le franchiseur s'est immiscé de façon excessive dans l'exploitation du commerce de Madeleine Daubresse, les faits allégués de contrôle de la gestion et de l'exploitation, et de pratique des prix imposés, n'étant pas caractérisés.

Dans ces conditions, le contrat de franchise doit être résilié aux torts de la franchisée qui n'a pas respecté la clause d'approvisionnement exclusif et n'a pas payé le prix de marchandises livrées par le franchiseur.

3) Sur les demandes en dommages-intérêts

La résiliation du contrat étant prononcée à ses torts, Madeleine Daubresse ne peut prétendre à dommages-intérêts.

Les premiers juges l'ont justement condamnée à payer à la société Les Fils de Louis Mulliez la somme de 137 351,24 F (pour marchandises livrées et impayées) avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 1989, date de mise en demeure.

En violant la clause d'approvisionnement exclusif par la vente d'autres produits que ceux de la marque Phildar, et en persistant de mauvaise foi dans cette attitude, Madeleine Daubresse a occasionné un préjudice à la société Les Fils de Louis Mulliez par atteinte à l'image et à la marque Phildar.

En réparation de ce préjudice, Madeleine Daubresse qui ne peut justifier ses agissements en alléguant, sans le démontrer, que la société Les Fils de Louis Mulliez accepte maintenant que les franchisés commercialisent d'autres produits que les siens, devra lui payer la somme de 15 000 F à titre de dommages-intérêts.

La société Les Fils de Louis Mulliez ne démontrant aucun autre préjudice (la résistance abusive au paiement étant suffisamment réparée par le cours des intérêts à compter de la mise en demeure), le surplus de sa demande en dommages-intérêts sera rejetée.

4) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

L'appelante qui succombe doit supporter les dépens et ne peut prétendre à indemnité pour frais irrépétibles.

Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les sommes par elle exposées et non comprises dans les dépens.

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Madeleine Daubresse à supporter les dépens et à payer à la société Les Fils de Louis Mulliez la somme de 137 351,24 F avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 1989, L'infirme en ce qu'il a débouté la société Les Fils de Louis Mulliez de sa demande en dommages-intérêts et statuant à nouveau : Prononce la résiliation du contrat de franchise du 29 avril 1985 aux torts de Madeleine Daubresse, Condamne Madeleine Daubresse à payer à la société Les Fils de Louis Mulliez la somme de 15 000 F à titre de dommages-intérêts, Déboute la société Les Fils de Louis Mulliez de toutes ses demandes, Déboute Madeleine Daubresse de toutes ses demandes et prétentions, Condamne Madeleine Daubresse aux dépens d'appel et autorise la SCP Le Marc'Hadour Pouille Groulez à les recouvrer comme en matière d'aide judiciaire.