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Décisions

CA Colmar, ch. corr., 26 avril 1996, n° 09500456

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cuenot

Conseillers :

M. Adam, Mme Gebhardt

Avocat :

Me Saint-Esteben

TGI Strasbourg, ch. corr., du 16 mars 19…

16 mars 1995

Vu le jugement rendu le 16 mars 1995 par le Tribunal correctionnel de Strasbourg qui, sur des poursuites contre Messieurs B, S, L et R, respectivement président directeur général, administrateur général, directeur commercial et directeur des clients nationaux de la société X SA, pour avoir contrevenu à l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

- en s'abstenant de communiquer à tout revendeur les barèmes de prix et les conditions de vente,

- en ne mentionnant pas sur les factures l'ensemble des rabais et ristournes dont le principe était acquis, et le montant chiffrable au moment de la transaction,

- en imposant indirectement un caractère minimal au prix de revente de ses produits,

faits commis à Strasbourg courant 1992, prévus et punis par les articles 33, 31 et 34 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986,

- a rejeté le moyen tiré de la prescription de la contravention,

- a renvoyé Messieurs B, S et R des fins de toutes poursuites,

- a renvoyé Monsieur Patrick L des fins de la poursuite pour défaut de communication des barèmes et conditions de vente et facturation irrégulière,

L'a déclaré coupable d'imposition d'un prix minimal de revente ;

et, en répression, l'a condamné à une amende de 50.000 francs ;

Vu les appels réguliers et recevables, interjetés contre ce jugement le 22 mars 1995 par le prévenu et par le Ministère public ;

LA COUR,

A statué comme suit :

Attendu qu'au soutien de son recours contre le jugement du Tribunal correctionnel de Strasbourg qui lui a imputé un délit d'imposition indirecte de prix minimal de revente, Monsieur Patrick L indique essentiellement que la pratique de ristournes conditionnelles hors factures ne peut constituer le délit qui lui est reproché lorsque les ristournes sont attribuées de manière objective et ne sont pas soumises à l'arbitraire du vendeur ;

Qu'il conteste par ailleurs tant les éléments matériel qu'intentionnel du délit, en soulignant notamment que la présomption de prix d'achat effectif porté sur la facture est une présomption simple, qui peut être combattue par la démonstration du caractère déductible des ristournes ; qu'en ce qui concerne la facture irrégulière qui lui est reprochée par défaut d'indication des ristournes acquises et chiffrables, il indique que rien ne prohibe la pratique de ristournes conditionnelles différées, et que tel est le cas des ristournes mises en cause par la Direction de la Concurrence, lesquelles n'ont aucun caractère de certitude à défaut d'un engagement ferme pour le client de réaliser le volume des ventes et le linéaire, contrepartie de leur attribution ;

Qu'il estime par ailleurs qu'à défaut de factures aux centrales d'achat mentionnées dans la citation, il n'est possible que d'entrer en voie de relaxe de ce chef particulier de poursuite ;

Attendu que le Ministère de l'Economie, représenté par le Directeur de la Concurrence du Bas-Rhin, indique que la facturation irrégulière a été adressée soit directement aux centrales d'achat, soit à leurs adhérents, selon le système de vente pratiqué dans les différents groupements ;

Qu'il maintient que cette facturation est irrégulière, faute de mentionner des ristournes apparemment conditionnelles, mais certaines en fait, et fait valoir que les services spécifiques assurés par l'acheteur dans un accord de coopération auraient dû faire l'objet d'une facturation de sa part ;

Qu'il indique que l'imposition d'un prix de revente dérive nécessairement des autres infractions et de la cohérence parfaite de l'ordonnance de 1986, dans la mesure où faute d'indication des ristournes dans la facturation, le client, menacé d'une assimilation de ces remises à une service spécifique non déductible pour le calcul du seuil de revente à perte, est contraint de majorer son prix de revente du montant de la remise ;

Attendu qu'en cet état, la Cour doit rappeler en fait que le système des prix consentis par la société X aux grandes surfaces a fait l'objet d'une étude en 1992 par la Direction de la Concurrence ;

Que cette étude a fait apparaître qu'il existait des conditions générales de vente aux grandes surfaces, représentées par leurs centrales d'achat, et que ces conditions générales, dénommées " accords alimentaires ", organisaient un système assez complexe de remises destinées à assurer la présence de la Société X et le volume de ses ventes ;

Que l'on peut citer à titre d'exemple la rémunération du service de groupement (0,75 % du chiffre d'affaires pour les groupements centralisateurs de commandes), la rémunération du maintien de la gamme permanente X (5,5 % du chiffre d'affaires pour les bières du groupe 1, 7 % pour les bières du groupe 2), la rémunération de diffusion alimentaire (0,15 % du chiffre d'affaires par article maintenu en permanence par entrepôt) et la rémunération de la promotion des nouveaux produits (0,50 % pour un linéaire suffisant) ;

Que ces ristournes étaient généralement décomptées sous forme d'avoirs d'une périodicité variable au cours de l'année (le plus souvent trimestrielle) ;

Attendu qu'à côté de ce système général de ristournes, lequel ne fait pas l'objet de critiques de la part de la DGCCRF, bien que très similaire à celui mis en cause, il existe des " accords de coopération commerciale " et des " accords de coopération spécifique " qui visent à les compléter et les adapter, et que toutes les grandes enseignes en ont bénéficié, à l'exception des magasins " A " ;

Que ces accords complémentaires définissent une coopération " volumétrique ", dont l'exemple peut être donné par celui conclu avec Y (Groupe Z), " en contrepartie d'au moins 400.000 hectolitres, vous bénéficierez de 1,50 % du chiffre d'affaires ", ainsi qu'une coopération " linéaire " : " en contrepartie de la part de linéaire pour 1992, c'est-à-dire d'environ 30 %, vous bénéficierez de 1 % du chiffre d'affaires " ;

Qu'il existe enfin des accords de coopération dite " spécifique ", lesquels attribuent une rémunération (de 2,05 % pour Y) en contrepartie de la présence de la marque X dans un nombre élevé de supermarchés ;

Attendu que ce sont les accords de coopération volumétrique et linéaire qui sont spécifiquement critiqués par la DGCCRF, encore qu'ils ne diffèrent en rien des accords alimentaires, et que celle-ci y a vu trois transgressions de l'ordonnance de 1986 :

- par défaut de communication des barèmes et conditions de vente, la pratique d'accords spécifiques avec chaque groupement étant assimilée à un défaut de communication des barèmes ;

- par facturation irrégulière, les ristournes de coopération volumétrique et linéaire n'étant pas mentionnées dans les factures aux grandes surfaces, alors que leur quasi-certitude aurait dû conduire à les mentionner conformément à l'article 31 de l'ordonnance ;

- par imposition indirecte d'un prix minimum de revente, parce qu'à défaut de mention des ristournes dans les factures, le revendeur serait conduit à les exclure pour le seuil de calcul de la vente à perte ;

Attendu cependant que ces griefs ne résistent pas à l'examen, et qu'il a déjà été relevé qu'ils auraient pu être adressés semblablement à l'ensemble du système de ristournes pratiqué par la SA X ;

Attendu qu'il convient tout d'abord de noter que le premier chef de poursuite, relatif au défaut de communication des barèmes (article 33 de l'ordonnance de 1986) est actuellement dépourvu de fondement légal, s'agissant d'une contravention amnistiée par la loi du 3 août 1995 ;

Que la facturation irrégulière (article 31 de l'ordonnance) est exclue de la loi d'amnistie, et que du fait de l'existence d'une mesure complémentaire de publication, le délit d'imposition de prix de revente (article 34 de l'ordonnance) échappe à l'amnistie de droit des délits punis d'une simple peine d'amende ;

Attendu qu'en ce qui concerne l'infraction aux règles de facturation, il convient d'écarter tout d'abord l'argument tiré d'une lecture trop littérale de la citation, qui ne viserait que la facturation aux centrales d'achat ; que s'il est exact que certaines centrales d'achat ne reçoivent pas les factures, adressées à leurs adhérents, il reste cependant que l'objet bien compris de la poursuite vise la facturation de la société X et qu'une erreur dans la citation quant au destinataire de la facturation irrégulière n'a aucun effet de lier le débat sur des faits inexistants ;

Qu'une erreur dans la caractérisation surabondante des faits par la citation pourrait tout au plus justifier son annulation, s'il était démontré que l'erreur de spécification a causé une méprise sur l'objet des poursuites et un grief pour la personne poursuivie ;

Attendu qu'au fond, il convient de rappeler que l'article 31 de l'ordonnance de 1986 impose de mentionner sur les factures le montant de toutes les ristournes et de tous les rabais dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ;

Attendu cependant que les ristournes de coopération volumétrique et linéaire n'ont aucun caractère de certitude et ne peuvent pas être déduites lors de la vente;

Qu'elles sont effectivement conditionnelles d'après le contrat,et que les distributeurs ne prennent aucun engagement de réaliser effectivement le seuil volumétrique fixé et de maintenir la part de linéaire fixée, et qu'à supposer même la réalité d'un engagement en ce sens, la réalité de son exécution n'aurait rien d'acquis pour la société X, qui pourrait se réserver de différer l'attribution des primes contre la vérification de cette exécution;

Attendu qu'il reste à savoir si ces primes conditionnelles, dont rien à l'évidence n'interdit la pratique, ne seraient pas certaines dans la réalité ;

Que là encore une réponse négative s'impose et que la démonstration n'est pas faite de ce qu'en réalité, la remise pourrait être considérée comme quasi certaine et acquise ;

Que l'on observe qu'en ce qui concerne la remise volumétrique, elle est attribuée aux adhérents des huit groupements contre la réalisation d'un volume de vente qui s'échelonne de 70 % à 200 % de celui réalisé l'année précédente, la majorité des objectifs fixés se situant à un peu plus de 90 % ;

Attendu que la société X indique que cette situation résulte d'un tassement de ses ventes en 1992 ;

Que la comparaison des accords alimentaires de 1991 et de ceux de 1992 (voir par exemple ceux conclus avec W) montre qu'en 1991, la croissance volumétrique se trouvait rémunérée, alors que cette rémunération a disparu en 1992 ;

Que cela paraît bien témoigner d'un changement d'objectif, et d'une orientation vers le maintien du chiffre d'affaires, au lieu d'un objectif de croissance l'année précédente ;

Attendu qu'en ce qui concerne le linéaire, le fait qu'il ne tienne qu'au distributeur de le réaliser ne signifie pas que cette réalisation soit acquise pour la Société X;

Attendu que le caractère effectivement conditionnel des remises convenues empêchait de les faire figurer sur les factures,et qu'à défaut de certitude de ces remises, l'infraction à l'article 31 de l'ordonnance de 1986 n'est pas constituée;

Attendu que la démonstration de l'imposition indirecte d'un prix minimal de revente fait encore plus manifestement défaut;

Attendu que rien n'indique que les ristournes pratiquées par la société X aient visé cet objectif, et encore moins que celui-ci ait été atteint;

Attendu que rien n'indique qu'elles aient eu l'effet attribué par la Direction de la Concurrence, et qu'aucun essai n'est fait pour mettre en évidence un alignement des prix des distributeurs, entre lesquels la concurrence se serait trouvée faussée, ce qui constitue la raison de la prohibition édictée par l'article 34 de l'ordonnance de 1986 ;

Attendu que rien n'indique qu'elles aient visé cet objectif, et qu'il faudrait imaginer pour y voir une majoration déguisée du prix de revente que le distributeur, qui a acquis plusieurs milliers d'hectolitres de bière, aura la souci surprenant de les revendre sinon à perte, du moins aussi près que possible du seuil de la revente à perte ;

Attendu qu'en réalité, il a déjà été jugé que la pratique des remises conditionnelles ne pouvait pas avoir cet effet, lorsque ces remises étaient déterminées objectivement et que leur attribution n'était pas soumise au bon vouloir du producteur, qui pourrait effectivement les utiliser en ce cas comme un moyen de pression sur ses distributeurs;

Attendu que les remises accordées pour le volume distribué et la part de linéaire maintenue ne sont pas soumises au bon vouloir de la société X, qui ne peut pas refuser de les déduire si les objectifs sont réalisés;

Qu'elles ne constituent pas un moyen de pression contre les grandes surfaces, et qu'il n'y a donc pas d'imposition indirecte d'un prix minimal de revente;

Attendu qu'il convient donc de réformer le jugement entrepris et de renvoyer Monsieur L des fins des poursuites sur le fondement de l'ordonnance de 1986 ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire ; Reçoit les appels contre le jugement du Tribunal correctionnel de Strasbourg du 16 mars 1995 ; Constate l'amnistie de la poursuite contraventionnelle sur le fondement de l'article 33 de l'ordonnance de 1986 ; Infirme le jugement entrepris pour le surplus, et renvoie Monsieur L des fins de la poursuite sur le fondement des articles 31 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Le tout par application des articles visés dans le corps de l'arrêt.