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Décisions

Cass. crim., 10 avril 1995, n° 94-82.026

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gondre

Rapporteur :

M. Mordant de Massiac

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocats :

SCP Célice, Blancpain

TGI Melun, 3e ch., du 3 mars 1993

3 mars 1993

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par V Jean-Pierre, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 9e chambre, en date du 15 mars 1994, qui, pour revente à perte, l'a condamné à 40 000 francs d'amende. - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 551, alinéa 2, 565 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité soulevée par Jean-Pierre Valet sur le fondement de l'article 551 du Code de procédure pénale ;

"aux motifs que Jean-Pierre V a soulevé tout d'abord la nullité de la citation à lui délivrée le 15 décembre 1992 pour comparaître devant la Cour au motif que celle-ci ne comportait aucune mention des textes visant l'infraction, alors que de surcroît le jugement dont appel par le ministère public auquel elle faisait référence mentionnait la relaxe intervenue pour imposition d'un prix de revente minimum ou une marge minimale biens ou prestations de service ; que ces irrégularités ont ainsi porté atteinte selon le prévenu à l'exercice des droits de la défense, de telle sorte que la citation dont s'agit doit être annulée ; qu'il convient de relever que l'exploit querellé par Jean-Pierre V et valant avenir d'audience n'a eu d'autre portée que de faire connaître à l'intéressé, et comme il était mentionné à l'acte, la date précise de l'audience à laquelle serait examinée l'affaire le concernant par la Cour pour qu'il soit statué sur l'appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 3 mars 1993, laquelle décision nonobstant l'inexactitude contenue dans son dispositif comportait, par ailleurs, le rappel exact de l'infraction poursuivie ; qu'il n'en est résulté ainsi, et contrairement à ce qu'est soutenu par V, aucune a teinte portée à sa défense ; que l'exception par lui soulevée sera, dès lors, rejetée ;

"alors qu'en application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout prévenu a droit à être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention ; que de même, en application de l'article 551 du Code de procédure pénale, la citation doit, à peine de nullité, énoncer notamment le fait poursuivi et le texte de loi qui le réprime ; qu'en l'occurrence l'acte du 23 novembre 1993 donnait citation à Jean-Pierre V à comparaître devant la Cour de Paris pour voir statuer sur l'appel interjeté par le Parquet du jugement rendu le 3 mars 1993 par le tribunal de grande instance de Melun, qui relaxait le prévenu pour imposition d'un prix de revente minimum ou d'une marge minimale bien ou prestation de service ; qu'en réalité, la cour d'appel a instruit et jugé l'affaire sur le chef de vente de produits à perte, fait prévu et réprimé par les articles 1er de la loi du 2 juillet 1963, 55 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, dès lors, en refusant de sanctionner l'irrégularité de la citation et en affirmant qu'il ne pouvait en résulter aucune atteinte aux droits de la défense, la Cour a violé les textes visés au moyen ;

Attendu que, pour écarter l'exception de nullité soulevée par le prévenu, prise de ce que la citation à comparaître devant la cour d'appel ne comportait ni l'indication des faits qui lui étaient reprochés ni le visa des textes servant de base aux poursuites, la cour d'appel énonce qu'ayant comparu en première instance sur la citation du ministère public, Jean-Pierre V ne saurait prétendre en cause d'appel avoir ignoré ce qui lui était reproché et avoir été ainsi empêché d'exercer sa défense ;

Attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet la citation à comparaître devant la cour d'appel a seulement pour effet d'informer les parties de la date à laquelle l'affaire doit être appelée cette juridiction étant saisie par l'acte d'appel de telle sorte que les prescriptions de l'article 551, alinéa 2, du Code de procédure pénale, ne lui sont pas applicables ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 1er de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 modifiée par la loi n° 65-549 du 9 juillet 1965 et par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 31, alinéa 3, de l'ordonnance, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré V coupable de revente de produits à perte et l'a condamné en répression à 40 000 francs d'amende ;

"aux motifs que considérant que l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963 en son alinéa 1er réprime la revente par un commerçant d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif ; qu'à cet égard, et à partir d'un premier contrôle effectué à Lieusaint (77) par les agents de la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes, dans un des établissements secondaires de la société X qui, rattachée au groupe Y, a pour activité d'approvisionner en divers produits la chaîne des magasins à l'enseigne " Z " implantés notamment dans la Seine-et-Marne, il est apparu d'une enquête ensuite continuée par les mêmes services administratifs auprès de deux de ces magasins sis respectivement à Pontault-Combault et à Ablon, et ayant donné lieu à une étude approfondie des éléments entrant dans la composition des prix d'achat par ceux-ci de treize marques de produits, l'existence en l'occurrence et au niveau de chacun desdits magasins de diverses reventes à perte, le 19 décembre 1991, à la clientèle, telles qu'indiquées et détaillées sur les tableaux récapitulatifs figurant aux annexes n° 4 (supermarché Z d'Ablon) du procès-verbal clos le 24 mars 1992 par les enquêteurs et auxquels il est expressément référé ; Considérant que Jean-Pierre V, poursuivi en conséquence pour infraction à la loi susvisée du 2 juillet 1963, en sa qualité de directeur régional de la société X ayant sous sa dépendance les deux magasins Z dont s'agit, a tout d'abord, et pour venir à l'appui de sa demande de relaxe, repris son argumentation de première instance selon laquelle il aurait été omis de déduire, lors du calcul par les enquêteurs du prix de revente des articles en litige, certains avantages consentis par les fournisseurs ; que la Cour ne peut toutefois que rejeter en l'occurrence un tel moyen de défense ; qu'il apparaît, en effet, du dossier et des débats que le prévenu est tout d'abord malvenu à reprocher aux services de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de n'avoir pas déduit les remises sur taux d'escompte figurant sur les factures, puisque s'agissant d'avantages purement financiers et que n'avaient donc pas à prendre en compte les enquêteurs pour la détermination du prix de revente des produits dont s'agit ; que, par ailleurs et contrairement à ce que fait aussi soutenir V, il apparaît que les services administratifs ont effectivement tenu compte dans leur calcul des seuils de revente à perte de diverses remises ou ristournes qui ont pu être consenties en l'occurrence par les fournisseurs, dès lors que celles-ci étaient certaines et acquises, à la date des faits, pour le distributeur ; que, dans ces conditions, le prévenu n'apporte en définitive, et hormis ses dénégations, aucun élément de nature à remettre en cause l'existence des seuils de revente à perte tels que dégagés à l'issue de son enquête par l'Administration, à l'exception toutefois du produit Martini Rouge dont le quantum de revente à perte par article doit, en fonction des droits sur alcool de 69,30 francs payés par hectolitre, et non de 78,10 francs mentionnés par les enquêteurs, être ramené en conséquence à 1,26 franc ;

"1° alors que la remise financière qui, comme toute autre, participe à l'abaissement du prix d'achat, doit évidemment être prise en considération pour apprécier le seuil de revente à perte, de sorte que l'arrêt attaqué, qui approuve la DGCCRF pour avoir reconstitué un prix d'achat fictif en éludant la remise sur taux d'escompte pourtant expressément mentionnée sur la facture, viole ensemble l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963, et les articles 31 et 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en application desquels la détermination du prix implique la prise en considération de " tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable " ;

"2° alors que le demandeur ayant fait valoir qu'il avait droit, outre la ristourne d'escompte, aux ristournes de collaboration et aux ristournes de fourniture annuelle remises dites conditionnelles ne justifie pas légalement sa décision l'arrêt qui se borne à retenir le calcul par l'administration d'un prix d'achat calculé en faisant abstraction de ces ristournes au motif que le service aurait tenu compte " des diverses remises et ristournes () dès lors que celles-ci étaient certaines et acquises à la date des faits pour le distributeur ", sans s'expliquer aucunement sur le point de savoir si les remises différées invoquées par le prévenu ne constituaient pas également des avantages acquis de manière certaine dès le franchissement de certaines quantités, et si, par conséquent, le distributeur pouvait en récupérer, sans aléa ni restriction, le montant sur ses prix de vente ;

Et sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1er de la loi du 2 juillet 1963, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré V coupable de revente de produits à perte et l'a condamné en répression à 40 000 francs d'amende ;

"aux motifs que " vis-à-vis de l'exception d'alignement des prix " par rapport à ceux des concurrents invoquée également pour sa défense par Jean-Pierre V, la Cour relèvera qu'outre le caractère tardif d'une telle argumentation qui n'a été présentée qu'après clôture du procès-verbal et alors que le prévenu avait été régulièrement avisé d'avoir à formuler au préalable toutes observations ou réserves utiles, il apparaît qu'en tout état de cause le document " Opus Nielsen " sur lequel V entend fonder son exception se rapporte à des prix de revente de produits pratiqués par des commerçants qui n'étaient pas installés dans la même zone d'activité que celle des deux magasins " Z " concernés par la poursuite ;

"alors qu'il résulte des termes mêmes du procès-verbal et du panel élaboré par la société Opus Nielsen, régulièrement versé aux débats, que les prix litigieux concernaient exclusivement des produits dont la diffusion et la publicité sont nationales, de sorte que la " zone d'activité " à prendre en considération pour l'application de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963 ne pouvait être abusivement restreinte, comme l'a fait la Cour de Paris à la seule zone de chalandise du commerçant incriminé ;

Les moyens étant réunis ; - Vu lesdits articles ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier le dispositif ; que l'insuffisance ou la contradiction dans ces motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Jean-Pierre V, dirigeant d'une société exploitant deux magasins à l'enseigne " Z ", a été poursuivi, sur le fondement de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963 modifié par l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour avoir revendu certains produits en dessous de leur coût d'achat effectif ; que, tout en faisant observer que l'Administration avait omis dans le calcul du seuil de revente à perte l'incidence des remises pour paiement comptant et de remises différées, Jean-Pierre V a fait valoir, documents à l'appui, qu'il s'était aligné sur les prix pratiqués par ses principaux concurrents sur le marché régional ;

Attendu que, pour infirmer la décision de relaxe prononcée par les premiers juges et déclarer le prévenu coupable des faits visés à la prévention, la cour d'appel retient, après avoir affirmé notamment que les remises pour paiement comptant ne pouvaient être prises en considération pour le calcul du seuil de revente à perte, que l'exception d'alignement était tardive pour n'avoir été invoquée qu'après la clôture du procès-verbal et qu'elle ne se fondait pas, au demeurant, sur des prix pratiqués dans la même zone d'activité ;

Mais attendu qu'en se prononçant ainsi, alors que pour le calcul du seuil de revente à perte, aucune distinction ne saurait être opérée entre les différentes remises venant en diminution du prix d'achat et alors quel'alignement sur la concurrence est un moyen de défense au fond qui peut être soulevé à tout moment de la procédure et que la notion de zone d'activité doit s'apprécier au regard de l'entreprise et du marché sur lequel elle intervient, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; que, dès lors, la cassation est encourue ;

Par ces motifs, casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 15 mars 1994, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans.