Cass. crim., 30 novembre 1992, n° 91-83.707
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Jean Chapelle (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. de Mordant de Massiac
Avocat général :
M. Libouban
Avocats :
Mes Choucroy, Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société Jean Chapelle, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre correctionnelle, en date du 30 mai 1991, qui, dans la procédure suivie contre X et la société Y du chef d'imposition de prix minimal de revente et facturation irrégulière, a relaxé le prévenu et débouté la partie civile de ses demandes. - Vu les mémoires en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé X des poursuites du chef de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et débouté la société Jean Chapelle de son action civile contre le prévenu et la société Y ;
" aux motifs que les remises de base proposées à tous les détaillants étaient clairement fixées à 20 % ; que les remises qualitatives relatives à une spécialisation, à une mise en avant ou à un service d'information de la clientèle étaient à l'évidence déterminables dès le jour de l'achat des produits, de même que les remises spécifiques accordées pour telle ou telle catégorie de marchandises ; qu'il relevait en effet de la seule volonté commerciale du distributeur d'assurer un service de démonstration, un service après-vente ou de participer à une opération publicitaire de lancement ; qu'il importait peu que ces remises ne soient réglées que par avoirs mensuels dès lors que leur niveau était connu dès le moment où la commande était souscrite ; que la remise fondée sur le chiffre d'affaires pouvait se déduire d'une simple référence comptable ; que seule la prime dite d'expansion ne pouvait être incluse dans le prix de revient ; mais qu'il était paradoxal de soutenir qu'en la consentant le fournisseur avait la volonté d'abuser d'une position de force et de contrôler le marché, alors qu'au contraire cette prime était allouée gracieusement pour saluer les efforts d'un détaillant dynamique, et qu'il ne dépendait que de lui d'y renoncer ; que l'intention frauduleuse était une condition nécessaire du délit prévu à l'article 34, et qu'elle faisait défaut en l'espèce ; que l'élément matériel et l'élément moral du délit d'imposition de marges et de prix n'étaient pas réunis ;
" alors que, d'une part, constitue le délit de vente avec imposition d'un prix minimum le fait pour un producteur de donner un caractère conditionnel à la quasi-totalité de ses ristournes et de prévenir par ce moyen, de la part de ses distributeurs, toute possibilité de vente en dessous du prix facturé, ainsi indirectement imposé comme prix minimum ; qu'est conditionnelle une remise qui n'est pas acquise en son principe ou qui n'est pas chiffrable au jour de la vente ; " qu'il résulte des conditions générales de vente Y et des constatations des juges du fond : " - que les remises qualitatives à une spécialisation, à une mise en avant ou à un service d'information dépendaient de critères (connaissance du fonctionnement des produits, démonstration, conseil d'utilisation, publicité sur le produit et promotion, suivi du matériel, information du consommateur) laissant place à l'appréciation future du fournisseur, ce qui interdisait qu'elles puissent être considérées comme acquises en leur principe au jour de la vente ; " - que les remises différées dépendaient du montant ou de l'expansion du chiffre d'affaires au cours de l'année, c'est-à-dire d'une condition future aléatoire, ce qui interdisait qu'elles puissent être considérées comme chiffrables au jour de la vente ; " - si bien que le fait pour le fournisseur d'avoir donné un caractère conditionnel aux remises qualitatives et différées, d'un montant d'au moins 23 % selon les motifs non réfutés du Tribunal, constituait le délit de vente avec imposition d'un prix minimum de sorte que la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision, au regard de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " ;
" alors, en outre, que les remises spécifiques étaient aussi différées si bien que le fait de donner un caractère conditionnel ou différé à la quasi-totalité des remises, ce qui avait pour effet d'empêcher ou de dissuader les distributeurs de vendre en dessous du prix facturé et d'imposer ainsi un prix minimum, constituait le délit de vente avec l'imposition d'un prix minimum, de sorte que la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision, au regard de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " ;
" alors, enfin, que le délit de vente avec imposition d'un prix minimum est établi par la seule constatation de l'élément matériel si bien qu'en fondant sa décision sur l'absence prétendue d'élément intentionnel, la cour d'appel a violé l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé X des poursuites du chef de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et débouté la société Jean Chapelle de son action civile contre le prévenu et la société Y ;
" aux motifs qu'aucune facture n'avait été jointe à l'assignation introductive d'instance ;
" alors que le distributeur acheteur qui accepte une facture irrégulière commet lui-même le délit de facturation irrégulière si bien qu'en fondant exclusivement sa décision sur la non-production par le distributeur des factures irrégulières, que celui-ci ne pouvait légalement accepter, sans rechercher si, comme l'avait montré la société Jean Chapelle dans ses conclusions laissées sans réponse, la facturation irrégulière ne résultait pas des conditions de vente Y produites, qui prévoyaient le règlement par avoir séparé, et non sur facture, des remises spécifiques acquises et chiffrables au jour de la vente, la cour d'appel : " - a entaché sa décision d'un défaut de réponse aux conclusions, " - et n'a pas justifié légalement sa décision, au regard de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que la société Jean Chapelle a fait citer directement le dirigeant de la société Y devant la juridiction correctionnelle pour infractions aux dispositions des articles 31 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Attendu que la société Chapelle a fait observer, au vu des conditions générales de vente de la société Y, que cette société proposait aux distributeurs de ses produits, d'une part, des remises quantitatives liées à la quantité de marchandise vendue et, d'autre part, des remises qualitatives liées à la réalisation préalable de certains services ; qu'elle a fait valoir qu'elle était empêchée de fixer librement sa marge bénéficiaire car l'ensemble des remises qualitatives revêtait un caractère conditionnel qui faisait obstacle à leur facturation et à leur prise en compte pour le calcul du seuil de revente à perte ; qu'elle a également soutenu que son fournisseur ne mentionnait pas sur ses factures certaines remises quantitatives dont le principe était acquis et le montant chiffrable lors de la vente mais les reportait sur des avoirs mensuels ;
Attendu que, pour écarter les conclusions de la partie civile et relaxer le dirigeant de la société Y du chef d'imposition de prix minimal de revente et d'infraction aux règles sur la facturation, la cour d'appel relève, d'une part, que les remises critiquées étaient déterminables au moment de la transaction et qu'il n'appartenait qu'au distributeur qu'elles lui fussent acquises en réalisant les services demandés et qu'il ne saurait être soutenu dans ces conditions que la société Y ait conféré à ses remises un caractère aléatoire de nature à lui permettre, vis-à-vis de ses distributeurs, d'abuser d'une position de force et de contrôler ainsi le marché ; d'autre part, que le grief développé par la partie civile, dans une citation directe exagérément extensive, est purement abstrait dès lors qu'aucune facture n'est jointe à l'assignation ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, nonobstant tous autres motifs erronés mais surabondants, la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, le fait d'offrir, à l'occasion de la cession d'un produit, des rabais, remises ou ristournes, dans des conditions d'attribution définies de manière objective et ne prêtant pas à discrimination, n'est pas de nature à aliéner la liberté de leur bénéficiaire éventuel de fixer le prix de revente de ces produits et ne saurait constituer une pratique tendant à conférer un caractère minimal aux prix de revente ; d'où il s'ensuit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.