CA Lyon, 7e ch. C, 2 juin 1999, n° 352
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Procureur général, Conseil Départemental des familles Laïques de la Loire, Union Fédérale des Consommateurs de la Loire, Organisation Générale des Consommateurs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fournier
Conseiller :
Mme Theoleyre
Avocats :
Mes Chalendar, Cornillon, Dealberti, Du Gardin.
Par jugement en date du 19 février 1998, le Tribunal de grande instance de Saint-Étienne a retenu Jean-Paul M dans les liens de la prévention pour avoir, à Anglet, le 10 juin 1996 :
- étant commerçant, revendu un produit en l'état, en l'espèce des paquets de 4 bouteilles de boissons gazeuses de marque " Coca-Cola " à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif, en l'espèce 27,20 F pour un prix d'achat de 28,8113 F TTC,
(art. 1 I de la loi 63-628 du 2 juillet 1963 et 55 al. 1 de l'Ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986) ;
Et par application des articles susvisés, l'a condamné à :
Cinquante mille francs d'amende,
A déclaré la SA X civilement responsable.
Le Condamné étant redevable du droit fixe de procédure et la contrainte par corps fixée conformément à la loi.
Le même jugement a relaxé Robert C des fins de la même poursuite.
Sur l'action civile :
Le Tribunal a condamné le prévenu Jean-Paul M à verser à chacune des trois associations de consommateurs 1 000 F à titre de dommages-intérêts et 1 500 F en application de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale ;
L'a condamné au frais de l'action civile.
Faits et procédure :
Le 10 juin 1996 les agents de la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Pyrénées-Atlantiques procédaient à un contrôle des prix d'achat du paquet de quatre bouteilles de deux litres de Coca-Cola vendu par le magasin X d'Anglet. Ils relevaient que ce produit était vendu 27,20 F (soit 3,40 F le litre) et figurait à ce prix, sur le dépliant promotionnel, " en avant l'été " valable du 5 au 15 juin 1996.
La facture d'achat remise par le magasin faisait apparaître que le prix d'achat net TTC qui constitue le seuil de revente à perte était de 28,813 F et que le produit était donc revendu 1,61 F en dessous du seuil de revente à perte. Un procès-verbal d'infraction à la loi du 2 juillet 1963 modifiée par l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui interdisent la revente d'un produit à un prix inférieur à son prix d'achat effectif était établi par la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à l'encontre des responsables de la société.
Le responsable du magasin, Robert C indiquait qu'il n'était pas à l'origine de cette opération, n'étant pas habilité à déterminer le prix de revient des produits vendus et en rejetait la responsabilité sur Jean-Paul M directeur des achats liquides au sein du groupe X à Saint-Étienne.
Sur enquête ordonnée par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Saint-Étienne, Jean Paul M était entendu, se déclarait seul responsable de la fixation des prix des liquides mais soulevait l'exception d'alignement en indiquant qu'au début du mois de février 1996 le magasin Z avait commercialisé ce produit au prix de 3,40 F le litre, qu[e] W du 23 avril au 4 mai avait vendu ce produit 3,33 F le litre et que lors de la parution du mailing de X en juin 1996, X proposait ce produit dans leur mailing " les économiques " au prix de 3,30 F le litre. En outre il produisait un ensemble de documents publicitaires diffusés par les enseignes concurrentes desquels il ressortait que pour l'ensemble de l'année 1996 le prix du marché concernant ce produit se situait en moyenne en dessous de 3,40 F le litre.
Par jugement du tribunal de grande instance de Saint-Étienne en date du 19 février 1998, Robert C était renvoyé des fins de la poursuite et Jean-Paul M, déclaré coupable, était condamné à une amende 50 000 F. Le tribunal jugeait que l'exception d'alignement devait s'apprécier non au stade de la fixation d'un prix par les centrales d'achat des groupes de distribution, mais au stade de la revente au consommateur sur les différents lieux de distribution. Selon le tribunal, la diffusion d'un catalogue national établi par une centrale d'achat concurrent, ne prouvait pas que les différents distributeurs aient suivi le prix indiqué sur le catalogue.
La SA X en la personne de son président directeur général était déclarée civilement responsable et sur les actions civiles, Jean-Paul M était condamné à payer aux trois associations de consommateurs CDAFAL, UFCL Que Choisir et Orgeco la somme de 1 000 F à titre de dommages-intérêts et la somme de 1 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Le 26 février 1998 le prévenu interjetait appel des dispositions pénales et civiles du jugement. Le ministère public interjetait appel des dispositions pénales concernant les deux prévenus.
Discussion et motifs de la décision :
Sur la culpabilité de Robert C
Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure et des déclarations de Jean-Paul M que Robert C n'était pas habilité à fixer le prix des produits ; que Jean-Paul M était seul responsable de la fixation des prix et du contrôle de leur conformité aux dispositions de l'ordonnance sur les prix du 1er décembre 1986, en vertu d'une délégation de pouvoirs du 11 mars 1996 ;
Attendu que la culpabilité de Robert C n'est pas établie et que sa relaxe sera confirmée ;
Sur la culpabilité de Jean-Paul M
Sur l'exception d'alignement
Attendu qu'est invoquée par Jean-Paul M l'exception d'alignement déjà soulevée en première instance, en application de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963 modifiée qui prévoit que les dispositions réprimant la vente à perte ne sont pas applicables " aux produits dont le prix de revente est aligné sur le prix légalement pratiqué pour les mêmes produits par un autre commerçant dans la même zone d'activité " ;
Attendu que le prévenu entend pour justifier son alignement, se fonder sur les prix pratiqués notamment par les établissements W qui ont vendu le même produit à 3,33 F le litre du 23 avril au 4 mai 1996 dans la même zone géographique et qu'il ne lui incombe pas de rapporter la preuve de la licéité du prix pratiqué par cet établissement ; qu'à l'appui de cet argument, il fournit l'édition nationale du catalogue de son concurrent ;
Attendu, sur le critère de la zone d'activité, que les prix pratiqués par ces établissements qui sont de taille équivalente et ont une implantation nationale, concernent des produits dont la diffusion et la publicité sont nationaleset que la carte d'implantation en France des magasins X et W permet de considérer qu'il s'agit de la même zone de chalandise économique au sens de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963;
Attendu, sur le critère d'alignement, que l'exception doit s'apprécier au stade de la fixation du prix ; qu'à cet égard, la conception d'un catalogue publicitaire qui fixe les prix de vente, intervient en moyenne un mois avant le démarrage de l'opération publicitaire; que si l'opération " en avant l'été " de X a commencé le 5 juin 1996, le prix de vente des packs de Coca-Cola a été fixé un mois avant le début de la période de validité de la promotion, soit aux alentours du 5 mai, c'est-à-dire un jour après la fin de la période de validité du catalogue W qui affichait le prix du litre de Coca-Cola à 3,33 F; que cet alignement est donc intervenu dans un temps voisin de la pratique constatée chez le concurrent;
Attendu enfin sur le critère de la licéité des prix pratiqués par le concurrent W, que pour se prévaloir de l'exeption d'alignement il suffit au revendeur d'apporter la preuve du prix sur lequel il prétend s'aligner, sauf à la partie poursuivante à établir le caractère illégal de ce prix ; que Jean-Paul M a fourni aux débats les catalogues publicitaires d[e] W qui justifient la réalité du prix sur lequel il s'est aligné et que ni l'administration ni le ministère public n'ont établi le caractère illégal de ce prix ;
Attendu en conséquence que les conditions requises par la loi du 2 juillet 1963 permettant au prévenu de se prévaloir de l'exception d'alignement sont remplies; qu'il convient de prononcer la relaxe de Jean-Paul M et de réformer le jugement déféré ;
Sur les constitutions de parties civiles des associations de consommateurs
Attendu que les parties civiles CDAFAL, UFCL Que Choisir et Orgeco demandent la confirmation du jugement qui leur a alloué à chacune la somme de 1000 F en réparation de leur préjudice causé par l'infraction reprochée à Jean-Paul M mais réclament que le montant de la somme allouée au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale soit porté à 3 000 F ; que ces demandes seront rejetées du fait de la relaxe prononcée à l'égard des deux prévenus ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit les appels comme réguliers en la forme, Confirme la relaxe de Robert C, Infirmant pour le surplus le jugement déféré, Renvoie Jean-Paul M des fins de la poursuite et met hors de cause la société X civilement responsable, Déboute les parties civiles CDAFAl, UFCL Que Choisir et Orgeco de l'ensemble de leurs demandes, Le tout par application des articles 1er et 4 de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 modifiée par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 411, 470, 509, 513 et 516 du code de procédure pénale.