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Décisions

CA Nîmes, 2e ch., 25 janvier 1996, n° 95-1025

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Citroën (SA)

Défendeur :

Alès Auto (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

MM. Nicolaï, Bestagno

Avoués :

Mes d'Everlange, Aldebert

Avocats :

SCP Poudenx-Bayle, SCP Thréard-Léger-Bourgeon-Méresse

T. com. Nîmes, du 27 déc. 1994

27 décembre 1994

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 2 février 1988 la société anonyme Automobiles Citroën et la société anonyme Alès Auto ont passé un contrat de concession dans lequel la première est désignée sous le nom de "constructeur" et la seconde sous le nom de "concessionnaire".

Les articles 7, 26 et 31 de ce contrat disposent :

Art. 7 - Sous réserves des dispositions prévues aux articles 8, 11 et 12 ci-après, le constructeur concède au concessionnaire, pendant la durée du contrat, le droit exclusif d'implantation et d'action commerciale pour la revente des véhicules neufs et des pièces détachées de marque Citroën sur le territoire défini à l'annexe jointe au présent contrat.

Art. 26 - Le contrat est conclu pour un durée indéterminée à compter du 1er janvier 1988. Chacune des parties pourra y mettre fin à tout moment sans indemnité à l'autre partie à condition de le signifier par lettre recommandée expédiée au moins un an à l'avance. Toutefois le constructeur pourra ne donner qu'un préavis de trois mois si le présent contrat concerne un concessionnaire venant d'entrer depuis un an ou moins d'un an dans le réseau Citroën.

Art. 31 - En cas de contestation relative à l'exécution du présent contrat, ou à quelque titre que ce soit, entre le concessionnaire et le constructeur, de convention expresse les Tribunaux de Paris seront seuls compétents.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 décembre 1989 le constructeur notifiait au concessionnaire sa décision de mettre fin à leur contrat le 31 décembre 1990, ce qui conduisait le concessionnaire à lui demander le 23 janvier 1990 les motifs d'une telle décision puis, devant l'insuccès de sa démarche, à faire acte de candidature le 12 mars 1990 pour représenter à nouveau la marque Citroën.

La lettre de candidature de la société Alès Auto est libellée en ces termes :

"Compte tenu du refus de me les communiquer, je ne peux apprécier les motifs qui vous ont conduit à mettre fin pour le 31 décembre 1990 au contrat de concession qui nous unit. En conséquence, je vous confirme ma candidature pour représenter votre marque à vos conditions contractuelles en vigueur au 1er janvier 1991. Mon ancienneté dans votre réseau, mes installations et le personnel formé que je mets à votre disposition, joints à la situation financière de mon entreprise que vous avez pu apprécier me donnent à penser que vous saurez reconnaître à Alès Auto les qualités sélectives correspondantes à vos normes objectives de distributions et de service. Si de nouvelles normes devaient être mises en service l'an prochain, soyez aimable de me les faire connaître pour me permettre de m'adapter sans tarder, ce que je m'engage à faire."

Le 25 avril 1990, le constructeur manifestait un nouveau refus, ci-après reproduit qui amenait la société Alès Auto, le 3 décembre 1990, à déposer contre lui une plainte auprès du Directeur Régional de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des fraudes :

"Nous faisons suite à votre lettre du 12 mars 1990 dont les termes nont pas manqué de nous surprendre. Dans la mesure où nous vous avons fait part, le 21 décembre 1989, de notre décision de résilier votre contrat de concession le 31 décembre 1990 et de cesser, par conséquent, à cette date toute relation avec votre Société, nous ne pouvons que vous préciser que nous n'avons pas l'intention de donner suite à votre candidature pour représenter notre marque sur Alès à compter du 1er janvier 1991."

La plainte renferme un rappel des faits et le passage ci-après reproduit :

" ... il n'est pas sans intérêt de rappeler que le 18 septembre 1990, Monsieur François Raguin, Président de la Société Anonyme K. 2 Auto Concessionnaire Citroën - 2290 Route de Montpellier à Nîmes - 30004 Nîmes - Tél. : 66.84.60.05 - écrit à l'exposante pour lui faire connaître qu'il est en possession d'une lettre d'intention de la Société des Automobiles Citroën d'agréer en concessionnaire une société à constituer au début de 1991 et qu'il souhaiterait négocier avec l'exposante le transfert éventuel de ses salariés et la cession du matériel de la concession.

Ultérieurement, le 3 octobre 1990 il propose le rachat de 50 % des titres d'Alès Auto afin d'éviter à la parité de détention entre les deux groupes et enfin la location pure et simple de l'Etablissement dont la Société Alès Auto est propriétaire et où la concession est exploitée depuis sa création.

De tels éléments de fait nous paraissent relever des dispositions des articles 36, 10, 8, 2 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. "

Le 15 novembre 1993 le Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, écrivait en ces termes au Président du Tribunal de commerce d'Alès qui lui avait demandé communication des procès-verbaux et du rapport d'enquête :

" ... J'ai l'honneur de vous faire connaître que le 13 décembre 1990, mon Administration a été saisie d'une plainte pour refus de vente par Monsieur Richard, PDG de la SA Alès Auto.

Cette société s'est vu refuser sans motif par la SA Citroën le renouvellement de la concession exclusive (à elle accordé depuis 1960 sur la région d'Alès) à l'échéance de son contrat, soit le 31 décembre 1990.

Le service du Gard a effectué en janvier 1991 une enquête auprès du nouveau concessionnaire choisi par Citroën, la SA Rokad Auto dont le responsable est, par ailleurs, à la tête de la concession de Nîmes.

Cette enquête a permis d'établir que la concession nouvelle, en cours d'aménagement au début de 1991 était installée dans des locaux moins vastes et moins bien agencés que ceux d'Alès Auto. De plus, le personnel embauché provenait à plus de 80 % de l'effectif employé par l'ex concessionnaire.

Par ailleurs, mon service a demandé à la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Hauts-de-Seine, de recueillir auprès des responsables de Citroën des explications sur le refus de renouvellement du contrat.

Par déclaration en date du 18 mars 1991, les dirigeants de Citroën ont notamment confirmé qu'ils n'avaient pas à donner de motifs à la rupture des relations commerciales avec Alès Auto puisque le contrat les liant était un contrat de concession exclusive à durée déterminée dans le cadre duquel, compte tenu du règlement CEE 123-85, n'a pas à être justifiée... [sic]".

Suivant exploit du 11 février 1992 la Société Alès Auto assignait la Société Automobiles Citroën devant le Tribunal de commerce d'Alès en responsabilité et dommages-intérêts sur le fondement de l'article 36-1 et 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ainsi libellé :

Article 36 - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

1. De pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ;

2. De refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10 ;

Par jugement contradictoire du 27 décembre 1994 le Tribunal a retenu sa compétence en considérant que le fait dommageable s'était produit dans son ressort (art. 46 NCPC), et a admis en ces termes la responsabilité de la Société des Automobiles Citroën :

- Dit et juge que Citroën a refusé de communiquer les critères qualitatifs qu'elle exige de ses concessionnaires exclusifs alors que la Société Alès Auto lui en a fait la demande,

- Dit et juge que la SA Citroën a commis le délit prévu et réprimé par l'article 36-1 et 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- Dit et juge que la SA Citroën n'a pas respecté ces dispositions d'ordre public et a commis le délit civil prévu et réprimé par l'article 36-1 et 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans pouvoir se prévaloir des dispositions de l'article 10,

- Condamne la SA Citroën à payer à la SA Alès Auto la somme provisionnelle de un million de francs à titre de dommages et intérêts,

- Rejette le surplus de cette demande,

- Désigne : Monsieur Philippe Lamouroux Expert-Comptable en sa qualité d'Expert-Judiciaire, chargé d'évaluer définitivement le préjudice, résultant de la faute de la SA Citroën.

Appel de ce jugement a été relevé le 23 février 1995 par la Société Automobiles Citroën qui a signifié le 22 mars 1995 des conclusions tendant au principal à une déclaration d'incompétence territoriale au profit de la Cour d'appel de Paris conformément à l'article 31 du contrat de concession, subsidiairement à un rejet de la demande.

L'appelante soutient dans le cadre de son subsidiaire :

- que le contrat de concession est conclu en raison de la personnalité du concessionnaire,

- que l'exclusivité dont il bénéficie sur un territoire déterminé exclut qu'il soit choisi en fonction de critères objectifs de nature qualitative,

- que ni le droit interne, ni le droit communautaire (article 85 paragraphe 3 du Traité de Rome, Règlement n° 19-65 du 2 mars 1965, Règlement n° 123-85) ne permettent de condamner la politique de libre choix du concessionnaire.

La Société Alès Auto conclut à une confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a écarté l'exception d'incompétence, consacré la responsabilité de son adversaire sur le terrain de l'article 36-1 et 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et institué une expertise, mais forme appel incident pour obtenir que la provision soit portée à 2.000.000 F.

Elle réplique que la clause attributive de compétence, d'interprétation stricte, ne peut trouver application que pour les litiges nés pendant la durée du contrat de concession, et que tel n'est pas le cas en l'espèce.

Elle soutient au fond que les réseaux de distribution exclusive constituent des ententes verticales contraires au principe de la libre concurrence, saut contribution au progrès économique (article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, article 85 paragraphe 3 du Traité de Rome), et que cette condition n'est pas remplie puisque le choix du nouveau concessionnaire, la Société Rokad Auto, s'est fait au détriment des intérêts du client (locaux moins vastes et moins bien agencés).

Elle ajoute en réponse au moyen tiré du règlement n° 123-85 que si le contrat de concession passé avec elle est conforme au droit communautaire pour ce qui concerne le régime de la résiliation, ce règlement dispose dans ses considérations :

" Les clauses concernant la distribution exclusive et sélective peuvent être tenues pour rationnelles et indispensables dans le secteur des véhicules automobiles qui sont des biens meubles de consommation, d'une certaine durabilité, nécessitant, à intervalles réguliers comme à des moments imprévisibles et en des lieux variables, des entretiens et des réparations spécialisés. Les constructeurs automobiles coopèrent avec les distributeurs et ateliers sélectionnés afin d'assurer un service de vente et d'après-vente spécialement adapté au produit. "

Ce qui implique l'existence de critères de sélection.

Elle en voit la confirmation dans les articles 4 et 5 ainsi conçus :

" Article 4 : Ne fait pas obstacle à l'application des articles 1er, 2 et 3 l'engagement par lequel le distributeur s'oblige :

1) à observer des exigences minimales dans la distribution et le service de vente et d'après-vente, qui concernent notamment :

a) l'équipement de l'exploitation commerciale et des installations techniques pour le service de vente et d'après-vente,

b) la formation spécialisée et technique du personnel,

c) la publicité,

d) la réception, l'entreposage et la livraison de produits contractuels et de produits correspondants et leur service de vente et d'après-vente,

e) la réparation et l'entretien de produits contractuels. "

" Article 5 : I. Les articles 1er, 2 et 3 et l'article 4 paragraphe 2 s'appliquent à condition :

2) que le fournisseur... :

b) n'applique pas dans le cadre d'engagements pris par le distributeur conformément à l'article 4 paragraphe 1, des conditions minimales et des critères pour les estimations prévisionnelles tels que le distributeur fasse l'objet d'un traitement inéquitable ou, sans justification objectives, d'un traitement discriminatoire. "

L'intimée observe enfin que l'affirmation de son adversaire selon laquelle aucun critère de sélection ne doit jouer pour l'entrée dans un réseau de distribution automobile est contredite par le contrat de concession type dont l'article 8 dispose :

" ... L'objectif de vente, la composition du stock de produits contractuels, le nombre de véhicules de démonstration seront définis, à défaut d'accord entre les parties, par le constructeur, à partir de critères tels que le concessionnaire ne puisse faire l'objet d'un traitement inéquitable ou discriminatoire comme le prévoit l'article 5 paragraphe 1-2 du règlement CEE n° 123-85).

Il en sera de même en ce qui concerne les dispositions du contrat relatives à l'organisation de l'entreprise :

- Installation - Image de marque

- Publicité - Communication

- Personnel

- Gestion

- Après-vente.

Par conclusions en réponse et en réplique l'appelante fait valoir que la Cour de cassation a consacré le droit pour le concédant de ne pas motiver sa décision de non-renouvellement du contrat de concession, que ce contrat étant conclu intuitu personae, la sélection du concessionnaire peut reposer sur des critères subjectifs, que telle est l'opinion du Conseil de la concurrence qui a décidé le 18 juin 1991 dans une situation comparable :

" Sur le refus d'octroyer une concession à la Société Standart :

Considérant que la Société Honda France a refusé d'attribuer une concession exclusive à la Société Standart, filiale de DMSA en raison de négociations engagées avec la Société Darcos située dans le territoire sollicité : que la Société DMSA allègue que ce refus constitue une pratique contraire aux règles de la concurrence ;

Mais considérant que, d'une part, l'appréciation des qualités professionnelles et techniques des demandeurs de concession exclusive relève de la libre appréciation du fournisseur ; que d'autre part, il n'est nullement établi qu'en l'espèce que le refus opposé à la Société Standart soit le résultat d'une entente anticoncurrentielle ;

Décide

Article unique - Il n'est pas établi que la Société Honda France et la Société Japauto aient enfreint, du fait des pratiques analysées dans la présente décision, [sic] dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. " et que le Règlement n° 123-85 autorise la sélection du concessionnaire en fonction des critères subjectifs.

Dans ces mêmes conclusions l'appelante ajoute " ... si par impossible la Cour devait estimer que la Société Automobiles Citroën a commis une faute comme le soutient la Société Alès Auto en ne communiquant par les critères de sélection d'accès à son réseau, la Cour ne pourra que relever qu'il ne peut y avoir aucun lien de causalité entre la faute ainsi définie et le préjudice prétendument subi par la Société Alès Auto.

Attendu qu'en effet, celle-ci ne nie pas qu'in fine une sélection quantitative donc par nature subjective doit intervenir pour l'entrée dans les réseaux de concession exclusive.

Qu'en conséquence, même si la Société Automobiles Citroën avait dû communiquer les critères objectifs de nature qualitative, il n'en demeure pas moins qu'elle aurait eu en tout état de cause la liberté de choisir ou non la Société Alès Auto parmi les différents candidats au réseau.

Qu'ainsi il ne peut y avoir aucun lien de causalité entre le refus de communiquer des critères et le préjudice allégué qui n'est ni plus ni moins - il est important de le rappeler - que la " conséquence directe de la rupture des rapports contractuels qui existaient avec Citroën. "

Chaque partie sollicite la condamnation de l'adversaire aux dépens et le bénéfice de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Motifs

I - Sur la compétence

Attendu que l'intimée observe à bon droit :

1°) que la clause attributive de compétence figurant à l'article 31 du contrat du 2 février 1998 d'interprétation stricte, joue soit en cas de contestation relative à l'exécution de ce contrat, hypothèse qui ne peut être retenue puisque cette exécution n'est pas en cause, soit en cas de contestation entre le concessionnaire et le constructeur, hypothèse qui ne correspond pas non plus au litige puisqu'elle n'agit pas en qualité de concessionnaire mais en tant que candidate à la concession, c'est-à-dire en qualité de tiers.

2°) que se présentant comme la victime d'un dommage d'origine délictuelle, à savoir le rejet arbitraire de sa candidature, elle a valablement saisi la juridiction dans le ressort de laquelle le dommage a été subi (article 46 NCPC).

Attendu que doit donc être confirmé le rejet de l'exception d'incompétence.

II - Sur la responsabilité de l'appelante

Attendu que dans ses conclusions signifiées le 2 juin 1995 la Société Alès Auto reconnaît à son adversaire le droit d'avoir résilié leur contrat du 2 février 1988 avec effet au 31 décembre 1990, mais lui reproche sur le terrain de l'article 36-1 et 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

- un refus de réponse à sa demande de communication des critères objectifs requis pour la distribution exclusive de ses produits, refus qu'elle qualifie d'arbitraire et de discriminatoire,

- le choix comme nouveau concessionnaire de la Société Rokad Auto qui ne présentait pas les mêmes garanties qu'elle sur le plan technique et commercial, choix qui relève aussi de l'arbitraire et de la discrimination,

- le refus de conclure avec elle, sans référence à des critères objectifs, un nouveau contrat de concession, et par conséquent un refus de vente.

Attendu que la Cour doit donc rechercher et dire :

1°) si le rejet de la candidature de la Société Alès Auto, que la Société Automobiles Citroën n'a pas motivé autrement que par sa volonté de cesser toute relation avec elle à compter du 31 décembre 1990 constitue soit l'exercice d'un droit, soit une pratique discriminatoire (36-1) ou un refus de vente (36-2), au regard du droit national,

2°) si dans l'une ou l'autre hypothèse, le droit national n'est pas en contradiction avec le droit communautaire qui a primauté sur lui,

3°) en fonction de la réponse apportée aux deux questions précédentes, si la Société Alès Auto justifie d'un préjudice directement causé par l'attitude à son égard de la Société Automobiles Citroën,

1) Le premier point (le droit national)

Attendu que l'article 36-1 et 2 définissant des délits civils et instituant des exceptions au principe de la liberté contractuelle, ses dispositions sont d'interprétation stricte,

a) l'article 36-1

Attendu que ce texte suppose pour être appliqué :

- que la personne se présentant comme victime soit " partenaire économique " d'un commerçant ou industriel,

- qu'elle ait subi de la part de ce dernier des délais de paiement, des conditions de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles,

- qu'il en résulte pour elle un désavantage dans la concurrence.

Attendu que si la Société Automobiles Citroën a la double qualité d'industriel et commerçant, force est de constater que les autres conditions ne sont pas remplies en l'absence de relations commerciales entre les parties, et plus spécialement d'opérations d'achat et de vente, postérieurement au 31 décembre 1990, date de prise d'effet de la résiliation de leur contrat.

Attendu que nonobstant l'assiette assez large des termes " partenaire économique ", " conditions de vente ", " modalités de vente ou d'achat ", y transparaît en effet la nécessité de relations procédant de la vente, relations que les auteurs du texte ont voulu protéger de toute atteinte au jeu de la concurrence mais qu'ils n'ont pas entendu imposer.

Attendu que ne peuvent être contestés au demeurant le droit du concédant de traiter avec la personne de son choix, ni le droit qui est le corollaire du précédent d'écarter une candidature au profit d'une autre, ni celui enfin de se déterminer en fonction de son appréciation personnelle des qualités de chaque candidat sans devoir justifier sa décision.

b) l'article 36-2

Attendu qu'à la question de savoir si le refus d'agrément d'un candidat à une concession constitue pour le concédant, en l'absence de motivation, l'exercice d'un droit ou un refus de vente, il a été donné des réponses contradictoires (soulignées dans une note au recueil Dalloz-Sirey 1988 - Som. p. 20), la Chambre commerciale de la Cour de cassation s'inspirant du droit des contrats optant pour l'exercice d'un droit (Cass. com., 10 juin et 2 décembre 1986 D. S. 1988 Som. p. 19 et 20 - Cass. com., 4 janvier 1994 Bull. Cass. 1994 IV n° 13), la Chambre criminelle y voyant un refus de vente (Cass. crim. 23 février 1981 cité par l'intimée).

Attendu qu'au bénéfice de l'interprétation stricte du texte et du principe de la liberté de choix du partenaire dans les contrats intuitu personae, l'article 36-2 ne doit pas davantage s'appliquer que l'article 36-1.

Attendu qu'au demeurant le rejet de la candidature de la Société Alès Auto fût-il analysé comme un refus de vente, le délit ne serait pas constitué pour autant, puisqu'au 1er janvier 1991 était en place un nouveau concessionnaire (la Société Rokad Auto) auquel la Société Automobiles Citroën devait l'exclusivité de ses produits.

Attendu que cette obligation, connue de la Société Alès Auto sinon le 12 mars 1990, date de sa candidature, du moins antérieurement au 1er janvier 1991 (puisque son président directeur général avait été informé du choix d'un autre candidat, et avait même reçu des offres en prévision de son installation à Alès), aurait eu pour résultat en effet de priver sa démarche du caractère de normalité et de la nécessaire bonne foi exigés par l'article 36-2.

2) Le second point (le droit communautaire)

Attendu que l'article 85 paragraphe 3 du Traité de Rome institue une possibilité d'exception au principe posé par l'article 85 paragraphe 1.

Attendu que le règlement n° 123-85 en vigueur jusqu'au 30 septembre 1995, rend inapplicable l'article 85 paragraphe 1 aux restrictions de concurrence que constituent en matière de concession exclusive de marque d'automobile la sélection des revendeurs, leur spécialisation dans la vente de véhicules d'un seul fabricant et l'interdiction de livrer des revendeurs hors réseau.

Attendu que si le règlement n° 123-85 autorise une sélection des revendeurs selon des critères rigoureux, il ne comporte aucune restriction à la liberté de choix du concédant.

Attendu que sa portée exacte a été ainsi précisée par la Cour de Justice, en réponse à une question préjudicielle :

CJCE 12 décembre 1986 VAG France, att. n° 12

" Le Règlement n° 123-85, en tant que règlement d'application de l'article 85, paragraphe 3, du Traité, se limite à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non-concurrence, dans leurs accords de distribution et de service de vente et d'après-vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1... ".

Attendu que la solution dégagée au regard du droit national n'est donc pas contraire au droit communautaire.

3) Le troisième point (le préjudice)

Attendu que ce qui vient d'être jugé, rend sans objet la discussion du préjudice.

Attendu que la Cour observe toutefois, à titre superfétatoire, que la Société Alès Automobiles voit dans le rejet de sa candidature l'ouverture d'un droit à réparation du préjudice constitué par la " perte de valeur du parc de véhicules Citroën qu'elle avait créé " et la perte de " ses investissements ", alors qu'en l'absence de droit à l'agrément elle pouvait tout au plus invoquer (ce qu'elle n'a pas fait) la perte d'une chance.

III - Les dépens, l'article 700 du NCPC

Attendu que si le Juge doit trancher en droit les litiges qui lui sont soumis, il tire des articles 696 et 700 du Nouveau Code de Procédure Civile le droit de se déterminer en fonction de l'équité lorsqu'il statue sur la charge des dépens et sur les frais irrépétibles.

Attendu que considérant, d'une part, la succombance de la Société Alès Auto, d'autre part, la brutalité dont a fait preuve la Société Automobiles Citroën vis-à-vis d'un ancien concessionnaire avec lequel elle était restée en relation pendant plusieurs décennies sans lui avoir jamais adressé le moindre reproche, la Cour estime devoir compenser les dépens et rejeter les demandes formées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale, et en dernier ressort ; En la forme reçoit l'appel ; Confirme la décision entreprise sur la compétence ; L'infirme pour le surplus, et déboute la Société Alès Auto de son action ; Dit que chaque partie supportera ses dépens de première instance et d'appel.