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Décisions

Cass. com., 10 janvier 1995, n° 92-17.892

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Daubresse

Défendeur :

Les Fils de Louis Mulliez (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot (faisant fonctions)

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, Me Ryziger

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 25 juill. …

25 juillet 1990

LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Douai, 5 décembre 1991), que Mme Daubresse a conclu, en avril 1967, un contrat de client privilégié avec la société Les Fils de Louis Mulliez (société Phildar) qui exploite un réseau de distribution de franchise pour la commercialisation du fil à tricoter, des bas, des chaussettes, des articles de lingerie féminine et des pulls à tricoter ; que le 29 avril 1985, Mme Daubresse (le franchisé) et la société Phildar ont signé une convention intitulée " contrat de franchise Phildar " pour une durée de quatre années expirant le 31 mars 1989 ; que le franchisé, qui s'y était engagé par un avenant signé à la même date que le contrat de franchise, a exécuté, pour la somme de deux cent mille francs, les travaux nécessaires pour que son magasin respecte les normes ; qu'au cours des années 1986 à 1988, le chiffre d'affaires réalisé par le franchisé a été plus faible que l'estimation prévisionnelle ; que le contrat de franchise imposait au franchisé de ne vendre que des produits portant la marque Phildar ; qu'après avoir vainement sollicité l'autorisation de le faire, le franchisé a vendu des produits portant d'autres marques ; que la société Phildar a mis en demeure le franchisé de cesser de vendre des produits concurrents ce qu'a refusé le franchisé qui, attribuant au service de vente dit service " marketing " de la société Phildar la chute du chiffre d'affaires, a assigné, en réparation de son préjudice, la société Phildar qui, reconventionnellement a demandé le paiement des fournitures et de dommages et intérêts ;

Sur le premier moyen pris en ses deux branches : - Attendu que Mme Daubresse fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en annulation du contrat pour dol alors, selon le pourvoi, d'une part, que le dol est constitué par la manœuvre consistant pour le franchiseur, dont le rôle est notamment d'aider son cocontractant à connaître ses potentialités commerciales, à présenter des comptes prévisionnels trompeurs pour amener le franchisé à accepter le renouvellement de son contrat ainsi que l'engagement ruineux d'agrandir son magasin (de manière à maintenir l'image de la marque à ses frais) ; qu'en énonçant en l'espèce que les résultats prévisionnels manifestement irréalistes établis par le franchiseur n'étaient pas garantis tandis que son expérience devait lui permettre d'en tempérer " l'optimisme ", ce qui n'était pas de nature à altérer le caractère dolosif du procédé utilisé, la cour d'appel a violé l'article 1116 du Code civil ; alors, d'autre part, que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que le juge ne pouvait tout à la fois, d'un côté, constater que le franchiseur était conventionnellement tenu d'aider le franchisé pour l'étude du marché local et de ses potentialités commerciales et, d'un autre côté, retenir qu'elle ne devait pas faire confiance au franchiseur lorsqu'il lui établissait son bilan prévisionnel ; qu'en se fondant ainsi sur des motifs inconciliables s'agissant de l'existence, de la pertinence et de la gravité des faits dolosifs invoqués, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt relève d'un côté, que Mme Daubresse avait vingt-deux ans d'expérience professionnelle sous l'enseigne Phildar et avait une connaissance suffisante du marché pour apprécier la validité des comptes prévisionnels qui lui étaient soumis et, d'un autre côté, que la société Phildar ne garantissait pas juridiquement la réalisation de ces prévisions et que son obligation d'assistance du franchisé pour l'étude du marché local et de ses potentialités, ne l'obligeait pas à se substituer au franchisé qui demeure un commerçant indépendant et responsable; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, hors toute contradiction, a pu retenir que Mme Daubresse ne rapportait pas la preuve que la société Phildar avait par des manœuvres dolosives déterminé Mme Daubresse à conclure le contrat litigieux; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches : - Attendu que Mme Daubresse fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en annulation du contrat pour indétermination du prix alors, selon le pourvoi, d'une part, que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en l'espèce le juge ne pouvait tout à la fois, d'un côté, énoncer que le prix était déterminable hors la volonté du franchiseur et, d'un autre côté, constater que seules les modifications importantes de tarif pouvaient faire l'objet d'un arbitrage ; qu'en se fondant sur des motifs inconciliables quant à la détermination du prix en dehors de toute modification importante, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'après avoir constaté que l'obligation d'approvisionnement exclusif à sa charge était une condition déterminante du contrat et que le franchiseur était autorisé à modifier unilatéralement le prix de vente des objets destinés à la revente à la condition que cette modification ne soit pas " importante ", ce dont il résultait que les prix applicables aux ventes successives nécessaires à la mise en œuvre de la convention dépendaient de la seule volonté du franchiseur, le juge ne pouvait refuser d'annuler le contrat de franchisage pour indétermination du prix des marchandises qu'elle était tenue d'acquérir ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1129 et 1591 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève que le contrat prévoyait qu'à la signature du contrat, le tarif de facturation des marchandises était déterminé par rapport à celui de la société Phildar et que, pour l'avenir, d'un côté le franchiseur pouvait modifier, en hausse ou en baisse, le tarif pour suivre celui de ses fournisseurs et l'évolution du marché, et d'un autre côté, qu'en cas de modification importante de ce tarif non acceptée par le franchisé, le différend était soumis à deux arbitres désignés par le tribunal de commerce ; qu'à partir de ces constatations, la cour d'appel qui, à juste titre et hors tout contradiction, a retenu que l'application du contrat permettait au franchiseur d'adapter les prix à l'évolution du marché, a pu décider que les prix n'étaient pas déterminés par la seule volonté du franchiseur dès lors que le franchisé pouvait recourir à la désignation d'arbitres s'il contestait la modification du tarif ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen pris en ses trois branches : - Attendu que Mme Daubresse fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en résiliation du contrat aux torts de la société Phildar alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'est prohibé le fait d'imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien ; qu'après avoir constaté que des pressions étaient exercées par le franchiseur pour faire respecter les tarifs qu'il communiquait à ses distributeurs, le juge ne pouvait retenir qu'il n'imposait pas les prix de revente de ses produits ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, que la fixation de prix de revente imposés aux franchisés d'un réseau, astreints à une exclusivité d'approvisionnement, établit l'existence d'une entente prohibée et caractérise une exploitation abusive de l'état de dépendance économique dans lequel ils se trouvent vis-à-vis du franchiseur au cours de l'exécution des conventions ; qu'une telle pratique justifie légalement la résiliation du contrat aux torts du franchiseur dès lors qu'elle traduit une méconnaissance de ses obligations contractuelles essentielles (respect de l'indépendance des franchisés) ; que la cassation à intervenir entraînera donc l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt en ce qu'il a rejeté les moyens tirés de l'existence d'une entente prohibée et d'un abus de l'état de dépendance économique ainsi que de la violation par le franchiseur de ses obligations contractuelles essentielles, cela en application des dispositions de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin qu'elle faisait également grief au franchiseur, qui lui avait fourni des comptes prévisionnels irréalistes et l'avait obligée à procéder à des travaux d'agrandissement injustifiés, de ne pas avoir respecté son obligation de conseil et d'assistance, ce qui lui interdisait de se prévaloir des manquements de sa cocontractante ; qu' en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que le contrat prévoyait que le prix de vente au consommateur était fixé de façon libre par le franchisé et que les prix communiqués par la société Phildar n'ayant qu'un caractère indicatif maximal, le franchisé pouvait faire bénéficier ses clients de conditions plus avantageuses; que la cour d'appel a retenu que si d'autres franchisés ou deux anciens salariés de la société Phildar affirmaient que des pressions avaient été exercées sur Mme Daubresse pour qu'elle respecte les tarifs communiqués, il n'était pas démontré que la société Phildar avait mis en demeure le franchisé de respecter les prix communiqués par lui;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève d'un côté que Mme Daubresse a renvoyé plusieurs commandes et a annulé des bons de commandeet d'un autre côté qu'à la date de la signature du contrat de franchise elle n'était tenue par aucune clause de non-concurrence ce qui lui permettait d'adhérer à un autre réseau de distribution ; qu'à partir de ces constatations et appréciations la cour d'appel a pu décider qu'il n'était pas démontré que la société Phildar avait, par une entrave à la concurrence, abusé d'une position dominante ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui avait rejeté la prétention de Mme Daubresse relative aux manœuvres dolosives de la société Phildar et a donc répondu, en les rejetant, aux conclusions prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le cinquième moyen : - Attendu que Mme Daubresse fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnité alors, selon le pourvoi, qu'elle imputait à faute à son cocontractant de lui avoir imposé des obligations conventionnelles excessives après lui avoir présenté un bilan prévisionnel irréaliste ; qu'en s'abstenant de rechercher si le franchiseur avait manqué à ses obligations précontractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu qu'il n'était pas démontré que la société Phildar avait commis des manœuvres dolosives pour obliger Mme Daubresse à contracter, a donc procédé à la recherche prétendument omise ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le quatrième moyen pris en sa seconde branche : - Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; - Attendu que pour prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts de Mme Daubresse et la condamner à payer des dommages et intérêts à la société Phildar, la cour d'appel énonce que " l'obligation de fourniture exclusive imposée au franchisé Phildar est valable dans la mesure où elle est nécessaire pour préserver l'identité et la réputation du réseau de franchise Phildar ; elle relève de la nature même de la formule de distribution en cause ";

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à démontrer concrètement en quoi la clause litigieuse était indispensable pour préserver l'identité et la réputation du réseau de franchise, la cour d'appel a violé le texte susvisé;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du quatrième moyen : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 décembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.