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Décisions

CA Lyon, 7e ch., 29 novembre 1990, n° 652

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fédération des Organisations du commerce, de l'artisanat et des services de la Loire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman

Conseillers :

MM. Poudensan, Gouverneur

Avoué :

Me Cabannes

Avocats :

Mes Moulard, Clergue.

Lyon, 7e ch., du 21 juin 1990

21 juin 1990

Faits, procédure et prétentions des parties

Le 29 juin 1988 procès-verbal a été dressé à l'encontre de X Jean-Paul, directeur de l'hypermarché Y de Saint-Etienne, par des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour revente à perte d'un produit, en l'espèce des barils de lessive.

Le 8 février 1990 le Tribunal de grande instance de Saint-Etienne condamnait X pour cette infraction à 3 000 F d'amende, déclarait la société Z civilement responsable et, d'autre part, déclarait irrecevable l'action de l'Association Focas qui s'était constituée partie civile.

Sur appel de la Focas relevé le 13 février 1990, un arrêt confirmatif était rendu le 21 juin 1990 par défaut à l'égard de cette partie civile.

Ayant reçu signification le 11 juillet 1990 la Focas a régulièrement fait opposition par une lettre de son conseil en date du 17 juillet 1990 reçue au Parquet Général le 19 juillet 1990.

Par conclusions régulièrement déposées elle fait valoir que l'action des associations correspond à un besoin sociologique ; que la jurisprudence actuelle l'admet largement et qu'elle a même souvent précédé la loi ou ajouté à la loi dans ce domaine. Plus précisément, elle soutient que ses efforts sont conformes à ses statuts, qu'elle a vu son action contrariée par le comportement du prévenu et que le préjudice direct causé par l'infraction est distinct du préjudice social dont le Ministère Public poursuit la réparation. Elle affirme que les constatations et les circonstances de l'espèce impliquent l'existence d'un préjudice direct et personnel subi par elle en raison de la spécificité de son but et de l'objet de sa mission et qu'il est constant que le comportement du prévenu va à l'encontre des dépenses qu'elle expose pour remplir sa mission. Elle allègue qu'il y a lieu de se reporter à ses statuts, qu'un agrément officiel ministériel ou préfectoral n'est pas nécessaire pour qu'elle puisse exercer l'action civile, qu'il n'est ni utile, ni indispensable qu'elle prenne la forme d'un syndicat professionnel dès lors qu'elle justifie de la défense et de la sauvegarde des intérêts collectifs dont elle a la charge par ses statuts et sa mission et qu'il résulte de la nature des poursuites et de la condamnation prononcée à titre définitif sur le plan pénal que le prévenu a porté atteinte au jeu normal de la concurrence et par conséquent aux intérêts collectifs défendus et protégés par elle. Elle conclut à la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 8 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F au titre de l'article du Code de procédure pénale, outre les frais et émoluments de Me Cabannes, Avoué. Elle demande encore que la société Y (Z) soit jugée civilement responsable et que les condamnations qui seront prononcées sur le plan civil soient exécutées in solidum avec le prévenu.

Ce dernier conclut à la confirmation de la décision déférée.

La société Y (Z) fait défaut.

Discussion

Attendu que l'opposition de la partie civile met à néant à son égard l'arrêt du 21 juin 1990 ; qu'il y a lieu de statuer à nouveau sur le mérite de son appel du jugement du 8 février 1990 du Tribunal correctionnel de Saint-Etienne ;

Attendu que la Fédération des organisations du commerce, de l'artisanat et des services de la Loire (en abrégé Focas) est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, déclarée à la Préfecture de la Loire le 20 juillet 1981 et ayant déposé le 19 avril 1990 une déclaration de changement de statuts et de bureau ;

Attendu qu'elle verse aux débats, comme seules justifications de son action, le récépissé de cette dernière déclaration ainsi que ses statuts actuels et la composition de son bureau directeur et de son conseil d'administration ; qu'elle est représentée par son président en exercice Adrien Glasian, habilité à ester en justice en son nom par l'article 14 des statuts ;

Attendu que l'article 2 des mêmes statuts dispose qu'elle a pour but la sauvegarde, la promotion et la défense, tant au civil qu'au pénal, à l'administratif et au social, pour le respect des textes légaux et réglementaires en toutes matières, de toutes les entreprises adhérentes à la Fédération par l'intermédiaire d'une organisation, d'une association ou à titre individuel ;

Attendu que le besoin sociologique auquel répondrait selon l'appelante l'action des associations ne saurait suffire à rendre recevable sa constitution de partie civile, qui doit être appréciée au regard des textes de la loi en vigueur, tels que les interprète la jurisprudence;

Attendu que l'article 2 du Code de procédure pénale, applicable - sauf exceptions définies par la loi - à toute personne physique ou morale, dispose que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ;

Attendu que les multiples interventions du législateur pour élargir en certaines matières le droit d'agir en justice des groupements (article L. 411-11 du Code du travail en faveur des syndicats professionnels, article 289 alinéa 3 du Code pénal en faveur des associations de défense de la moralité publique, article L. 96 du Code des débits de boissons en faveur des associations de lutte contre l'alcoolisme, article 3-4° du Code de la famille et de l'aide sociale en faveur des associations familiales, article 46 de la loi du 27 décembre 1973 puis article 1er de la loi du 5 janvier 1988 en faveur des associations de consommateurs, loi du 9 avril 1975 en faveur des associations de lutte contre le proxénétisme, article 26 de la loi du 15 juillet 1975 et article L. 160-1 du Code de l'urbanisme en faveur des associations de protection et d'amélioration du cadre de vie et de l'environnement, article 14 de la loi du 10 juillet 1976 en faveur des associations de protection animale, article 2-1 à 2-10 du Code de procédure pénale en faveur de diverses associations ayant un objet déterminé, etc.) établissant a contrario qu'en dehors des cas strictement délimités par ces textes les associations ne peuvent intervenir en justice en invoquant l'intérêt collectif de leurs membres

Attendu que plus particulièrementles associations professionnelles, à la différence des syndicats, ne représentent pas de plein droit la profession de ceux qui en font partie(Cass. ch. réunies 15 juin 1923 : S.1924.1.49) ;

Attendu que les arrêts de jurisprudence apparemment contraires à ces principes que cite la partie civile dans ses conclusions concernent dans leur quasi-totalité des associations légalement habilitées à agir en justice pour la défense d'intérêts collectifs :

- Associations de lutte contre l'alcoolisme (Cass. crim. 28 nov. 1973 : Bull. crim. n° 441 p. 1101 ; 19 mars 1975 : ibid. n° 83 p. 231 ; 23 juin 1983 : ibid. n° 195 p. 489 et n° 196 p. 418) ;

- Associations de consommateurs (Cass. crim. 15 mai 1984 : Bull. crim. n° 178 p. 461, D.1986.106) ;

Attendu que certaines juridictions ont accueilli plus largement, avant l'intervention du législateur ou même en l'absence d'intervention du législateur, l'action d'associations ayant pour objet la protection de victimes incapables de se défendre par elles-mêmes (animaux victimes de mauvais traitements, etc.) ou la lutte contre les fléaux sociaux (proxénétisme, violence sexuelles, tabagisme, etc.) ;

Attendu que notamment la Cour de cassation a approuvé une Cour d'appel, qui, pour allouer des dommages-intérêts à l'Association de lutte contre le tabagisme en matière de publicité interdite par l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976, avait constaté que les agissements du prévenu étaient venus contrarier les efforts que ladite association déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par des campagnes d'information nombreuses et par l'édition d'une publication périodique (Cass. crim. 7 fév. 1984 : Bull. crim. n° 41 p. 110) ;

Attendu que la Focas ne saurait en aucune manière s'identifier à une association de protection de victimes incapables de se défendre par elles-mêmes ou de lutte contre les fléaux sociaux ; qu'au surplus elle ne justifie en rien d'avoir engagé d'importantes dépenses, que l'infraction poursuivie aurait rendues vaines, pour lutter contre la pratique de prix illicites ;

Attendu que les décisions de jurisprudence susvisées, favorables à une extension du droit d'action des associations, ont la caractéristique commune de concerner des cas où aucun autre mode d'action n'était possible à l'époque où elles ont été rendues et où par conséquent l'intervention d'associations en qualité de parties civiles présentait une utilité sociale ;

Attendu qu'en l'espèceles organisations du commerce, de l'artisanat et des services de la Loire regroupées au sein de la Focas avaient la faculté de se constituer en syndicats professionnels et en union de syndicats et de bénéficier ainsi légalement du droit d'ester en justice pour la défense de l'intérêt collectif de leur profession contre tout fait portant un préjudice direct ou indirect à cet intérêt; qu'ayant délibérément opté pour la forme associative elles ne sauraient bénéficier des prérogatives attribuées à ces groupements par les articles L. 411-11 et L. 411-23 du Code du travail;

Attendu que la Focas n'apporte pas le preuve d'avoir personnellement subi un préjudice directement causé par l'infraction poursuivie ; que les premiers juges ne peuvent qu'être approuvés pour avoir déclaré son intervention irrecevable ;

Attendu que, succombant en son opposition et en son appel, la partie civile doit en supporter les dépens, conformément aux articles 475 et 512 du Code de procédure pénale ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de la partie civile et du prévenu, par application des articles 414 et 411 du Code de procédure pénale en ce qui concerne ce dernier, par défaut à l'égard du civilement responsable, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Reçoit la partie civile en son opposition à l'arrêt du 21 juin 1990 ; Statuant à nouveau sur le mérite de son appel, Confirme le jugement du 8 février 1990 du Tribunal correctionnel de Saint-Etienne en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la Fédération des organisations du commerce, de l'artisanat et des services de la Loire-Focas) ; Condamne la partie civile aux dépens occasionnés par son appel et son opposition et aux frais de son intervention.