CA Lyon, 7e ch. A, 18 janvier 1995, n° 42
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Procureur général, Association des Nouveaux Consommateurs du Rhône
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dulin
Conseillers :
MM. Gouverneur, Azoulay
Avocat :
Me Guillot
Par jugement en date du 22 avril 1993, le Tribunal de grande instance de Lyon,
statuant sur les poursuites diligentées à l'encontre de X et de Y du chef d'avoir :
En ce qui concerne Gilles Y :
- en qualité de directeur de l'hypermarché L, revendu neuf produits en l'état à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif, en l'espèce :
- Axion 2 (5 kg) revendu 54,20 F acheté 57,02 F TTC.
- Dash 3 (5 kg) revendu 58,80 F acheté 63,80 F TTC.
- Skip Micro revendu 45,30 F acheté 49,30 F TTC.
- Martini rouge revendu 39,10 F acheté 39,24 F TTC.
- Café Grand Mère revendu 20,90 F acheté 23,73 F TTC.
- Café Jacques Vabre revendu 14,30 F acheté 17,62 F TTC.
- Raviolis pur boeuf revendu 7,50 F acheté 7,84 F TTC.
- Raviolis Riches revendu 10,70 F acheté 12,24 F TTC.
- Dentifrice Signal revendu 7,00 F acheté 8,18 F TTC.
(article 1er de la loi 63-628 du 2 juillet 1963, modifié par l'article 32 de l'Ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986) ;
En ce qui concerne Alain X et Gilles Y :
- entre décembre 1991 et septembre 1992, étant acheteurs de produits, omis de réclamer aux fournisseurs Elida, Gibbs, Fabergé et Panzani, des factures de coopération commerciale, mentionnant la dénomination précise et le prix unitaire hors TVA des produits vendus et des services rendus (factures Elida-Gibbs-Fabergé n° 03952, 03982, 04208, 03432, 0345, 02683, 02686, 02685, 02684, 02747, 02799, 02800, 02773, 02748, 02771, 02772, 03757, 03774, 03773, 02775 ; Factures Panzani n° 05152, 04103, 04209, 04104, 02840, 02839).
(articles 31, 55 et 56 de l'Ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986) ;
A :
Renvoyé Alain X des fins de la poursuite,
Requalifié l'infraction aux règles de la facturation reprochée à Gilles Y en émission de factures non conformes,
Déclaré Y coupable de ces faits ainsi requalifiés et de revente à perte,
Et par application des articles susvisés, 463 du Code pénal, 749, 750 du Code de procédure pénale l'a condamné à :
Huit mille francs d'amende,
Le prévenu étant redevable du droit fixe de procédure et la contrainte par corps fixée conformément à la loi.
Sur l'action civile :
Le tribunal a condamné le prévenu in solidum avec le civilement responsable à verser à la partie civile 2.000 francs à titre de dommages-intérêts et 1.500 francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; les a condamnés aux dépens.
Attendu que les appels interjetés par Gilles Y et le Ministère Public à l'encontre de celui-ci et d'Alain X sont recevables en la forme ;
Attendu qu'Alain X demande à être représenté à l'audience par son Conseil ; qu'il sera statué à son égard par arrêt contradictoire en application de l'article 411 du Code de procédure pénale ;
Attendu que Gilles Y ne comparaît pas bien que régulièrement cité à personne ; qu'il ne fournit aucune excuse sur les raisons de cette absence ; qu'à défaut de lettre de représentation, il ne peut être représenté par un avocat ; qu'il sera statué à son égard par arrêt contradictoire en application de l'article 410 du Code de procédure pénale ;
Attendu que l'association des nouveaux consommateurs du Rhône sollicite par lettre la confirmation de la décision entreprise ; qu'il sera statué à son égard contradictoirement par application de l'article 420-2 du Code de procédure pénale ;
Sur l'action publique :
Attendu que les faits ont été exactement exposés par les premiers juges ; qu'il sera seulement rappelé que le 17 septembre 1992, les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes constataient que l'hypermarché L de Meyzieu (Rhône), exploité par la société anonyme M, revendait à perte neuf produits ; qu'au cours de ce contrôle, ces services constataient qu'il leur était produit par ce magasin des factures ne comportant pas les mentions exigées par la loi ;
Attendu qu'Alain X, président directeur général de la société en cause, déclarait qu'il avait donné à Gilles Y, directeur de ce magasin, une délégation de pouvoirs en matière de fixation des prix et qu'il n'était donc pas responsable des éventuelles infractions relevées dans ce magasin ;
Attendu que ce dernier, tout en reconnaissant l'existence de la délégation de pouvoirs, réfutait les constatations des agents de l'administration qui n'avaient pas tenu compte des remises dont ils avaient bénéficié ; qu'il précisait que s'il en avait été tenu compte, il aurait été constaté qu'aucun des produits n'était revendu à perte ;
Attendu que devant la Cour, Alain X et la Société M sollicitent la confirmation de la décision entreprise ;
Attendu que le Ministère Public demande la confirmation de la décision entreprise, sauf à augmenter la peine d'amende infligée à Gilles Y ;
1) Sur la délégation de pouvoirs :
Attendu que Gilles Y a toujours considéré qu'en sa qualité de directeur d'hypermarché et eu égard à la délégation de pouvoir qui lui avait été donnée, il lui appartenait de répondre pénalement des infractions qui lui sont reprochées même s'il a toujours contesté leur matérialité ; qu'en effet, lors de la conclusion de son contrat de travail, Alain X, président directeur général d'une société exploitant plusieurs supermarchés, lui a délégué les plus larges pouvoirs, notamment en matière économique, et qu'il avait l'autorité, les moyens et la compétence nécessaire pour fixer les prix des produits mis en vente dans le magasin dont il avait la responsabilité et pour assurer le respect de la législation en la matière;
Attendu en conséquence que la délégation de pouvoirs est valable et qu'Alain X sera, par confirmation de la décision entreprise, relaxé des fins de la poursuite ;
2) Sur la culpabilité :
a) Sur la revente à perte
Attendu qu'aux termes de la loi, le prix d'achat effectif d'un produit est présumé être le prix porté sur la facture d'achat majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et, le cas échéant, du prix du transport ; qu'il appartient au prévenu pour renverser cette présomption de rapporter la preuve de l'existence de ristournes, rabais et remises, certains en leur principe et chiffrables en leur montant, ou d'accords de coopération commerciale ;
Attendu sur l'existence des ristournes, rabais et remises, que sur les cadenciers fournisseurs produits par Gilles Y, il est seulement indiqué le taux et la périodicité de versement, aucune dénomination de la remise n'étant précisée sur le document ; que les balances mensuelles de ristournes distribuées et à recevoir mentionnent des taux de remises de fin d'année versées soit au Z, centrale de référencement à laquelle sont affiliés les magasins L, soit à la W, centrale d'approvisionnement dont dépendent les magasins L de la région Rhône-Alpes, soit au magasin ; que l'examen de ces documents ne permet de déterminer, ni la conditionnalité ou l'inconditionnalité des remises ni leur nature ; qu'au surplus, il n'est pas démontré que les remises versées par les fournisseurs au Z et à la W aient été reversées intégralement au magasin ; qu'ainsi ces remises, rabais et ristournes, ne peuvent être pris en compte pour le calcul du seuil de revente à perte ;
Attendu que la rémunération de la coopération commerciale peut être déduite du prix d'achat pour le calcul de la revente à perte à condition qu'ait été conclu un accord de coopération commerciale antérieurement à l'opération concernée, mentionnant la nature, la quantité et la durée du service ainsi que le montant chiffrable de sa rémunération et que soit démontrée la volonté du fournisseur de voir la rémunération de coopération commerciale diminuer le prix d'achat effectif ; qu'en l'espèce l'accord de coopération commerciale ne précise pas la nature et la durée du service ; que les factures de coopération commerciale produites sont très imprécises dans leur rédaction, qu'en effet elles ne mentionnent pas la dénomination exacte et le prix unitaire hors taxe des produits vendus et des services rendus ; qu'ainsi, ces factures ne sont pas suffisamment probantes pour être prises en compte dans le calcul du seuil de revente à perte ;
Attendu en conséquence, qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que Gilles Y a bien revendu à un prix inférieur au prix d'achat les produits visés à la prévention ; qu'il doit être, par confirmation de la décision entreprise, maintenu de ce chef dans les liens de la prévention ;
b) Sur l'infraction aux règles de la facturation
Attendu que la société M a établi, entre décembre 1991 et septembre 1992, des factures de coopération commerciale qui ne mentionnaient ni la dénomination précise, ni le prix unitaire hors taxe des produits vendus et des services rendus; que l'infraction, justement qualifiée par le tribunal d'émission de factures non conformes, est donc établie; que Gilles Y sera en conséquence déclaré coupable de ce délit ;
Attendu que la peine infligée par le tribunal apparaît trop indulgente eu égard à la nature de l'infraction et aux bénéfices que retirent les commerçants se livrant à une telle pratique ; qu'il sera infligé à Gilles Y une amende de 40.000 F et que la publication du présent arrêt sera ordonnée ;
Attendu que la décision qui a déclaré la société M civilement responsable de son préposé sera confirmée ; qu'elle sera tenu solidairement au paiement de l'amende conformément à l'article L. 141-1-IV du Code de la consommation ;
Sur l'action civile :
Attendu qu'en annonçant des prix de revente à perte, le magasin L a attiré des consommateurs par des espoirs illusoires dans la mesure où la perte subie par lui sur quelques articles a été compensée par les profits réalisés sur l'ensemble du magasin; qu'au surplus le libre choix des consommateurs, attirés par des prix illicites que les concurrents se refusent à pratiquer, est faussé; qu'il est ainsi démontré qu'il a été porté préjudice aux intérêts des consommateurs; qu'en conséquence, le Tribunal a, à bon droit, reçu la constitution de partie civile de l'association des nouveaux consommateurs du Rhône ayant pour objet statutaire la défense des intérêts des consommateurs et a justement fixé à 2.000 F le montant des dommages-intérêts et à 1.500 F la somme allouée sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale<//B>;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoirement, par application de l'article 410 du Code de procédure pénale à l'égard de Gilles Y, contradictoirement, en application de l'article 411 du Code de procédure pénale à l'égard de l'association des nouveaux consommateurs du Rhône, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Sur l'action publique : Confirme la décision entreprise sur la déclaration de culpabilité de Gilles Y et la relaxe d'Alain X, en précisant que l'infraction de revente à perte a été commise le 17 septembre 1992 ; Réforme sur la peine et condamne Gilles Y à une amende de 40.000 F, Déclare la société M civilement responsable de son préposé et dit qu'elle sera tenue solidairement au paiement de l'amende prononcée, Ordonne la publication du présent arrêt, aux frais du condamné, dans le journal Le Progrès, édition de Lyon, sans que le coût de cette publication excède 5.000 F, Dit que le condamné sera redevable du droit fixe de procédure applicable à la présente décision, Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à la loi, Le tout par application des articles 1 de la loi du 2 juillet 1963, modifié par l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 31, 54, 55 de l'ordonnance précitée, 141-1, 141-1-IV du Code de la consommation, 496 à 520, 749, 750 du Code de procédure pénale, Sur l'action civile : Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions civiles, Condamne in solidum Gilles Y et la société M aux frais de l'action civile.