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Décisions

Cass. crim., 10 octobre 1996, n° 95-80.226

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. Mordant de Massiac

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocat :

Me Blondel.

TGI Caen, ch. corr., du 17 mai 1994

17 mai 1994

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par S Jean-Pascal, contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 18 novembre 1994, qui, pour revente à perte, l'a condamné à 20 000 F d'amende et a prononcé sur les intérêts civils. - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er de la loi n° 63-268 du 2 juillet 1963, modifié par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 121-3 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable du délit de revente à prix illicite et l'a condamné à la peine de 20 000 F d'amende ;

" aux motifs, sur le calcul du prix d'achat, que la société Y est une filiale à 100 % des Z ; qu'aux procès-verbaux rédigés respectivement le 12 juin 1992 portant sur le contrôle du 27 février 1992 et le 28 avril 1993 portant sur le contrôle du 26 janvier, ont été joints l'ensemble des documents fournis par Jean-Pascal S ; qu'il a produit un tableau récapitulatif faisant apparaître, pour chacun des articles vérifiés, son prix d'achat par Z, tel qu'il résulte de la facture du fournisseur, et le prix d'achat net correspondant tel qu'il résulte des avantages et remises négociés par le groupe ; que, pour chacun des articles vérifiés, Z a fourni une copie de la facture du fournisseur et les fiches récapitulatives des accords correspondants, négociés par le groupe ; qu'afin de ne pas pénaliser l'entreprise, bien que toutes les pièces justificatives des paiements n'aient pas été produites, ont été considérées comme exactes les indications fournies par Z pour ce qui est de la globalité des avantages différés qu'elle a pris en considération dans ses calculs ; qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause le prix d'achat ainsi calculé, et ce moyen de défense présenté par Jean-Pascal S sera écarté ; sur l'exception d'alignement, qu'il est constant que Jean-Pascal S a aligné le 26 janvier 1993 les prix de 3 des 4 produits contrôlés sur ceux du supermarché Leclerc à Bayeux ; que les dispositions légales visant la revente à perte ne sont pas applicables aux produits dont le prix de revente est aligné sur le prix légalement pratiqué pour les mêmes produits par un autre commerçant dans la même zone d'activités ; que les produits litigieux étant incontestablement les mêmes, il y a lieu de rechercher si le magasin X de Villers-Bocage et le supermarché Leclerc de Bayeux se trouvent dans la même zone d'activités ; que ces 2 magasins ne sont pas situés dans la même ville ou dans la même agglomération et sont distants de 25 km ; que leur clientèle est essentiellement locale et que la concurrence s'exerce avec les grands supermarchés de la métropole caennaise, qui se trouvent à 23 km de Bayeux et à 20 km de Villers-Bocage, et qui est reliée à ces 2 communes par une quatre-voies ; qu'il en résulte que les 2 magasins ne s'adressent pas à la même clientèle et qu'ils ne peuvent, en conséquence, être considérés comme étant dans une même zone d'activités ;

" alors que, d'une part, pour administrer la preuve de la réalité des ristournes résultant d'accords commerciaux passés avec les grossistes et non portés sur les factures d'achat, le demandeur faisait valoir dans un chef péremptoire de ses conclusions d'appel laissé sans réponse que les services de la DGCCRF n'ont pas pris en compte l'ensemble des remises et ristournes accordées par les sociétés Henkel, Procter et Lever ; que les accords relatifs au respect des délais de paiement ont été ignorés, comme les objectifs de chiffres d'affaires, alors que le principe en était acquis et que les accords étaient matérialisés par " les conditions de groupe " remises à la DGCCRF ; qu'ainsi, en l'état de ces données, la revente à perte des 4 produits ne pouvait être légalement caractérisée ;

" alors, d'autre part, et en toute hypothèse, que les dispositions de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963 interdisant la revente à perte sont inapplicables lorsque le vendeur s'est aligné sur le prix légalement pratiqué par un autre commerçant pour le même produit et dans la même zone d'activités ; que l'alignement doit s'apprécier par rapport aux prix pratiqués dans la même région, entendue comme étant la même zone d'approvisionnement ou de chalandage et non par rapport à un secteur de quelques kilomètres ; que le prévenu insistait dans ses écritures d'appel sur le fait que le magasin X à Villers-Bocage, situé à mi-distance de Bayeux et de Caen, se trouve dans la même zone d'activités que le supermarché Leclerc à Bayeux, les 2 magasins étant de taille identique, les dirigeants du supermarché Leclerc faisant distribuer régulièrement des documents publicitaires sur la commune de Villers-Bocage ; que, dès lors, en fondant la déclaration de culpabilité sur la circonstance que les 2 magasins concurrents sont distants de 25 km, la cour d'appel, qui n'a pas poussé plus avant ses investigations par rapport à la notion de zone d'activités pour une clientèle appartenant à un marché, n'a pas légalement justifié sa décision ;

" et alors, enfin, que la revente à perte, comme tout délit, suppose un élément intentionnel ; qu'en l'espèce l'exposant soulignait dans ses conclusions d'appel qu'il avait agi en l'absence de toute mauvaise foi ; que la cour d'appel ne pouvait, pour entrer en voie de condamnation, se borner à constater que les produits litigieux n'étaient pas vendus dans un magasin situé dans une même zone d'activités ; qu'en omettant de caractériser l'élément intentionnel la Cour ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 121-3 du Code pénal et 1er de la loi du 2 juillet 1963 ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Jean-Pascal S, directeur d'un magasin à grande surface, a été poursuivi sur le fondement des articles 1er et 4 de la loi du 2 juillet 1963 pour avoir revendu, les 27 février 1992 et 26 janvier 1993, des produits de lessive à un prix inférieur à leur coût d'achat ;

Attendu que, pour écarter les conclusions du prévenu et le déclarer coupable des faits visés à la prévention, la cour d'appel relève que le prévenu n'a, à aucun moment, démontré la déductibilité des ristournes alléguées, et que, compte tenu des seules remises dont il justifie, ses prix de revente sont inférieurs à ses coûts d'achat effectifs ; que les juges ajoutent que, Jean-Pascal S ayant une clientèle locale, il ne peut invoquer utilement un alignement sur un commerçant situé à 25 km dans une autre zone d'activités ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui procèdent d'une appréciation souveraine des faits, et dès lors que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d'une prescription légale implique de la part de son auteur l'intention coupable exigée par l'article 121-3 du Code pénal, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit reproché ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L.421-1 du Code de la consommation, 2, 3, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à verser à l'Association familiale de Douvres-la-Délivrande la somme de 1 000 francs à titre de dommages et intérêts ;

" aux motifs qu'en ne respectant pas les règles de la concurrence visant à protéger tant les intérêts des commerçants que ceux des consommateurs, Jean-Pascal S a causé un préjudice à l'Association familiale de Douvres-la-Délivrande, qui a pour but de défendre les intérêts généraux des consommateurs ; qu'en effet la vente à perte constitue une pratique incompatible avec une concurrence saine et s'avère contraire à l'intérêt général des consommateurs, la perte supportée sur quelques articles étant nécessairement compensée par les marges prélevées sur les autres, ce qui est de nature à fausser le jugement de la clientèle ;

" alors que, d'une part, seules les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent exercer les droits de la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ; qu'en l'espèce la cour d'appel a reçu l'Association familiale de Douvres-la-Délivrande en sa constitution de partie civile sans relever qu'elle était régulièrement déclarée et avait pour objet statutaire la défense des intérêts du consommateur et constater qu'elle avait personnellement subi un préjudice résultant directement de l'infraction, d'où une violation de l'article L.421-1 du Code de la consommation ;

" alors, d'autre part, que le juge correctionnel n'est compétent pour prononcer la condamnation du prévenu à des réparations civiles qu'autant que cette condamnation est fondée sur un préjudice résultant directement de l'infraction ; qu'en l'espèce la vente à perte ne porte aucune atteinte à la concurrence dès lors que les prix des articles litigieux sont purement et simplement alignés sur ceux pratiqués sur le supermarché concurrent ; qu'en outre le fait de payer des articles moins chers n'est aucunement préjudiciable au consommateur, entièrement libre d'acheter les autres articles sur lesquels serait répercutée la vente à perte où il désire ; que le préjudice invoqué, purement éventuel, ne découle pas directement de l'infraction incriminée et que, par suite, la cour d'appel a violé les articles 2 et suivants du Code de procédure pénale ;

Attendu que, pour recevoir la constitution de partie civile de l'Association familiale de Douvres-la-Délivrande, association de consommateurs agréée, et lui accorder 1 000 francs de dommages-intérêts, la cour d'appel énonce que la revente à perte, incompatible avec une concurrence saine et loyale, est contraire à l'intérêt général des consommateurs ;

Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, qui caractérisent le préjudice direct ou indirect causé à l'intérêt collectif des consommateurs, dont elle a ordonné la réparation, la cour d'appel a justifié sa décision ;qu'ainsi le moyen, irrecevable en sa première branche en ce qu'il soulève pour la première fois devant la Cour de Cassation le défaut d'agrément de l'association de consommateurs, partie civile, doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.