CA Caen, ch. corr., 15 novembre 1991, n° 995
CAEN
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Passenaud
Conseillers :
MM. Leseigneur, Lepaysant
Avocat :
Me Marc.
Le Tribunal correctionnel de Coutances, par jugement en date du 9 juillet 1991, a relaxé Daniel G des fins de la poursuite du chef de revente à perte ;
Appel de ce jugement a été interjeté le 10 juillet 1991 par le Ministère public ;
Attendu que le prévenu ne contestant pas la matérialité des faits, à savoir la revente à perte de 6 produits (2 huiles et 4 lessives), ainsi qu'exposé dans le procès-verbal d'infractions rédigé le 4 septembre 1989 par la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Manche, prétend qu'il avait donné délégation de pouvoir à son directeur de centre Jean-Yves H, condamné définitivement à ce titre aux termes du jugement entrepris par le Ministère public ; que le prévenu fait remarquer que :
- le contrat de travail d'H prévoit (au titre de la délégation de pouvoirs § 3°) qu'il " doit faire respecter rigoureusement la législation applicable en ce qui concerne notamment (...) la conformité des prix de vente " ;
- qu'absent de l'entreprise durant 3 à 4 jours par semaine, par suite de ses responsabilités régionale et nationale, il ne calcule jamais aucun prix de vente, ce qui incombe à H, bien que la politique des prix du centre soit déterminée conjointement avec celui-ci ;
Que le Ministère public requiert que G soit retenu dans les liens de la prévention, et condamné à une forte amende ;
Qu'il y a lieu effectivement, la Cour fondant ainsi sa conviction sur des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus,de retenir G dans les liens de la prévention aux motifs suivants :
- le prévenu ne possède que ce seul point de vente, et détient avec son épouse 98,8 % du capital social de la société X, n'indiquant d'ailleurs pas ses revenus personnels qu'on peut cependant estimer relativement importants ; faits qui, en eux-mêmes, sont significatifs d'une politique de prix préoccupant, au premier chef, ce prévenu ;
- outre que le prévenu ne justifie pas être absent de l'entreprise durant 3 ou 4 jours par semaine le reste du temps serait tout à fait suffisant pour décider au moins le principe d'une revente à perte sur 6 articles de très grande consommation dits " produits psychologiques " par les professionnels : du fait de la notoriété de leurs marques (en l'espèce Lesieur d'une part, Dash, Omo, Persil et Skip d'autre part), et du rôle de référence qu'ils jouent pour le consommateur dans la comparaison des prix de vente entre divers magasins, ce qui donc n'est nullement fortuit ; même si les calculs correspondants sont laissés à l'exécutant H;
- le prévenu ne peut échapper à sa présomption d'autorité parce qu'il aurait délégué ses pouvoirs quant à notamment " la conformité des prix de vente " ; en effet, cette délégation a été imposée au salarié H lors de son embauche, et elle a été la condition sine qua non de cette embauche apparemment, salarié dont il n'est pas prétendu que la rémunération ait été relativement élevée alors qu'il se voyait déléguer l'application de tout texte législatif ou réglementaire en matière sociale et commerciale : ce qui est antinomique d'une véritable délégation ne pouvant avoir qu'un objet précis et limité ;
- les faits incriminés relèvent des fonctions de direction, que G assume personnellement;
Que la pratique de la revente à perte est incompatible avec le maintien d'une concurrence loyale et saine ; qu'en tout état de cause la revente à perte est, en dépit des apparences, sans réel avantage pour le consommateur, la perte supportée sur certains articles étant nécessairement compensée par le surcroît de bénéfice sur les autres ; que donc il convient de condamner G à une amende significative ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; vu l'article 1er de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 ; réformant le jugement en ce dont appel, retient G dans les liens de la prévention et le condamne à une amende de 15 000 F ; condamne Daniel G aux dépens, qui s'élèvent à la somme de 401 F.