Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-20.643
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Elbeuf distribution (SA)
Défendeur :
CPC France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
Mme Clavery
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Rouen, 9 septembre 1993) qu'au mois de septembre 1991, la société Elbeuf distribution (société Elbeuf) a mis en vente des produits fournis par la société CPC France, (la société CPC) à un prix inférieur au prix d'achat ; que la société CPC a assigné, en référé la société Elbeuf afin qu'il lui soit fait défense de vendre à ce prix, sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée ; que la société Elbeuf a invoqué le défaut d'intérêt à agir du fabricant et le bénéfice d'exception d'alignement ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que, la société Elbeuf fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande et de l'avoir, en outre, condamnée à payer la somme de 14 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, quel que soit son intérêt à voir cesser la vente à perte de sa production, un fabricant est sans qualité pour agir à cette fin contre un distributeur ; que la cour d'appel a violé l'article 31 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en déduisant l'intérêt à agir de la société CPC de risques purement éventuels dont elle ne caractérise pas la réalité et partant la réalité du trouble ou l'imminence du dommage invoqué, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 31 et 873 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la cour d'appel qui, après avoir constaté que la société Elbeuf avait cessé la vente critiquée dès avant la décision des premiers juges, ne pouvait, sans caractériser l'imminence du risque de réitération de celle-ci, ordonner sous astreinte sa cessation, sans priver son arrêt de base légale au regard des dispositions précitées ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a relevé que la pratique litigieuse, dénoncée par la société CPC ne pouvait que l'exposer, d'un côté à une dépréciation de son image de marque, le produit pouvant apparaître comme bradé et, d'un autre côté, aux soupçons des autres distributeurs quant à l'existence de conditions préférentielles consenties à des concurrents, mettant ainsi en péril sa politique commerciale; qu'en l'état de ces constatations, elle a apprécié souverainement l'intérêt à agir de la société CPC;
Attendu, en second lieu, qu'en retenant, par motifs propres et adoptés, que la société Elbeuf avait attendu le lendemain de l'assignation, pour faire cesser sa pratique de vente à perte, et que la possibilité d'une réitération existait à la lecture des déclarations et constatations portées à l'exploit d'huissier, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que, la société Elbeuf reproche encore à l'arrêt d'avoir statué ainsi qu'il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en se déterminant pour le seul visa des pièces versées aux débats qui n'ont fait l'objet d'aucune analyse, la cour d'appel a privé son arrêt de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en exigeant la preuve par la société Elbeuf de l'obligation dans laquelle elle se serait trouvée d'aligner ses prix sur ceux de ses concurrents, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition n'y figurant pas et a violé l'article 1er-III de la loi du 2 juillet 1963 ; et alors enfin, qu'en se déterminant non par l'illicéité des prix de référence allégués mais en reprochant à la société Elbeuf de ne pas établir lequel des autres revendeurs aurait le premier pratiqué un prix illicite, la cour d'appel a 1°) statué par motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er-III de la loi du 2 juillet 1963 ; 2°) mis à la charge de la société Elbeuf distribution une preuve ne lui incombant pas et violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que les différents tickets de caisse ainsi que les fiches de concurrence ne permettaient pas à la société Elbeuf d'administrer la preuve qu'elle se soit, pour fixer son prix, alignée sur la concurrence ; qu'ainsi l'arrêt n'encourt pas les griefs des deux premières branches dès lors qu'il incombait à la société Elbeuf de prouver la matérialité de l'exception d'alignement ;
Attendu, en second lieu, qu'en constatant la vente à perte et en appréciant souverainement, au vu des éléments de preuve versés aux débats que la société Elbeuf ne justifiait pas de l'obligation dans laquelle elle se serait trouvée d'aligner les prix sur ceux déjà pratiqués par ses concurrents, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la troisième branche ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.